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Un moment de vérité crucial pour les banques

Un moment de vérité crucial pour les banques

Amine Tazi, Partner Roland Berger Casablanca (photo Fnh)


 

 La crise sanitaire Covid-19 aura un impact structurel important sur les moyen et long termes, tant sur les comportements des clients, que sur les businessmodels, les stratégies et les positions concurrentielles des banques.

 Complètement chamboulées par la crise, les approches de risque devront s'adapter vers davantage de segmentation et de ciblage.

 Amine Tazi, Partner Roland Berger Casablanca, analyse les transformations profondes en cours dans le secteur bancaire et les facteurs clés de succès.

 

Propos recueillis par A. ElKadiri

 

Finances News Hebdo : Comment les banques ont-elles répondu à la crise du Covid-19, depuis l'instauration du confinement sanitaire ?

Amine Tazi : Face à la crise sanitaire du Covid- 19 et au confinement, l'ensemble des banques ont mis en place une série d’actions incontournables : assurer la sécurité sanitaire des collaborateurs et des clients, mettre en place des cellules de crise, adapter l'organisation du travail et les processus, déployer les mesures de soutien prises par le Comité de veille économique, etc. Ces actions ont nécessité un travail colossal dans un délai très court, mais le challenge a été relevé avec succès.

D'autres actions, moins systématiques, ont été mises en place ou sont en cours au sein de certaines banques, notamment des plans d'action segmentés et proactifs à l'égard des clients à plus forte valeur ou risque, ou l'exploration de leviers de maîtrise des coûts.

Mais les actions des banques constituent un effort continu, car après presque 3 mois de confinement sanitaire, s'ouvre une phase intermédiaire de déconfinement progressif et de relance de l'économie où nous devrons apprendre à vivre avec le virus. Et même si les banques n’ont jamais arrêté leurs activités, comme ce fut le cas pour d’autres secteurs (hôtellerie, restauration, etc.), elles travaillent désormais à consolider, adapter et renforcer leurs actions pour accompagner le redémarrage et la relance d'activité de leurs clients et de l'économie.

 

F.N.H. : Justement, quel rôle et quelle capacité ont les banques dans la relance de l'économie ?

A. T. : Les banques constituent la courroie de transmission financière des agents économiques. Elles ont à ce titre un rôle fondamental à jouer dans l'accompagnement de leurs clients pour faire face au chamboulement de leurs plans d'activité et de trésorerie.

S'agissant de la capacité, les banques entrent dans cette crise avec une posture solide, caractérisée par de bons niveaux de capitalisation et de liquidité. Beaucoup de banques ont également renoncé au versement de dividendes au titre de l'exercice 2019, ce qui permet de renforcer davantage les fonds propres. De ce point de vue, cette crise est différente de la précédente crise financière mondiale où le problème venait des banques elles-mêmes. 

Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse : les banques sont plus une clé de la solution qu’une source du problème. Mais compte tenu de l’ampleur du choc économique, elles ne pourront pas à elles seules en absorber l'impact. Cela nécessite une réponse concertée avec les pouvoirs publics et la Banque centrale, et c’est bien l’esprit dans lequel les actions sont définies jusqu’à présent avec le CVE.

 

F.N.H. : Quel devrait être l'impact de cette crise sur la performance financière des banques en 2020 ?

A. T. : L'activité bancaire est une activité de stock et d'encours ; elle est donc, par nature, plus résiliente que d'autres secteurs qui ont pu subir des chutes brutales de revenus. Pour autant, elles ne seront pas immunes face à cette crise.

L'activité commerciale et le PNB bénéficient des mesures de soutien en termes de reports d'échéance ou de crédits de relance, mais subissent en dehors de cela les effets de la chute de production nouvelle, une pression sur la marge d'intérêts ou encore la baisse de certaines commissions liées à des activités de flux ou de services offerts en gratuité pendant le confinement.

Mais l'impact le plus important sera au niveau du coût du risque : la plupart des banques anticipent une augmentation des créances en souffrance de 3 à 4 points, et certaines de plus de 5 points. Si les mesures de soutien prises à ce stade soulagent les clients des banques face au choc de liquidité et leurs besoins de trésorerie, elles ne traitent que partiellement le choc de solvabilité (pertes d'exploitation). Ce choc sera d'autant plus difficile à absorber que la durée du confinement et le profil de reprise seront longs. C'est d'ailleurs là un des principaux enjeux de la relance économique et l'objet des réflexions actuelles autour de solutions visant à renforcer les fonds propres des entreprises.

 


Sur le même thème >  Impact de la crise sanitaire sur les banques: L’enquête qui dit tout


 

F.N.H. : Quels seront les impacts sur les businessmodels des banques ?

A. T. : Le consensus est fort auprès des banques sur le fait que la crise de la Covid- 19 aura un impact structurel important sur les moyen et long termes, tant sur les comportements des clients, que sur les businessmodels, les stratégies et les positions concurrentielles des banques.

Tous les pans du businessmodel bancaire seront impactés, que ce soit la distribution, la relation client, les modèles opérationnels, les modèles organisationnels et de collaboration (télétravail, modes de management, etc.), ainsi que les modèles de risque.

Pour ma part, sans ré-enfoncer des portes ouvertes en termes d'accélération du digital ou de pérennisation de nouveaux modes de collaboration, j'aimerais m'arrêter sur trois tendances qui me paraissent fondamentales, tant dans cette nouvelle phase de déconfinement progressif que dans l'après-crise.

La première concerne le rôle et la valeur ajou- tée de l'humain dans la relation client. Bien évidemment, le digital aura un rôle indéniable pour donner plus d'autonomie, de souplesse et d'efficience aux clients sur des opérations et interactions 'standards'. Mais aujourd’hui plus que jamais, face à des ménages en difficulté ou des entreprises qui jouent leur survie, la valeur ajoutée du conseiller bancaire, sur des solutions bancaires et parabancaires, avec une expertise sectorielle, va être absolument cruciale. C’est réellement un moment de vérité d’une importance capitale qui se joue pour les banques actuellement et qui sera à double tranchant : s’il est bien géré, cela peut-être un facteur de fidélisation extrêmement fort, dans le cas contraire, le client ne manquera pas d’aller chercher ailleurs dès qu'il en aura l'opportunité.

Le deuxième volet concerne l’approche des risques qui doit nécessairement s’adapter. Ce sujet est très délicat car il s’agit d’une ligne de crête qui n'est pas évidente à tenir. Un peu trop de prudence et toute la profession bancaire est accusée de ne pas jouer le jeu et de ne pas soutenir l’économie ; trop de souplesse, et ce peut être un surendettement insurmontable pour le client, un impayé pour la banque sur les anciens et nouveaux prêts et, ne l’oublions pas, un gâchis de deniers publics (compte tenu des mécanismes de garantie publique). Il y a, dès lors, des questions délicates, tant sur le plan technique que politique sur le juste équilibre entre solidarité et efficience du soutien apporté. En parallèle, le volume de demandes de crédit de relance promet d'être conséquent, et les principaux paramètres qui fondaient les décisions de crédit – historique de la santé financière de l’entreprise, récurrence des revenus et des cash flows, garanties mobilisables– sont totalement chamboulés.

Les approches de risque devront donc s'adapter vers davantage de segmentation et de ciblage, l'exploitation de données pertinentes combinées à une expertise sectorielle prospective, pour industrialiser davantage les décisions de crédit 'évidentes' et se focaliser sur une analyse approfondie des situations autour de la ligne de crête précédemment évoquée.

Le troisième et dernier volet concerne les modèles opérationnels, qui devront être reconfigurés pour être plus «Lean» (sans superflu) et plus résilients.

On a vu les banques réussir à absorber une charge de travail phénoménale durant la crise (plus de 400.000 demandes de report de crédits traitées en quelques semaines, ndlr), souvent avec des ressources moindres. Elles ont pu le faire car elles étaient dans une approche frugale, focalisée sur l’essentiel et itérative. Il y a donc un enjeu de pérenniser un certain nombre de ces pratiques.

Quant à la résilience, il s’agira désormais de ne pas penser exclusivement à travers le prisme de l’efficacité des coûts, mais intégrer ce paramètre supplémentaire traduisant la capacité à encaisser un choc comme celui que nous connaissons en ce moment et la flexibilité de pouvoir se reconfigurer et continuer à opérer et servir ses clients.

 

F.N.H. : Les banques pourront-elles relever ces nombreux défis ?

A. T. : L'impact structurel de la pandémie du Covid-19 sera étendu et profond et viendra se heurter à des réalités qui seront différentes d'une banque à l'autre, en fonction de leurs points de départ et leurs forces et faiblesses en entrée de crise, en fonction de leurs stratégies, ou en encore en fonction de leurs organisations et capacités d'exécution.

Ce seront d'ailleurs ces réalités qui guideront la priorisation des défis à adresser, avec des chemins empruntés et des résultats qui ne seront certainement pas identiques entre les banques. Mais quelle que soit la priorisation ou la stratégie retenue, la capacité et l'agilité d’exécution constitueront certainement le nerf de la guerre. La bonne nouvelle est que les derniers mois ont mis à bonne épreuve les capacités d'exécution des banques, en réunissant certains piliers essentiels.

Tout d’abord, une gouvernance spécifique s’est mise en place, avec des circuits de décision très courts, un fort degré d’implication et d'alignement du top management, avec un biais vers l’action, sans tergiversations.

Le deuxième point, précédemment évoqué, concerne le focus sur l’essentiel. Un nombre réduit de priorités, exécutées dans une approche frugale et agile : Faire des choses qui marchent, qu’on améliore par la suite, comme cela a été le cas pour les actions des banques ces derniers mois.

Le dernier point porte sur le 'sens' des transformations, qui doit pouvoir susciter un engagement rationnel et émotionnel de l'organisation. L'action récente des banques s'est résolument inscrite dans une mission d'utilité générale de sauvegarde et de relance de l'économie nationale, de ses ménages et de ses entreprises. Ceci est incontestablement un vecteur d'engagement et de mobilisation pour des collaborateurs sensibles à la finalité de leur travail.

Ces trois piliers, à savoir le 'sens', le focus, et l'efficacité de la gouvernance, représentent la colonne vertébrale pour assurer une bonne capacité d’exécution. La crise a permis de tester leur redoutable efficacité, et offre une formidable opportunité de pouvoir les adapter et les pérenniser pour poursuivre les transformations à venir avec le même succès. 

 

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