Après deux mois de confinement pour freiner la flambée des cas de Covid 19, les grandes villes chinoises, à l’instar de Shanghai et de Pékin, commencent à lever les restrictions. Les personnes sont progressivement autorisées à quitter leur domicile, les transports publics reprennent, les magasins rouvrent, et les entreprises reprennent leur fonctionnement normal. Certaines provinces sont en retard avec seulement 30% des entreprises qui ont déjà rouvert, mais les autorités souhaitent atteindre une ouverture de 80% à très court terme. Les consommateurs du monde entier qui souffrent d’une inflation galopante, peuvent enfin espérer souffler d’ici la fin de l’année - même s’il restera encore les perturbations dues au conflit en Ukraine.
Les autorités chinoises ne ménagent aucun effort pour relancer la machine, durement heurtée par des mesures sanitaires drastiques. Parmi ces mesures de relance, la réduction des taxes sur les achats de voiture, la reconduction par les banques des prêts pour les petites et moyennes entreprises, et l’accélération des procédures d’approbation des projets immobiliers – sachant que le secteur immobilier représente 30% de la production nationale. Car le choc fut rude. La déclaration du premier ministre chinois Li Keqiang a choqué les marchés financiers : «Nous essayerons de faire en sorte que l’économie croisse sur le deuxième trimestre». La dernière fois que le PIB s’était replié, fut au premier trimestre de 2020 après la première vague du Covid -19, date à laquelle le PIB chinois avait reculé de -6,9%. Au premier trimestre 2022, le PIB a progressé de +4,8%, ce qui est en dessous de l’objectif de croissance annuel ciblé par les autorités chinoises, à savoir +5,5%. Les marchés financiers habitués à des taux de croissance survitaminés de la part de l’économie chinoise, étaient loin d’envisager cette possibilité de récession pour 2022, période marquée par une normalisation de la situation sanitaire partout dans le monde. Sur le mois d’avril, les défaillances d’entreprises ont bondi de +23% en année glissante; les ventes au détail sont en repli de -11% et la production industrielle nationale de -3%. Le taux de chômage chez les jeunes de 16 à 24 ans a atteint un niveau historique de 18,2% !
Alors que le problème majeur auquel fait face la Banque centrale américaine est l’inflation, pour la Banque centrale chinoise c’est plutôt la croissance; elle n’a pour l’instant pas annoncé de bouleversement majeur de sa politique monétaire comme l’ont fait les autres Banques centrales, qui ont accéléré et accentué leur resserrement monétaire pour freiner l’inflation. Seule décision prise dans ce contexte par la Banque centrale chinoise : baisser le taux à 5 ans (qui est utilisé pour fixer les taux d’intérêt sur les crédits immobiliers) de 4,6% à 4,45%. Son principal taux directeur sur le court terme est resté stable. La Chine ne veut pas trop baisser ses taux, ce qui créerait un différentiel trop avantageux face aux taux américains qui remontent, et accélèrerait la fuite des capitaux. Du coup, elle a ciblé uniquement le taux à 5 ans pour soutenir le secteur de l’immobilier, qui fait face à un repli aussi bien des volumes des ventes que des prix.
Dans ce contexte économique difficile, la Chine saisit l’occasion pour acter une réforme financière, demandée depuis longue date. La Chine a décidé d’ouvrir la dernière portion de son marché obligataire local aux investisseurs étrangers. En effet, le marché obligataire en Yuan Renminbi qui pèse 20,6 trillions de dollars, se divise en deux segments : un marché obligataire interbancaire de gré à gré qui représente 90% de la dette en circulation, et un marché boursier organisé à Shanghai et à Shenzhen qui représente 10%. Auparavant, près de mille investisseurs internationaux étaient autorisés à investir sur le marché de gré à gré qui représente le plus gros morceau, mais n’avaient pas le droit d’investir sur le marché boursier. En 2014, fut lancé le Shanghai-Hong Kong Stock Connect, ce programme permet aux investisseurs d’investir sur le marché intérieur chinois, à partir de la Bourse de Hong Kong. Ils ne peuvent pas accéder au marché local directement, ils y ont accès indirectement à travers Hong Kong. Deux ans plus tard en 2016, un programme miroir identique a été lancé entre la Bourse de Shenzhen et celle de Hong Kong, avec le même objectif et la même approche : offrir un accès mais indirect. Du coup, cela a commencé à soulever des interrogations. Les investisseurs étrangers avaient accès au marché obligataire côté chinois, mais pas en direct, uniquement à travers Hong Kong. Cette réforme vient donc leur simplifier la tâche : ils y ont accès à présent directement.
Ce marché boursier organisé ne représente qu’une partie minoritaire du marché de la dette locale. Il ne s’agit donc pas d’une révolution dans le sens où un marché gigantesque va s’ouvrir, mais plutôt de permettre à un nombre bien plus important d’investisseurs, d’accéder à ce marché. Future réforme à venir : les autorités chinoises ont annoncé qu’elles allaient rajouter les Fonds d’investissement indiciels chinois (ETF) au programme Hong Kong Stock Exchange Connect. Ainsi, les investisseurs internationaux à Hong Kong pourront y accéder, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ces ETF revêtent un intérêt particulier aussi bien pour les particuliers (en raison de la facilité d’implémentation de portefeuilles thématiques ou diversifiés qu’ils proposent), que pour les professionnels (en raison de leurs coûts de gestion extrêmement compétitifs).
Le rôle des investisseurs étrangers, aussi bien financiers qu’industriels, dans l’essor de la Chine est un fait. Depuis l’ouverture sur l’économie de marché, les multinationales ont déversé des milliards d’investissements en capital pour avoir le droit de se développer sur un marché prometteur, et ont transféré du savoir-faire technologique qui a permis la montée en compétence de la production locale. Ces transferts sont toujours à l’ordre du jour dans la stratégie «Made in China 2025». Il convient donc pour les autorités chinoises de faciliter l’accès aux investisseurs étrangers dans un contexte économique empreint d’un ralentissement marqué.
L’objectif poursuivi depuis des années en ouvrant les marchés de capitaux aux étrangers n’est pas à chercher uniquement au niveau du supplément d’investissements qui vient doper la croissance, il est également monétaire. Pour qu’une monnaie s’impose comme une réserve de change au niveau mondial, il faut entre autres, que ce pays dispose d’un marché obligataire à la fois ouvert et profond. En effet, si des pays excédentaires acceptent de thésauriser leurs revenus en dollars, il faut qu’ils puissent les rentabiliser sur des titres financiers en dollars. C’est ce que leur offre le marché de capitaux américain, et ce que les autorités chinoises mettent en place progressivement. Pour encourager les Banques centrales et les pays à thésauriser en Yuan, il faut qu’ils aient accès à des opportunités d’investissement pour rentabiliser leur épargne en Yuan. Plus facile à dire qu’à faire, car l’ouverture totale aux investisseurs étrangers crée inéluctablement de la volatilité financière. La stratégie poursuivie par les Chinois à cet égard est toujours marquée par son approche graduelle.
(*) : Omar Fassal travaille à la stratégie d’une banque de la place. Il est auteur de trois ouvrages en finance et professeur en Ecole de commerce. Retrouvez-le sur www.fassal.net