Cette année, l’Aïd Al-Adha a été calme. Les rues étaient propres et sans fumée, les couteaux dans les tiroirs et les congélateurs vides. Car le Roi en avait décidé ainsi, en ces termes limpides : «Nous invitons notre cher peuple à s’abstenir d’accomplir le rite du sacrifice de l’Aïd de cette année».
Sage décision. Car entre la sécheresse prolongée, la flambée des prix, le stress hydrique et l’état déplorable du cheptel national, il fallait faire un choix. Et ce choix fut celui de la préservation. Préserver ce qui restait du cheptel. Mais en ne restant pas les bras croisés. C’est pourquoi le gouvernement, sur hautes instructions royales, a sorti l’artillerie lourde. Mardi, devant les députés, le ministre de tutelle Ahmed El Bouari a détaillé le plan de soutien taillé sur- mesure pour le monde rural.
Trois milliards de dirhams d’ici fin 2025 pour restructurer les dettes d’éleveurs exsangues, subventionner l’alimentation animale, identifier les femelles reproductrices (avec une prime de 400 dirhams pour chacune !), vacciner massivement contre les maladies causées par les conséquences de la sécheresse et améliorer la génétique des troupeaux. Et rebelote en 2026 avec 3,2 milliards de dirhams supplémentaires pour ceux qui auront bien gardé leurs précieuses brebis. En parallèle, orge et aliments composés seront subventionnés. L’orge à 1,50 dirham le kilo et les granulés à 2 dirhams. Dans les campagnes, cette mesure fait figure de véritable bouffée d’herbe fraîche.
Dès lors, il faut voir en l’appel du Souverain à ne pas procéder au sacrifice cette année une volonté ferme de passer du curatif au préventif. Plutôt que de faire face à des coûts du mouton excessifs, on se prépare à un futur plus clément en préservant le cheptel pour avoir moins de tensions sur les prix à l’avenir. Bien évidemment, sur le plan purement économique, cela a un coût, d’autant que l’Aïd Al-Adha, c’est habituellement plus de 18 milliards de dirhams de transactions, une manne providentielle pour le monde rural et des milliers d’emplois temporaires.
L’Aïd Al-Adha est surtout un rituel qui, bien au-delà de sa signification religieuse, rythme la vie sociale et économique du Royaume. Pour autant, convenons que dans le contexte inflationniste actuel, ne pas sacrifier un mouton cette année aura été un soulagement pour beaucoup de familles marocaines. Surtout que, selon le haut-commissariat au Plan, l’Aïd représente jusqu’à 30% du budget viande annuel des ménages. Mais dans ce grand effort collectif demandé par le Souverain, il y aurait eu comme une fausse note, certains ayant cru bon de sacrifier coûte que coûte à la tradition. Deux walis auraient commis… un crime de lèsemajesté en procédant quand même au sacrifice.
Excès de zèle ? Piété mal placée ? Faute morale ? Toujours est-il qu’ils auraient été, selon plusieurs sources médiatiques, démis de leurs fonctions. C’est que la monarchie, lorsqu’elle fait un geste fort, attend que l’appareil d’Etat suive. Sans tergiversations. Quand le Roi privilégie la durabilité, c’est un investissement pour le futur. Et ce n’est sans doute pas pour que d’autres fassent fi de ses consignes.
Par F.Z Ouriaghli