Couverture sanitaire universelle: «Le poids important de l’informel reste une question préoccupante pour l’économie marocaine»

Couverture sanitaire universelle: «Le poids important de l’informel reste une question préoccupante pour l’économie marocaine»

Financer la couverture sanitaire universelle au Maroc, où le secteur informel représente près de 12% du PIB, reste un grand challenge à relever. Entretien avec Abdelmajid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique et membre de la Société marocaine de l’économie des produits de santé.

 

Par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Tout d’abord, quelles sont les principales sources de financement du nouveau système de santé marocain (couverture sanitaire universelle) ?

Abdelmajid Belaïche : Les principales sources de financement de la santé sont : les cotisations professionnelles (les cotisations des travailleurs contribuent essentiellement au financement du système de santé) et le budget global pour les hôpitaux publics (les hôpitaux publics sont financés par un budget global alloué), l’assurance maladie obligatoire (AMO, qui sera généralisée à l’ensemble de la population dans le cadre de la mise en place de la couverture sanitaire universelle (CSU), et le reste à charge sera supporté par les patients. A noter que cette partie à charge demeure assez élevée dans notre pays en raison du pouvoir d’achat moyen. Le budget global alloué au secteur de la santé et de la protection sociale a presque doublé en 5 ans, passant de 16,3 milliards de DH en 2019 à 30,689 milliards de DH en 2024. Le système de santé marocain était financé par les recettes fiscales (elles représentaient 24,4% du financement), les ménages (qui contribuaient à hauteur de 50,7% soit directement ou indirectement à travers les impôts), mais aussi par le biais de l’assurance maladie (qui finançait 22,4% du système), les employeurs qui contribuaient à hauteur de 1,2% et la coopération internationale et autres sources qui représentaient 1,3% du financement.

Avec la mise en place de la couverture sanitaire universelle (CSU), cette structure de financement va être profondément remaniée avec, entre autres, un financement plus important des citoyens à travers une assiette très élargie et donc moins douloureuse et coûteuse pour eux. Quant aux citoyens les plus précaires, l’Etat se chargera de les prendre en charge. On dit que la santé n’a pas de prix, mais elle a justement un prix, et le coût de la mise en place de la couverture sanitaire universelle pour l’ensemble des Marocains sera énorme. Le coût de la CSU aussi énorme soit-il, est largement justifié par l’ambition royale d’une santé pour tous et d’un système de santé aussi robuste que résilient face à des menaces à venir. Ne l’oublions, l’avenir est malheureusement porteur de nombreuses menaces sanitaires et environnementales. La pérennité de notre couverture sanitaire universelle est tributaire de la garantie de sources de financement tout aussi immuables, notamment les cotisations à l’assurance maladie et les sources fiscales. Et ces deux sources fondamentales ne pourront être pleinement optimisées sans la contribution d’un large pan de l’économie représenté par le secteur informel.

 

F.N.H. : Que représente le secteur informel au Maroc et en quoi son impact est négatif pour le financement de la santé ?

A. B. : Le secteur informel au Maroc joue, à ce jour, un rôle vital dans l’économie du Maroc, en offrant un emploi à une grande partie de la population qui n’a pas été embauchée ni par le secteur privé formel ni par le secteur public formel. L’importance de ce secteur informel reste vitale; il représente 30 à 40% de l’économie marocaine, soit près de 12% du PIB national. Le taux d’informalité représente près de 77,2% de l’emploi total dans notre pays, et si l’on exclut les travailleurs du secteur public, on monte à un taux de 84,3%. Ce qui veut dire que 77,2% des employés au Maroc en général et 84,3% des seuls employés du secteur privé, ne sont pas déclarés. De ce fait, leurs patrons, leurs entreprises ou leurs administrations ne payent pas leurs cotisations, privant ainsi le financement de notre assurance maladie et notre système de protection sociales (retraites, allocations familiales, allocations de chômage …) de précieuses ressources financières représentées par les cotisations salariales et patronales. Le rapport de Hamza Saoudi et Ahmed Ouhnini du Policy Report, sous le titre «Le secteur informel : repenser la structure globale des incitations pour une économie plus inclusive et dynamique» est assez éloquent à ce sujet. Le poids important de ce secteur demeure une question préoccupante pour l’économie marocaine d’une manière générale, et pour le futur du financement de la santé. En effet, les entreprises et travailleurs du secteur informel sont le plus souvent invisibles aux radars de l’administration fiscale, rendant impossible l’élargissement de l’assiette fiscale, avec pour conséquences, d’une part, la réduction du poids fiscal sur les contribuables tout en assurant de précieuses et importantes recettes fiscales pour l’Etat. De plus, ce secteur prive l’assurance maladie de substantielles recettes représentées par les cotisations des actuels employés du secteur informel.

 

F.N.H. : Dans un pays où le secteur informel est aussi important, le financement durable d’une couverture sanitaire universelle s’avère difficile. Comment pallier cette problématique ?

A. B. : L’économie informelle, qui comprend les employés non déclarés mais aussi des patrons et des entreprises, prive l’Etat de substantielles cotisations à l’assurance maladie, aux systèmes de retraite et de recettes fiscales. Pour y remédier, plusieurs mesures peuvent être envisagées, à savoir : A- Le renforcement des contrôles pour identifier les employeurs qui ne déclarent pas leurs employés et les sanctionner. B- La sensibilisation et l’éducation des employés et employeurs à l’obligation et aux nombreux avantages de la déclaration des employés. C- La simplification des procédures administratives pour les déclarations. D- La mise en place des incitations fiscales pour encourager les employeurs à déclarer leurs employés ainsi que pour l’encouragement de la mise sous statut d’auto-entrepreneur ou de sociétés Sarl. E- Le développement de l’économie formelle à travers la création d’emplois formels et le soutien des entreprises formelles. Il ne faut pas oublier que la pandémie de la Covid-19 a ruiné de nombreuses entreprises formelles et a précipité de nombreux employés dans l’informalité. 

 

 

 

 

 

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