Le soutien renouvelé de Washington à la souveraineté marocaine sur le Sahara reflète une convergence stratégique où Rabat s’impose comme un partenaire de premier plan. Entretien avec Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich, juge près la Cour internationale de résolution des différends «Incodir» à Londres et expert international en audit et droit des affaires à Genève.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : La réaffirmation du soutien américain à la souveraineté du Maroc sur le Sahara s’inscrit dans une logique stratégique. Quelles sont les motivations profondes de cette position, notamment dans un contexte de réalignements internationaux ?
Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich : La position américaine dépasse le simple cadre d’un choix politique conjoncturel, elle s’inscrit dans une lecture géostratégique de long terme. Face à la montée en puissance de la Chine, de la Russie ou encore à la volatilité du Moyen-Orient, Washington cherche à consolider ses alliances historiques et à garantir sa présence dans des zones stratégiques. Le Maroc, en tant que partenaire stable, crédible et géographiquement bien positionné, répond parfaitement à cette logique. En capitalisant sur la continuité de sa diplomatie, sa stabilité interne et son ancrage régional, Rabat peut en effet renforcer son rôle dans le nouvel échiquier géopolitique mondial, à la fois comme plateforme vers l’Afrique et comme médiateur entre l’Europe, le monde arabe et les puissances occidentales.
F.N.H. : Que reste-t-il de l’héritage des Accords d’Abraham, et comment Rabat peut-il en faire un levier durable de puissance régionale avec le retour de Trump ?
Me A.E.K.B. : La réélection de Donald Trump en 2025 ravive les dynamiques nées des Accords d’Abraham et place le Maroc dans une posture géostratégique singulièrement favorable. Loin d’un simple legs symbolique, l’Accord signé en décembre 2020 a redéfini les paramètres de la reconnaissance internationale de la souveraineté marocaine sur le Sahara, tout en instaurant un socle solide de coopération trilatérale : Maroc-États-UnisIsraël. Cet héritage constitue aujourd’hui un atout diplomatique concret, dont les prolongements vont bien au-delà du dossier saharien. Rabat peut désormais activer plusieurs leviers. Tout d’abord, le levier militaire, à travers une coopération sécuritaire renforcée notamment en cybersécurité et renseignement ainsi que par la tenue d’exercices conjoints de haute intensité tels qu’Africom ou African Lion. Ce genre de partenariat contribue à renforcer la confiance mutuelle. Sur le plan technologique, des partenariats autour de l’intelligence artificielle, les biotechnologies, des infrastructures numériques et de l’industrie spatiale sont envisageables. Dans le secteur énergétique, le Maroc, déjà en pointe sur les énergies renouvelables, pourrait attirer des investissements américains dans des domaines tels que l’hydrogène vert, le solaire ou encore les réseaux régionaux d’interconnexion. Là encore, le soutien américain peut jouer un rôle catalyseur. Et enfin, le levier diplomatique. En misant sur la convergence des intérêts stratégiques dans la zone Mena et en Afrique subsaharienne, le Maroc peut s’affirmer comme un acteur clé de la stabilité régionale. Le virage géopolitique actuel n’est donc pas conjoncturel, mais structurel. Il redessine les alliances, redistribue les rôles et offre au Maroc une fenêtre d’opportunité historique pour affirmer une puissance d’influence, à condition de traduire le capital symbolique acquis en instruments concrets de rayonnement régional.
F.N.H. : En tant que juge spécialisé dans les différends internationaux, pensez-vous que le soutien américain pourrait avoir un impact juridique concret sur le dossier du Sahara ?
Me A.E.K.B. : Indéniablement. Le positionnement des ÉtatsUnis, en tant que puissance majeure, pèse dans l’évolution des rapports de force diplomatiques. Si le cadre onusien repose sur le droit international, les dynamiques politiques influencent souvent l’interprétation de principes comme l’autodétermination ou le règlement politique durable. Le soutien américain renforce la crédibilité de l’initiative marocaine d’autonomie, perçue comme une solution pragmatique et stabilisatrice. Ce signal entraîne un effet d’alignement diplomatique croissant, réduisant l’écho des positions séparatistes et marginalisant l’idée d’un référendum devenu irréaliste.
F.N.H. : L’Afrique devient un terrain de rivalité entre puissances. Comment le Maroc, avec l’appui américain, peut-il affirmer sa position en tant que relais stratégique vers le continent ?
Me A.E.K.B. : Le Maroc a déjà investi les secteurs stratégiques du continent tels que la finance, l’agriculture, les infrastructures… Il peut aujourd’hui se positionner comme un relais naturel pour les entreprises américaines cherchant à pénétrer le marché africain. Cela passe par la consolidation des zones industrielles, la création de corridors logistiques et le renforcement des partenariats dans les domaines de l’énergie, de la connectivité numérique et de l’innovation. Le soutien américain pourrait catalyser ce positionnement.
F.N.H. : Comment interprétez-vous les signaux envoyés par Washington à ses partenaires au Maghreb ? Le Maroc estil en position de devenir un acteur central dans le nouveau jeu géopolitique mondial ?
Me A.E.K.B. : Les signaux envoyés par Washington à ses partenaires maghrébins traduisent une volonté claire de redéfinir les priorités géopolitiques américaines dans la région. Le choix de soutenir de manière constante et affirmée la souveraineté du Maroc sur le Sahara ne relève pas d’un simple alignement diplomatique, mais d’un acte stratégique porteur de plusieurs messages. D’une part, il signale que le Maroc est perçu comme un pôle de stabilité, de modération et de prévisibilité dans une région en proie à des incertitudes multiples. D’autre part, il révèle une préférence américaine pour des partenariats structurants avec des États capables de jouer un rôle pivot en Afrique et dans l’espace euro-méditerranéen. Le Maroc, fort de sa diplomatie proactive, de son positionnement géoéconomique transversal entre l’Europe, l’Afrique et le monde arabe, et de sa capacité à articuler sécurité, développement et coopération Sud-Sud, dispose aujourd’hui des atouts nécessaires pour devenir un acteur central du nouvel échiquier géopolitique. Sa capacité à anticiper les mutations, à entretenir des alliances multidimensionnelles et à offrir un modèle de stabilité régionale en fait un partenaire stratégique de premier plan, non seulement pour les États-Unis, mais également pour les puissances émergentes. La géopolitique du XXIème siècle sera fondée sur la résilience, l’interconnexion et la diplomatie d’influence. D’ailleurs, sur ces trois axes, le Maroc y est bien positionné.
F.N.H. : Quel rôle la diplomatie économique peutelle jouer dans la consolidation du partenariat entre Rabat et Washington ?
Me A.E.K.B. : La diplomatie économique est aujourd’hui un levier d’influence stratégique. Des accords ciblés dans des domaines prioritaires, énergies vertes, infrastructures intelligentes ou encore agriculture durable, contribueraient à ancrer cette coopération dans une perspective de long terme. Cela permettrait également au Maroc d’élargir sa participation aux chaînes de valeur mondiales, tout en offrant aux partenaires américains un environnement stable et compétitif.
F.N.H. : Le cadre fiscal actuel permet-il réellement au Maroc de maximiser les retombées économiques de ses relations avec les États-Unis ?
Me A.E.K.B. : Le cadre fiscal marocain offre une base utile, mais il reste perfectible pour accompagner un partenariat stratégique avec les États-Unis. Pour attirer davantage d’investissements, il serait judicieux de simplifier le système fiscal, notamment à travers l’instauration d’un taux unique. Cela permettrait d’améliorer la lisibilité, la compétitivité et la stabilité du climat des affaires. Couplée à une modernisation administrative et à une coopération douanière renforcée, cette orientation offrirait au Maroc un levier solide pour tirer pleinement parti de ses relations économiques avec Washington.
F.N.H. : Quels rôles pourraient jouer les institutions de recherche, think tanks et universités dans le renforcement du dialogue stratégique entre les deux pays ?
Me A.E.K.B. : Une alliance solide repose sur la production du savoir, la réflexion stratégique et l’anticipation des mutations globales. Les universités et centres de recherche peuvent nourrir le dialogue bilatéral à travers des travaux prospectifs, des analyses croisées et des plateformes d’échange. En investissant dans cette dimension intellectuelle, le Maroc renforce non seulement sa visibilité mais aussi sa capacité d’influence dans l’agenda international.