Le nombre de textes adoptés est très limité par rapport aux projets de loi.
La mauvaise qualité de conception des projets, les procédures et le faible engagement des partis expliquent ce faible niveau.
Par : Charaf Jaidani
La production législative du Parlement laisse à désirer. Sur 100 propositions de loi déposées à la Chambre des députés au terme de l’année 2019, seules 10 ont été acceptées pour instruction par le gouvernement.
En dépit de l’unanimité de toutes les formations politiques pour remédier à cette situation, la machine semble tourner lentement.
«Différents facteurs expliquent ce phénomène. Certains sont d’ordre culturel, d’autres politiques, sans oublier l’aspect organisationnel des partis et la procédure pour créer des lois et les faire adopter au final», souligne Driss Kanbouri, politologue. Le manque de respect du règlement intérieur, le fort taux d’absentéisme, et le faible suivi des engagements du gouvernement compliquent davantage la situation.
«On n’arrive pas à appliquer les dispositions du règlement intérieur tant à la Chambre des députés que des conseillers, comment peut-on défendre l’application de lois à caractère national», s’interroge Kanbouri.
Comme le prévoit la Constitution, l’initiative législative revient essentiellement au Parlement. Mais dans la pratique, c’est le gouvernement qui fait l’essentiel des propositions.
Quand il y a une urgence, certains textes passent à une vitesse surprenante comme ce fut le cas de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis, qui a été ratifié en moins d’une semaine.
La mauvaise qualité de rédaction des textes et leur conception sont l’autre facteur pénalisant de la production législative au Parlement. Les propositions de loi sont, le plus souvent, mal conçues, leur contenu juridique est d’un «niveau bas voire indigne», ou encore sont en contradiction avec d’autres lois et règlements déposés par l’Exécutif, estime notre interlocuteur. C’est le cas de la Loi de Finances où certains groupes parlementaires déposent des amendements souvent rejetés par le gouvernement du fait qu’ils vont impacter les équilibres financiers.
Concernant le contenu, Kanbouri a critiqué l’action des partis dans ce sens. «Plusieurs lois sont très techniques, à l’image de celles concernant le secteur de la santé, des finances, du transport, ou encore de la cybercriminalité, et nécessitent une expertise très approfondie».
Normalement, poursuit-il, les partis doivent disposer de cadres spécialisés dans ces différents domaines pour les accompagner et leur expliquer les fondements de ces textes. «Lors des votes ou de la discussion des projets, ces formations peuvent décider en fonction de leur orientation idéologique ou de leur centre d’intérêt. Certains députés votent pour un projet de loi sans savoir au préalable le détail du contenu», explique Kanbouri.
Omar Balafrej, député de la Fédération de la gauche démocratique (FGD), a soulevé cette problématique, mais à sa façon. Refusant de voter l’amendement de certaines propositions de loi de l’article 9 du PLF 2020, il a, en séance plénière, affirmé qu’«il n’est pas une bête de somme pour lui imposer une chose qu’il ne saisit pas». Son action a suscité immédiatement un véritable tollé au sein de l’hémicycle, dans les médias et les réseaux sociaux.
Avec le recul, le député de la circonscription Rabat-Océan a fait savoir qu’«il faisait beaucoup d’effort pour lire et comprendre les projets de loi. Pour certains textes, il fait appel à des spécialistes au sein du parti ou parmi ses amis».
«Nous sommes mandatés par des électeurs pour les représenter et défendre leurs intérêts. Si c’était uniquement pour faire de la figuration et passer des lois sans pouvoir les étudier ou les instruire, il vaut mieux ne pas se représenter», nous confie-t-il.
«Le manque de réactivité de la part du gouvernement concernant les propositions de lois des parlementaires impacte le travail législatif», déplore Balafrej. «Plusieurs projets de la FGD ont été refusés par l’Exécutif sans pour autant justifier cette décision».
Toutefois, force est de constater qu’une partie des propositions de loi émane de la société civile, qui est très active dans ce domaine. Sa présence sur le terrain et sa maîtrise de l’environnement socioéconomique lui donnent davantage de légitimité pour préconiser des textes adéquats.
La Constitution de 2011 lui confère d’ailleurs un rôle important en incitant tous les acteurs concernés à «renforcer et qualifier les capacités des associations pour mieux jouer leurs rôles relatifs à la présentation des motions aux autorités publiques et des doléances législatives et adhérer efficacement aux mécanismes de consultation publique».
«Nous avons proposé plusieurs projets de loi concernant la famille et la femme. Ceux qui ont été retenus pour être instruits et débattu sont très réduits. Pourtant, de nombreux parlementaires sont des militants associatifs qui pourraient être un bon canal de connexion. Les politiques politiciennes et les calculs étriqués de certaines formations réduisent sensiblement la production législative», regrette Fouzia Assouli, présidente d’honneur de la Ligue démocratique pour les droits de la femme.