Politique gouvernementale : «L'Etat social est un slogan trompeur»

Politique gouvernementale : «L'Etat social est un slogan trompeur»

Dans cet entretien sans détour, Nabil Benabdellah tire à boulets rouges sur la politique du gouvernement. Le secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS) dénonce une gestion économique inefficace, une vision sociale qu’il juge «défectueuse» et une gouvernance cadenassée par les intérêts privés. Il revient aussi sur la dynamique favorable du dossier du Sahara marocain, ses récentes visites à Cuba et au Venezuela et plaide pour un sursaut démocratique en vue de 2026. Détails.

 

Propos recueillis par C. Jaidani

Finances News Hebdo : La dynamique autour du plan d’autonomie du Sahara, proposé par le Maroc, s’oriente dans un sens favorable. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

Nabil Benabdellah : Le processus politique et diplomatique autour de notre cause nationale connaît une dynamique particulièrement favorable. Cette évolution résulte des succès engrangés par notre diplomatie officielle, conduite sous la haute impulsion de Sa Majesté le Roi, qui a su obtenir une série de reconnaissances significatives tant de la souveraineté du Maroc sur son Sahara que de l’initiative d’autonomie, désormais perçue comme l’unique issue réaliste à ce conflit artificiel. C’est ainsi qu’une dynamique de reconnaissances importantes s’est enclenchée, initiée par les Etats-Unis, et suivie par les deux pays historiquement les plus impliqués dans ce dossier : l’Espagne et la France. D’autres nations européennes ont emboîté le pas, rejointes par de nombreux pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et même d’Europe de l’Est. Certains sont allés plus loin encore, en matérialisant leur soutien par l’ouverture de consulats à Laâyoune ou à Dakhla. Dans cette continuité, une évolution notable est aujourd’hui en cours au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Des bruits persistants laissent entendre qu’à l’occasion de la session d’octobre, qui suivra l’Assemblée générale, un tournant décisif pourrait être acté : la reconnaissance de l’autonomie comme l’unique issue viable à ce différend. Dans ce contexte, comme nous l’avons souligné dans notre dernière déclaration du bureau politique, le Maroc doit rester fermement uni autour de Sa Majesté le Roi, en multipliant les initiatives à tous les niveaux (institutionnel, partisan et parlementaire) pour appuyer ce processus. Nous avons également affirmé, dans ce même communiqué, la nécessité de renforcer plus que jamais notre front intérieur. Cela passe par l’approfondissement de notre démocratie, l’accélération du développement économique sur plusieurs fronts et l’instauration d’une plus grande justice sociale. Car c’est à ce prix que pourra émerger une mobilisation nationale forte, indispensable pour défendre, ensemble, notre cause sacrée : l’unité du territoire.

 

F.N.H. : Votre visite au Venezuela et à Cuba intervient dans un contexte où certains pays d’Amérique latine soutiennent encore le Polisario. Quelles avancées concrètes espérezvous obtenir sur le front diplomatique dans cette région ?

N. B. : Nous avons jugé indispensable de préparer minutieusement cette mission. Depuis deux ou trois ans, nous travaillons de près avec les représentations diplomatiques du Venezuela et de Cuba au Maroc afin de la rendre possible. Ce projet a finalement abouti, sanctionné par un déplacement que j’ai effectué aux côtés de Saïd Bekkali, responsable des relations extérieures du parti. Notre première étape nous a conduits au Venezuela, où nous avons rencontré successivement le vice-ministre puis le ministre des Affaires étrangères. Un entretien était également prévu avec le responsable des relations extérieures, mais un deuil familial l’a contraint à quitter Caracas. Nous avons en outre tenu une réunion de fond avec le Parti des Verts, membre de la coalition dirigée par le Parti socialiste unifié du Venezuela. Ces échanges ont jeté les bases d’un rapprochement approfondi entre nos formations et, surtout, d’un renforcement des liens officiels entre nos pays, un point auquel la partie vénézuélienne accorde une grande importance. Rappelons qu’à ce jour, le Maroc ne dispose pas d’ambassade à Caracas : notre représentation est assurée par l’ambassadeur accrédité en République dominicaine. La seconde étape s’est déroulée à Cuba, où l’accueil fut des plus chaleureux et les rencontres de haut niveau. L’agenda ne nous a toutefois pas permis de voir le président, également premier secrétaire du Parti communiste cubain, alors en tournée dans différentes communes du pays. Nous avons néanmoins échangé avec le chef des relations extérieures, le numéro trois du parti chargé des questions économiques, la secrétaire du comité central, les responsables de la jeunesse et des femmes ainsi que plusieurs hauts responsables. Tous ont salué les positions du PPS condamnant le blocus qui frappe Cuba. Sur place, nous avons constaté l’impact dramatique de ce blocus imposé par les EtatsUnis depuis soixante-cinq ans. Le Parti communiste cubain a remercié le Maroc pour son soutien constant aux résolutions présentées à l’Assemblée générale des Nations Unies. Nos discussions se sont soldées par la signature d’un mémorandum d’entente visant à renforcer la coopération entre nos partis. Les autorités cubaines, comme leurs homologues vénézuéliennes, se sont déclarées prêtes à approfondir le dialogue avec le Maroc sur la question du Sahara et l’intégrité territoriale du Royaume, étape susceptible de faire évoluer leur position sur ce dossier. En somme, ce périple s’est avéré très fructueux : il nous a permis d’exposer à nos camarades vénézuéliens et cubains l’état de maturation avancée du processus en cours et de les inviter à adopter rapidement une attitude constructive, alors que le Maroc agit pour régler définitivement cette question.

 

F.N.H. : Vous avez dénoncé plusieurs fois la passivité du gouvernement face à la flambée des prix. Si vous étiez en responsabilité, quelles mesures immédiates mettriez-vous en œuvre pour améliorer le pouvoir d’achat des Marocains ?

N. B. : Il y a deux ans, nous avons publié une lettre ouverte, la première du genre, pour alerter sur une situation alarmante: une inflation à deux chiffres. Nous y appelions le gouvernement à agir sans délai pour enrayer cette spirale des prix. Parmi les solutions concrètes proposées, figurait l’activation de l’article 4 de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, permettant un plafonnement temporaire (pour six mois, par exemple) de certains prix jugés abusifs. Nous avions également recommandé une action sur les leviers fiscaux, notamment la TVA, la TIC et les droits de douane, à l’image de ce qu’ont fait plusieurs pays. Nous avions également insisté sur la nécessité d’un encadrement strict des profits réalisés par les distributeurs de carburants, que le Conseil de la concurrence avait qualifiés d’issus d’ententes illicites. Car à chaque hausse du prix du carburant, c’est le consommateur final qui en paie le prix fort. Autre dysfonctionnement que nous avions mis en lumière : la multiplication des intermédiaires entre producteurs et consommateurs, notamment dans le secteur agricole, qui fait parfois grimper les prix par dix. Là aussi, nous avions exhorté le gouvernement à intervenir pour faire baisser réellement les prix à la consommation. Or, hormis un soutien ponctuel de 8 milliards de dirhams accordé aux transporteurs, aucune mesure sérieuse n’a été prise pour freiner l’inflation. Pire: en refusant d’agir sur la fiscalité indirecte, l’Etat a profité de cette flambée pour engranger davantage de recettes fiscales au détriment du citoyen. On peut légitimement craindre que cette logique perdure. Nous avons bien peur que les prix repartent à la hausse, puisque ceux des carburants sont en train de grimper. Et rien ne laisse penser que le gouvernement compte inverser la tendance ou défendre le pouvoir d’achat des ménages. Pourtant, les cours du pétrole ont connu plusieurs baisses sur le marché international, sans jamais se traduire sur les prix à la pompe au Maroc. Les derniers indicateurs annoncent une nouvelle vague d’augmentation qui pourrait bien relancer la machine inflationniste.

 

F.N.H. : Vous évoquez souvent l’influence des lobbies économiques sur les décisions de l’Exécutif. Avez-vous des éléments précis sur cette «mainmise» ou est-ce une posture politique ?

N. B. : S’agissant tout d’abord des importations, commençons par les viandes rouges. Nous avons démontré que seules quelques entreprises importatrices ont réellement bénéficié des mesures mises en place; elles en ont largement profité sans répercussion tangible sur les prix à la consommation. En réponse à notre demande, nous avons obtenu en octobre dernier un document du ministère des Finances. Celui-ci révèle que cette opération a coûté environ 13 milliards de dirhams à l’Etat, sous forme de taxes non perçues ou de subventions accordées aux importateurs, sans pour autant empêcher les prix du mouton de s’envoler à 6.000, 7.000, voire 8.000 dirhams par tête. Des niveaux inaccessibles pour la majorité des ménages, y compris ceux de la classe moyenne. Cette politique montre que quelques acteurs, étroitement liés à un parti précis de la coalition gouvernementale, ont été avantagés. Il convient de souligner un point : ce gouvernement, et plus particulièrement le RNI, conteste nos chiffres en prétendant que nous les inventons. Or, nous n’avons rien inventé : nos données proviennent d’un document officiel du ministère des Finances, auquel l’exécutif a répondu par une autre note du ministère de l’Agriculture. J’aimerais leur dire : réglez d’abord vos contradictions ! Le ministre chargé du Budget est venu confirmer, devant le Parlement, l’exactitude de nos chiffres. De plus, l’un des secrétaires généraux des partis de la majorité a tenu le même propos que nous. Le PAM, pour sa part, a publié un communiqué de son bureau politique en plein mois de Ramadan, appelant à l’arrêt de cette politique de subventions, estimant qu’elle ne profitait qu’à quelques privilégiés du secteur des viandes rouges. Dans d’autres domaines également, plusieurs sociétés ont été «premières arrivées, premières servies», grâce à leur proximité avec les cercles gouvernementaux. L’exemple le plus flagrant de ce conflit d’intérêts est l’usine de dessalement de Casablanca: un appel d’offres lancé par le gouvernement, remporté… par l’entreprise dirigée par le chef du gouvernement lui-même. Nous faisons donc face à une opacité totale dans la gestion publique. Or, l’une des premières conditions de toute réforme économique prônée par le Nouveau modèle de développement est la lutte contre la rente, la corruption, les conflits d’intérêts et toute forme de prévarication, tant sur le plan économique que dans la gestion de l’intérêt général. Avec l’équipe actuelle, nous en sommes encore très loin. Nous avons maintes fois dénoncé ces pratiques, sans résultat jusqu’à présent.

 

F.N.H. : Le gouvernement se targue d’un taux de croissance positif malgré un contexte mondial tendu. Pensez-vous que cette performance macroéconomique masque une fracture sociale plus grave ?

N. B. : Rappelons-le : ce gouvernement avait brandi dix engagements majeurs. Devant le Parlement, Aziz Akhannouch promettait notamment une croissance de 4%. Or, cet objectif reste hors de portée : au mieux, elle plafonne à 3%, souvent moins, et certaines années depuis 2021 ont affiché des niveaux plus faibles encore. Pas de motif, donc, à se féliciter d’une simple croissance positive. Depuis vingtcinq ans, tous les exécutifs successifs y sont parvenus. Autre promesse phare : créer un million d’emplois grâce à un sursaut d’activité et à la relance toujours attendue de l’investissement national et étranger. La réalité est tout autre : le pays a, en vérité, perdu quelque 435.000 postes. Conséquence directe : le chômage oscille entre 13% et 13,7%, un sommet inédit depuis un quart de siècle, révélateur de l’échec de la politique économique actuelle. Le gouvernement assurait aussi vouloir élargir la classe moyenne. Or, d’après le HCP, 3,2 millions de personnes vivent désormais sous le seuil de pauvreté. Concernant l’engagement de porter le taux d’activité des femmes de 19 à 30%, nous constatons plutôt un recul d’un point pour s’établir à 18%. En somme, les chiffres contredisent clairement les ambitions affichées.

 

F.N.H. : Pourtant, ce gouvernement bénéficie d'une majorité très confortable pour réaliser sa politique et faire passer toutes ses réformes…

N. B. : Ce gouvernement dispose certes d’une majorité confortable, mais mène une politique largement désavouée par la population. Le RNI, chef de file de la coalition, a investi des moyens financiers sans précédent pour s’imposer lors des dernières élections. Depuis, ses responsables ne cessent de clamer qu’ils sont "premiers partout". Soit. Mais cela ne les a pas empêchés, malgré leur hégémonie sur les 12 régions, les grandes villes, la Chambre des représentants et celle des conseillers, d’essuyer un désaveu généralisé. Je les mets au défi d’aller à la rencontre du peuple, toutes classes confondues, des plus aisées aux plus démunies. Partout, on fera le même constat : ce gouvernement ne suscite ni adhésion ni espoir. Il est perçu comme incapable d’apporter du concret. Tout ce qu’on retient de son action se résume à une flambée des prix, un chômage endémique, des conflits d’intérêts et un désert politique.

 

F.N.H. : Vous avez qualifié le gouvernement de «fermé au dialogue» et dénoncé une «mise sous cloche de l’expression citoyenne». Est-ce le symptôme d’une dérive autoritaire ou simplement d’un désintérêt pour le débat démocratique ?

N. B. : Le gouvernement refuse obstinément le dialogue. Son chef, s’exprimant devant la Chambre des députés, s’est permis une déclaration pour le moins choquante : tout ce qu’on lui dit, selon ses propres mots, «entre par une oreille et sort par l’autre». Devant les représentants de la Nation, ce même chef de gouvernement n’a pas hésité à adopter un ton menaçant à l’égard de ceux qui osent le critiquer. «Vous ne me connaissez pas et vous ne connaissez pas mon père», leur a-t-il lancé, dans un avertissement à peine voilé. Nous sommes face à un exécutif qui privilégie la menace au lieu de la concertation. Un gouvernement qui ne sait pas ce qu'est le débat démocratique et être à l'écoute de citoyens. Ce recul manifeste entrave sérieusement les avancées en matière de participation citoyenne, de renforcement démocratique et d’engagement politique. Au final, c’est l’ensemble du paysage politique et partisan qui en pâtit.

 

F.N.H. : La motion de censure avortée récemment a mis en lumière les divisions au sein de l’opposition. Le PPS peut-il continuer à jouer seul le rôle de contre-pouvoir crédible ?

N. B. : Nous avons tout mis en œuvre pour que cette motion de censure puisse aboutir. En amont, nous nous sommes activés pour que la commission d’enquête sur les importations de viandes rouges puisse voir le jour. Le gouvernement, quant à lui, a évidemment tout fait pour faire capoter cette initiative. A ce jour, rien n’a été concrètement mis en place de ce côté-là. Concernant la motion de censure, la majorité n’a même pas eu besoin de s’impliquer : son rejet l’arrangeait bien. Elle échappe surtout à une condamnation morale et politique et évite d’avoir à rendre des comptes, devant l’opinion publique, sur un bilan accablant. Au sein du PPS, nous avons joué un rôle constructif, en tentant de rapprocher les points de vue. Nous avons voulu recentrer le débat, non pas sur la question de savoir qui allait porter la motion, mais sur quoi y mettre, et comment parler au peuple pour susciter son intérêt, son engagement et lui permettre de distinguer ce gouvernement d’une opposition responsable et courageuse. Malheureusement, une composante de l’opposition, l’USFP en l’occurrence, a décidé de torpiller ce processus. Alors même que nous étions proches d’un consensus, elle s’est retirée unilatéralement des concertations en cours. C’est regrettable. Cela dit, au PPS, nous poursuivrons notre action. Avec ou sans les autres composantes de l’opposition. Car aujourd’hui, nul ne peut ignorer que nous jouons un rôle de leadership sans céder au populisme, avec sérieux, conviction et détermination. Nous le faisons car nous sommes convaincus que ce gouvernement est en échec, et qu’il ne répond pas aux aspirations de notre peuple. Nous n’avons pas pu le censurer à la Chambre des représentants, soit. Mais les prochaines élections devront être l’occasion, pour le peuple, de lui infliger une censure populaire. C’est pourquoi nous appelons à un vote massif afin que ce parti qui dirige aujourd’hui le gouvernement ne puisse plus disposer, demain, d’une majorité parlementaire.

 

F.N.H. : En 2026, peut-on s’attendre à une recomposition de l’opposition autour d’un pôle progressiste élargi, ou les divergences idéologiques et stratégiques sont-elles aujourd’hui trop profondes ?

N. B. : Ecoutez, c’est le souhait que porte le Parti du progrès et du socialisme. Il faut le dire avec franchise : nous avons connu des difficultés, notamment avec l’USFP. La première fois que nous avons tenté d’engager une concertation bilatérale, cela s’est soldé par un abandon en cours de route. Pourtant, nous avions élaboré ensemble un document que nous n’avons même pas eu l’occasion de présenter à l’opinion publique. La seconde tentative, autour de la motion de censure, a été tout aussi compliquée. Par ailleurs, une partie de la gauche semble s’enfermer dans une posture de repli sur soi qui ne mène à rien de constructif. Cela dit, nous avons une conviction forte au PPS : les forces progressistes dans ce pays ne se limitent pas aux partis politiques. Bien au contraire, la majorité des progressistes se trouve aujourd’hui en dehors de ces structures traditionnelles. C’est pourquoi nous souhaitons nous adresser directement à ces citoyens, pour leur dire : si vous aspirez au changement, commencez par vous inscrire sur les listes électorales. C’est un geste fondamental. Il faut voter, car c’est le seul levier pour mettre en échec ce gouvernement. Je saisis l’occasion que vous m’offrez pour relancer cet appel : si l’on veut faire barrage au pouvoir de l’argent et à la corruption (ou fassad, comme on dit en arabe) qui gangrènent aussi bien le champ politique qu’électoral, alors il n’y a qu’une seule voie : une participation populaire massive et un vote sanction à l'égard de ce gouvernement. Et dans cette dynamique, nous espérons que le PPS bénéficiera d’un soutien large et résolu, porté par ce vote du changement.

 

F.N.H. : Face au désenchantement politique croissant, que propose concrètement le PPS pour redonner envie de voter, en particulier chez les jeunes et les classes moyennes ?

N. B. : Nous travaillons actuellement à l’élaboration de notre programme. Il s’appuie sur les fondements que nous avons défendus durant notre action d’opposition à ce gouvernement. Aujourd’hui, nous lançons une vaste concertation, en particulier avec les jeunes, et plus largement avec l’ensemble des citoyens, afin de co-construire, de manière participative et citoyenne, un programme qui puisera à la fois dans nos engagements passés et dans les orientations du Nouveau modèle de développement, un document officiel que le gouvernement actuel a pourtant relégué aux oubliettes. Notre ambition est claire : élargir les espaces de démocratie et renforcer la participation citoyenne. On ne peut pas avancer sans un portage politique fort et sans l’adhésion active de toutes les composantes de la société au processus du changement. Et même lorsque les décisions sont difficiles sur le plan politique, économique ou social, il faut des femmes et des hommes capables de les expliquer, que ce soit au Parlement, dans les associations ou lors de réunions publiques. La réforme ne peut avancer que si elle est comprise, portée et défendue. Nous comptons également mettre en œuvre une véritable stratégie de relance économique. Une politique où l’Etat retrouve son rôle d’orientation et de régulation, et où l’investissement public devient un levier majeur. Le gouvernement actuel avait promis 550 milliards de dirhams d’investissements pour la création de 500.000 emplois. Nous attendons toujours de voir la couleur de ces promesses : ni les investissements, ni les emplois ne sont au rendez-vous. Un échec de plus à mettre à leur actif. Nous voulons au contraire promouvoir une politique audacieuse de soutien à l’entreprise nationale, encourager l’investissement productif et instaurer des mécanismes rigoureux de transparence pour lutter contre la rente, la corruption et les conflits d’intérêts. Il s’agit de restaurer la confiance des porteurs de projets et des entrepreneurs, condition indispensable pour faire reculer le chômage, créer des opportunités et remettre l’économie sur les rails d’une croissance réelle et inclusive. Sur le plan social, nous entendons corriger les erreurs flagrantes de l’actuelle majorité. On nous parle de généralisation de la couverture sociale, mais la réalité est tout autre. Les données du CESE et du HCP sont édifiantes : 8,5 millions de Marocains sont aujourd’hui sans couverture. Autrefois bénéficiaires du Ramed, ils se retrouvent désormais sans filet de sécurité, ni dans l’AMO, ni dans l’AMO solidarité. Quant à l’aide directe, dont ils vantent aujourd’hui les mérites, ils l’avaient rejetée lorsqu’ils étaient avec nous au gouvernement. Et même cette aide, dans sa forme actuelle, est insuffisante. C’est une illusion de solidarité.

 

F.N.H. : Vous critiquez la conception gouvernementale de «l’Etat social» en la qualifiant de «produit défectueux». Quelle serait, selon vous, une version aboutie et opérationnelle de ce modèle pour le Maroc ?

N. B. : Dans un véritable Etat social, certaines notions ne devraient pas être galvaudées : le service public, la justice sociale concrète et une santé publique de qualité. Cela implique non seulement des hôpitaux régionaux ou universitaires performants, mais aussi une offre de soins accessible et digne sur l’ensemble du territoire. Or aujourd’hui, la réalité est tout autre : l’essentiel de l’offre de soins est désormais accaparé par le secteur privé. Plus de 400 cliniques privées ont vu le jour récemment. Pourquoi ? Parce que 80% des fonds de la CNSS et 95% de ceux de la CNOPS sont absorbés par ces établissements privés. C’est tout simplement alarmant. Dans ces conditions, comment espérer financer durablement l’enseignement public ou le système de santé public ? C’est là un échec de plus à mettre au passif de ce gouvernement. Une preuve de plus que «l’Etat social» dont il se réclame n’est qu’un slogan trompeur. Un Etat social digne de ce nom, c’est aussi l'élargissement de la démocratie. C’est l’accès à la libre initiative et le soutien à l’entreprise nationale pour qu’elle puisse pleinement jouer son rôle économique, mais aussi social. Car c’est elle qui crée de la richesse, investit et embauche. Mais là encore, ce gouvernement tourne le dos à cette vision. Non pas par ignorance, mais parce que, fondamentalement, ils ne croient pas à l’idée même d’un Etat social. Car l’Etat social, c’est d’abord une conviction. C’est une philosophie issue des valeurs de gauche, avec une exigence de lutte contre la pauvreté et une ambition d’élargir véritablement la classe moyenne. Les chiffres sont là : le bilan est désastreux, contrairement au discours officiel. Face à cela, il est temps de proposer une alternative. Une vision différente, ambitieuse et résolument tournée vers le progrès. 

 

 

 

Articles qui pourraient vous intéresser

Samedi 14 Juin 2025

Informel-formel : une hybridation cachée, mais présente

Vendredi 13 Juin 2025

Transition énergétique : pourquoi le Maroc mise sur l’hydrogène vert

Vendredi 13 Juin 2025

Commerce extérieur : où se cache vraiment le potentiel de croissance ?

Vendredi 13 Juin 2025

Marché financier : le dépositaire, pilier stratégique dans l’essor des fonds alternatifs

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux