Le SG du PPS endosse son costume d’opposant pour tirer à boulets rouges sur l’actuelle majorité.
Retrait du parti du gouvernement, guerre des clans, remaniement, projet de Loi de Finances…, Benabdallah dit tout sans retenue. Et sans langue de bois.
Par David William
C’est en octobre dernier que le Parti du progrès et du socialisme (PPS) a acté sa sortie définitive du gouvernement. Cette sortie aussi brutale qu’inattendue met un terme à un compagnonnage qui a duré huit ans.
L’allié d’hier est désormais l’opposant d’aujourd’hui. Un opposant visiblement très amer, qui entend bien incarner son nouveau rôle et qui ne fait pas dans la langue de bois pour tacler vigoureusement ses anciens camarades de la majorité.
Majorité ? Pour le secrétaire général du parti, Nabil Benabdallah, «il n’y en a tout simplement pas». «Nous étions au milieu de deux groupements, l’un constitué du Parti de la justice et du développement, et l’autre du Rassemblement national des indépendants qui menait à la baguette quatre autres partis politiques. Tous les week-ends, c’était la foire d’empoigne et ces deux courants s’étripaient sans retenue», martèle-t-il.
Et pour Benabdallah, cette atmosphère délétère continue. «Les meetings qui ont eu lieu le week-end dernier montrent que rien n’a changé, alors même que Sa Majesté a appelé, lors du discours d’ouverture du Parlement, les forces politiques à arrêter de se tirer dessus. Il n’y a aucune homogénéité, aucune unité d’action entre ces courants. Leurs seules préoccupations, c’est 2021 (les législatives, ndlr). Or, on ne peut gérer la chose publique de cette façon. Le PPS ne peut pas se le permettre et ne peut l’accepter», relève-t-il. Non sans convoquer l’histoire politique récente du Maroc, pour rappeler le caractère inédit de cette situation : «nous avons fait partie de coalitions avec Abderrahmane Youssoufi, Driss Jettou, Abbas El Fassi, Abdelilah Benkirane, et jamais nous n’avons eu une majorité aussi déchirée».
C’est peut-être cela qui légitime que le PPS ait claqué la porte du gouvernement et non une histoire de portefeuilles ministériels, dans le cadre du remaniement ministériel qui a eu lieu récemment. C’est ce que précise avec force le SG du parti : «à aucun moment nous n’avons parlé des portefeuilles lors du remaniement. J’ai refusé personnellement de discuter avec le chef du gouvernement tant du nombre, encore moins des postes. Durant le mois de septembre, nous nous sommes rencontrés à 4 ou 5 reprises et à chaque fois j’ai exigé que l’on discute d’abord des politiques publiques».
C’était, selon Benabdallah, un préalable pour savoir si oui on non le PPS allait continuait à faire partie du gouvernement. Sauf qu’à la requête du SG du PPS, Saad Eddine El Otmani a répondu : «on verra plus tard». «Malgré le contenu du discours du Trône, le gouvernement n’a pas bougé d’un iota, notamment en termes de nouvelle politique économique et sociale», déplore-t-il, précisant que «c’est cela qui a entraîné notre retrait».
Désormais rangé du côté de l’opposition, le PPS jette donc un regard très critique sur ce gouvernement qu’il estime «manquer de jus et de profondeur politique».
Pire encore, Benabdallah estime que c’est un gouvernement très déconnecté du peuple. «Le fossé qui existe entre le gouvernement et les forces politiques qui le composent, d’une part, et le peuple, d’autre part, s’est creusé de manière considérable. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe dans les rues, dans les stades et sur les réseaux sociaux : il y a un vrai vide politique aujourd’hui et nous avons appelé de nos vœux un sursaut, un souffle démocratique nouveau depuis 2017», martèle-t-il. Rappelant, au passage, que le PPS en avait d’ailleurs fait son slogan lors du 10ème Congrès de la formation politique en 2018.
Remaniement et Loi de Finances
C’est à peine si le SG du PPS ne qualifie pas le remaniement de grosse mascarade. Car, pour lui, en réalité, «ce remaniement n’en est pas un, puisque la majorité écrasante des postes principaux au sein de ce gouvernement n’a pas changé». Mieux encore, poursuit-il, «je continue à chercher aujourd’hui où sont les compétences dont on nous a tant parlé».
Dur Benabdallah ? Très à l’évidence. Quand bien même il se dit très objectif, surtout lorsqu’il décortique le projet de Loi de Finances 2020. Une Loi de Finances qui, dit-il, «manque de souffle et qui n’est pas encadrée par une vision claire».
C’est en prévision de cela qu’il avait rencontré à plusieurs reprises le chef du gouvernement, bien avant le remaniement, pour lui demander de changer de politique. L’objectif étant, selon lui, de rester dans la droite ligne des orientations du Souverain, lequel a dénoncé clairement l’échec du modèle économique poursuivi jusqu’à présent, son incapacité à créer aussi bien suffisamment de richesses que d’emplois et le problème important de la redistribution des richesses produites tant au niveau social que spatial.
Or, déplore Benabdallah, «la Loi de Finances 2020 s’inscrit dans la continuité, sans aucune ingéniosité du point de vue des mécanismes et des mesures à prendre pour booster l’économie et pour créer les conditions d’une meilleure redistribution».
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S’il reconnaît que des moyens supplémentaires ont été mis à la disposition notamment de l’Enseignement et de la Santé, sans pour autant être suffisants, il regrette cependant que ce PLF «ne marque pas une rupture, et ce même du point de vue de la fiscalité où l’on s’attendait à des mesures plus fortes et plus radicales».
«C’est-à-dire des dispositions qui puissent, d’une part, booster l’entreprise et l’encourager pour plus d’investissements et plus de productivité et, d’autre part, permettre d’imposer les plus riches, ceux qui sont en haut de l’échelle, et atténuer l’impact sur les plus pauvres», indique le SG du PPS, parti qui avait notamment proposé un impôt sur les grandes fortunes de ce pays, considéré comme «une mesure de justice sociale, avec une signification politique importante».
Pour Benabdallah, l’autre levier qui n’a pas été activé et sur lequel le PLF 2020 est resté muet, concerne l’élargissement de l’assiette fiscale. «Malheureusement, aucune mesure n’est prévue dans cette LF et aucune perspective n’est ouverte de ce point de vue, alors que beaucoup de gens qui vivent dans des conditions favorables dans le secteur informel ne sont pas imposés, ce qui est inadmissible», déplore-t-il.
L’idée sous-jacente étant qu’en élargissant l’assiette, on puisse, dans le même temps, alléger le fardeau fiscal pour les plus démunis, conclut-il. ◆
Encadré : Benabdallah tance le RNI
Les législatives de 2021, même si elles semblent encore lointaines, occupent les esprits. Au sein de la majorité, la campagne électorale (déguisée) a démarré bien avant l’heure, sur fond de remobilisation des troupes. Et Nabil Benabdallah semble passablement agacé par le RNI, même s’il ne le cite pas nommément.
«On entend dans ce gouvernement le discours inadmissible d’un parti politique selon lequel lorsqu’il sera au pouvoir en 2021, il réalisera des prodiges dans un certain nombre de secteurs. S’il est capable de faire des prouesses en 2021, autant qu’il le fasse maintenant, puisque ce parti est déjà aux affaires et gère des ministères extrêmement importants et décisifs pour la machine économique du pays. De grâce, ces considérations électoralistes ne doivent pas primer sur l’intérêt supérieur du pays», martèle le SG du PPS. Aziz Akhannouch, président du RNI appréciera.