La montée en puissance du Rassemblement national, avec Jordan Bardella comme potentiel Premier ministre, annonce une reconfiguration majeure de la scène politique française. Alors que le parti d'extrême droite dévoile un programme controversé, les inquiétudes grandissent quant à une politique migratoire qui va à l’encontre des valeurs fondamentales de la République française.
Par D. William
La scène politique française est une fois de plus en ébullition. Dimanche 30 juin et le 7 juillet, les Français se rendront aux urnes pour élire les 577 députés de la XVIIème législature de la Cinquième République. Les enjeux de ces élections dépassent de loin les simples questions de politiques économiques ou sociales. Crédité de 35% des voix par les sondages devant le Nouveau Front populaire (entre 27 et 29,5%) et le camp présidentiel (autour de 20%), le Rassemblement national, dirigé par Marine Le Pen, est bien parti pour être aux affaires, avec un Jordan Bardella comme Premier ministre.
Lundi, ce dernier a d’ailleurs dévoilé un programme qui suscite beaucoup de réserves et d’inquiétudes. Ce programme, présenté comme une alternative crédible par certains et comme un retour en arrière par d'autres, amène à s’interroger sur l'avenir de la France, notamment pour les Français de double nationalité, les étrangers résidents, et tous ceux qui aspirent à une société inclusive. Car la montée en puissance du RN, un parti fondé sur des idéaux nationalistes, souvent accusé de xénophobie et qui tente vainement de se dédiaboliser, pose une menace existentielle aux valeurs fondamentales de la République française.
Un retour aux préjugés et à la division
Au cœur du programme de Bardella, se trouvent des mesures sociales qui promettent de transformer profondément la société française, mais qui, en réalité, portent en elles les germes d'une xénophobie institutionnalisée. Le RN, avec sa vision de l'immigration qui ne voit que des chiffres et des statistiques, propose, à ce titre, d'interdire à certains binationaux d'occuper des postes stratégiques, invoquant une nécessité de «protection des intérêts stratégiques de la Nation».
Cette mesure, bien que présentée comme une mesure de sécurité nationale, soulève des questions sur la discrimination potentielle et sur l'égalité des chances au sein de la société française. De plus, la promesse de rétablir le délit de séjour irrégulier et de supprimer le droit du sol semble marquer un retour à une politique migratoire sévère et très restrictive. Pour Bardella, ce droit du sol «ne se justifie plus dans un monde à 8 milliards d'individus. Et alors que se multiplient sur notre sol les preuves quotidiennes de notre incapacité à intégrer et à assimiler». Si l’immigration a toujours été au cœur des débats politiques et sociétaux en France, les enjeux semblent désormais atteindre de nouveaux sommets dans ce contexte politique particulier. Le RN a depuis longtemps fait de ce sujet l'un de ses chevaux de bataille.
Une victoire aux élections législatives et l'accession de Jordan Bardella au poste de Premier ministre marqueraient donc un tournant radical dans la politique migratoire française. Les positions de ce parti sur cette question sont bien connues: réduire drastiquement le nombre d'immigrants légaux en limitant le nombre de visas accordés pour des motifs économiques et familiaux, renforcer les contrôles aux frontières, expulser systématiquement les immigrés en situation irrégulière, privilégier les Français dans l'accès aux aides sociales et promouvoir une politique d'assimilation stricte. Les communautés immigrées, déjà marginalisées, se retrouveraient encore plus isolées et plus vulnérables. Avec, de surcroît, un accès aux soins de santé plus restreint, particulièrement pour les migrants en situation irrégulière. Lesquels sont plus particulièrement visés par les discours populistes et racistes, centrés sur la sécurité nationale et l'identité culturelle, qui alimentent les préjugés et les stigmatisations, exacerbant ainsi les tensions sociales et intercommunautaires.
Et pourtant…
Et pourtant, malgré les contrevérités balancées ici et là par le RN, les statistiques restent têtues. «Dans le débat public, les immigrés sont souvent présentés comme un fardeau pour nos économies. Pourtant, les pays avec les plus hauts taux d’immigration au monde sont tous des pays riches. A contrario, les pays qui ont une proportion d’immigrés dans leur population inférieure à 1% sont extrêmement pauvres. Ces statistiques ne représentent toutefois que des corrélations et la causalité peut aller dans les deux sens», indique le Conseil d’analyse économique (CAE) dans une note publiée en novembre 2021. De même, précise le CAE, «les études centrées sur les pays de l’OCDE indiquent que l’immigration ne creuse pas les déficits publics. Suivant les pays et les années, la contribution nette des immigrés aux finances publiques se situe dans une fourchette comprise entre + 0,5% et – 0,5% du PIB. Les études récentes centrées sur la France arrivent aux mêmes conclusions. Ceci s’explique par le fait que la population immigrée française, bien que sur-représentée parmi les chômeurs et les bénéficiaires de certaines aides sociales, se concentre dans les tranches d’âge actives qui ont en moyenne une contribution nette positive au budget de l’État». Dans un document daté d’octobre 2021, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) abonde dans le même sens.
«Dans les 25 pays de l’OCDE pour lesquels des données sont disponibles, en moyenne au cours de la période 2006- 2018, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations a été supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, leur santé et leur éducation», indique l’Organisation. Et en 2017, la contribution des immigrés au financement des biens publics purs a représenté un total de 547 milliards USD dans les 25 pays inclus dans l’analyse. Mieux encore, l’Europe vieillissante a besoin de cette main- d’œuvre que l’on rejette aujourd’hui à coups de murs et de barbelés. D’autant que l’agence de statistique de l’Union européenne, Eurostat, indique qu’«en 2019, plus d’un cinquième (20,3%) de la population de l’Union des 27 était âgé de 65 ans et plus».
De même, d’après les projections de la population couvrant la période 2018-2100 établies par Eurostat en juin 2019, «la population de l’UE connaîtrait un important vieillissement». Ainsi, «la part de la population de l’UE âgée de 80 ans ou plus serait ainsi plus que doublée entre 2018 et 2070 pour atteindre 12,6% en 2070; la proportion des personnes âgées de 65 ans ou plus augmenterait de 9,5 points, pour atteindre 29,2%». Et selon l’INSEE (Institut chargé des statistiques en France), «au 1er janvier 2020, la population française continue de vieillir. Les personnes âgées d’au moins 65 ans représentent 20,5% de la population, contre 20,1% un an auparavant et 19,7% deux ans auparavant. Leur part a progressé de 4,7 points en vingt ans. «Jusqu’en 2040, la proportion des personnes de 65 ans ou plus progresserait fortement : à cette date, plus d’un habitant sur quatre aurait 65 ans ou plus», poursuit-il. Face à ces statistiques, l’extrême droite française préfère mettre des œillères et distiller son discours haineux contre les immigrés. Un discours qui, malheureusement, trouve un écho favorable au sein de l’électorat français.