Cartes graphiques : «Le nouveau pétrole de l’ère numérique»

Cartes graphiques : «Le nouveau pétrole de l’ère numérique»

Entre frénésie de l’intelligence artificielle, tensions géopolitiques et flambée des prix, les cartes graphiques sont devenues l’objet d’une bataille planétaire. Les GPU, autrefois outils de loisir, sont aujourd’hui des armes stratégiques.

 

Par K. A.

Dans le monde des technologies, une bataille invisible mais décisive se joue autour des cartes graphiques. Ces composants, autrefois réservés aux gamers et aux designers 3D, sont désormais la clé de voûte de l’intelligence artificielle moderne. Entre explosion de la demande et contraintes de production, le marché mondial du GPU connaît une effervescence sans précédent.

Et au Maroc, les joueurs comme les professionnels paient déjà le prix de cette guerre silencieuse. «Depuis deux ans, les GPU ne sont plus de simples cartes graphiques : ce sont des unités de calcul stratégiques», explique Chakir Abdelhak, analyste hardware chez NextBench Consulting.

«Les grands acteurs du cloud et de l’intelligence artificielle achètent tout ce qui sort des usines, du plus petit GPU au plus puissant modèle Nvidia. Cela crée un effet d’éviction pour le grand public et renchérit les coûts partout ailleurs», fait-il savoir.

Les chiffres confirment cette tension. Selon le cabinet Jon Peddie Research, plus de 251 millions de GPU ont été expédiés en 2024, en hausse de 6% sur un an. Et IDC prévoit une croissance de 47% du marché mondial des serveurs équipés de GPU en 2025, tirée par la demande colossale des modèles d’intelligence artificielle et des centres de données. «L’IA a bouleversé la hiérarchie du marché», poursuit Chakir Abdelhak, notant qu’«avant, c’étaient les gamers qui faisaient vivre les ventes.

Aujourd’hui, ce sont les géants du cloud. Ils réservent des volumes immenses, parfois des mois à l’avance, ce qui laisse très peu de marge pour les autres». Mais la fabrication, elle, peine à suivre. Les usines tournent à plein régime, tandis que les composants critiques - mémoire HBM, wafers de silicium et gravures de 4 ou 5 nanomètres - se raréfient. Les tensions commerciales entre Washington et Pékin aggravent la situation : les ÉtatsUnis ont restreint les exportations de puces haut de gamme vers la Chine, provoquant un effet domino sur les flux logistiques mondiaux.

«Les stocks circulent en boucle entre les grandes puissances. Les marchés périphériques, comme le Maroc ou même certaines régions d’Europe de l’Est, reçoivent des volumes résiduels, parfois plusieurs mois après les lancements mondiaux», observe Chakir. Aux États-Unis, la menace d’une taxe de 25% sur les GPU chinois, plusieurs fois repoussée, entretient la nervosité du marché. En Europe, Nvidia a procédé à quelques baisses sélectives d’environ 10% sur la série RTX 50, portées par un Euro plus fort. Mais cette détente n’a pas franchi la Méditerranée.

«Au Maroc, la disponibilité reste erratique et les marges importantes. Une RTX 3060 Ti se vend entre 6.500 et 7.000 dirhams, tandis qu’une RTX 5060 Ti avoisine 5.700 dirhams. Ces écarts reflètent les frais d’importation, le change et surtout la rareté. Chaque lot qui arrive est écoulé en quelques jours à peine», constate notre interlocuteur. Les gamers ici, eux, s’adaptent. Certains importent directement depuis l’Europe, d’autres se tournent vers les modèles intermédiaires - RTX 4060, 4070 ou RX 7800 XT - jugés plus accessibles. Les plus passionnés s’organisent via des groupes communautaires, mutualisent les commandes ou traquent les rares promotions.

«Ce que j’observe depuis Casablanca, c’est un marché de passionnés qui refuse de mourir. Malgré les hausses, les retards et les ruptures, la communauté gaming marocaine reste l’une des plus actives du Maghreb. Elle s’entraide, partage les bons plans et suit les tendances internationales avec un œil d’expert», affirme Abdelhak Chakir. Mais l’avenir reste incertain. «Tant que les géants de l’IA monopolisent la production, les joueurs resteront en bout de chaîne», prévient-il. Et d’ajouter que «le Maroc est tributaire des cycles mondiaux : quand l’Europe ou les États-Unis retrouvent de la stabilité, nous en bénéficions avec trois à six mois de décalage. En revanche, à la moindre nouvelle pénurie, les prix flambent instantanément».

Pour l’heure, l’équation reste la même : une demande mondiale vorace, une production saturée et des prix qui s’envolent. Selon Chakir, «les GPU sont devenus le nouveau pétrole de l’ère numérique. Chaque carte graphique disponible au Maroc n’est plus un simple composant, mais un symbole de souveraineté technologique». 

 

 

 

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