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Sommes-nous allergiques à l’impôt ?

Sommes-nous allergiques à l’impôt ?

Il me semble nécessaire de prendre un peu de recul vis-à-vis des récentes polémiques relatives au PLF 2023, pour interroger notre rapport à l’impôt. Car ce à quoi nous assistons actuellement, ce n’est ni plus ni moins qu’un changement partiel pour l’instant et graduel, du régime même de l’impôt, et ce depuis l’introduction de la retenue à la source de l’IR pour les professions libérales. Les mots équité, justice, pertinence ont souvent été évoqués dans les différents débats, mais très peu se sont interrogés sur les fondements mêmes de l’impôt et de notre rapport à ce dernier. La plupart des gens préfèrent éviter ce genre de questionnement, les jugeant trop abstraits, sans savoir qu'ils en payent souvent tous les jours le prix. Car de même que nul n’est censé ignorer la loi, nul n’est censé démissionner de sa citoyenneté, ou la sacrifier sur l’autel de la technicité.

Or, les débats citoyens sur les fondements d’une dynamique démocratique doivent être au centre des préoccupations de chaque citoyen. Ainsi, sommes-nous de mauvais payeurs comme certains le pensent pour des raisons culturelles ? Ou encore historiques ? Notre réticence à payer l’impôt est-elle des fois compréhensible, sans pour autant être défendable ? Et l’Etat, ne voit-il pas dans l’impôt qu’un moyen de boucher les trous des différents déficits. Nous allons tenter d’y répondre en abordant l’impôt sous 4 angles différents, mais complémentaires :

• La légitimité : qui décide l'impôt ? et qui en trace les limites ?

• Le sens : l’impôt obéit-il à une logique ? Y a -t-il un sens ?

• La crédibilité : les résultats de l’usage qui en est fait sont-ils palpables ?

• La soutenabilité : le niveau d’imposition est-il contre-productif ?

 

Commençons par la légitimité

Dans tout État de droit moderne régi par conséquent par un ordre constitutionnel et par une séparation claire des pouvoirs, l’impôt ne saurait être décidé selon une logique arbitraire. Il est toujours et partout le fruit d’une décision souveraine. Il revient donc aux représentants légitimes du peuple de voter l’impôt, en vue de lui procurer une légitimité indiscutable, faisant ainsi l’économie d’une violence, contraire à l’esprit délibératif et participatif de la démocratie. Mais si sur le plan formel, c’est bien le Parlement au Maroc qui vote librement les lois fiscales, d’autres aspects viennent interroger cette légitimité.

Premièrement, le taux de participation aux élections législatives qui a à peine dépassé les 50% lors des dernières élections. Autrement dit, la moitié seulement des électeurs a voté pour ceux qui vont représenter 100% des personnes inscrites sur les listes électorales. Mais ce n’est pas problématique dans la mesure où, comme disait un de mes plus grands professeurs : «les absents ont toujours tort !». Autre aspect problématique, une souveraineté a beau être légitime, tout dépend de l’usage qui en est fait. Car une fois élu, le représentant peut décider de trahir politiquement sa base électorale, notamment sur les questions fiscales, en privilégiant ses intérêts ou ceux d’un groupe d’intérêt, au détriment de ceux qui l’ont élu. Et à part les yeux qui leur restent pour pleurer, les électeurs devront de se contenter d’attendre les prochaines élections pour sanctionner politiquement le renégat.

 

Deuxièmement, la question du sens de l’impôt

Étant l’un des fondements du contrat social, l’impôt doit avoir du sens pour la communauté qui aura à le supporter. Dans un Etat providence, un impôt n’a de sens que dans la mesure où il contribue à la réalisation de l’intérêt général et au renforcement de la solidarité sociale entre classes. Il doit aussi être la contrepartie des prestations fournies par l’Etat (Santé, éducation, transport, sécurité,...). Or, au Maroc, c’est loin d’être évident, à en juger par l’état de l'hôpital et de l’école publique, mais aussi du sentiment d’insécurité que vivent bon nombre de nos citoyens, mais surtout de nos citoyennes. Reste la solidarité, mais la solidarité avec qui ? Avec ceux qui ne payent aucun impôt et qui veulent rester dans l’informel ? Difficile de donner du sens à tout cela. De même, si je paye des impôts et des taxes pour la santé et l’école publique, et que par ailleurs, je me retrouve obligé de placer mes enfants dans le privé pour leur garantir un espoir d’avenir et de me soigner dans une clinique ou auprès de médecins privés, ces impôts ont-ils toujours un sens pour moi ?

Le sentiment d’injustice et de non-sens qui peut en découler, donne souvent lieu à un sentiment de contrainte et d’expropriation inique au moment de payer l’impôt, ou pire, à la tentation de trouver un moyen frauduleux pour ne pas payer tout court. Ainsi, sans une volonté politique claire et affirmée, et sans un modèle de développement économique crédible, palpable et efficace, aucun sens ne peut être donné à l’impôt, sinon celui de réduire les déficits, de boucher les trous budgétaires et de gagner du temps pour le gouvernement. Car quand il y a un quelconque désir politique d’opérer des changements au niveau fiscal, ce que le gouvernement appelle «réforme fiscale», revient au fait ni plus ni moins qu’à des adaptations conjoncturelles et à des jeux de vases communicants entre différentes rubriques budgétaires.

Le résultat est que toute notre architecture fiscale est le produit de plusieurs strates qui se sont successivement accumulées dans le temps, donnant lieu à une sorte de nœud gordien qu’aucun gouvernement n’ose ne serait-ce que tenter de dénouer. Une complexité inefficace, qui paralyse autant le marché et l’esprit d’initiative que le pouvoir d’achat des citoyens. Il en résulte que la question du sens ou de la fonction de l’impôt, est étroitement liée à l’usage qui en est fait et au degré d’efficacité dont découle la crédibilité. Comme évoqué précédemment, sans une vision politique et économique claire, cohérente et réaliste, la perte de sens de l’impôt aura de beaux jours devant elle. Et vous aurez beau collecter tous les impôts possibles et imaginables, leur efficience en l’absence de stratégie et de vision demeurera très faible, voire même contre-productive. Mais de plus grands dangers peuvent découler de cette perte de sens et du manque d’efficacité budgétaire. Car parmi les fonctions fondamentales de l’impôt, figure la création d’un lien social solide et d’un sentiment d’appartenance fort à une communauté politique qu’on appelle «Nation».

De ce point de vue, l’opacité, le nonsens et la complexité stérile de notre système fiscal ont pour corolaire la fragilisation de ce sentiment de commun, au profit d’appartenance corporatiste, de classe ou d’intérêt particulier. En témoigne la cacophonie des représentants des différentes professions libérales au Maroc qui, face à l’instauration d’une retenue à la source de l’IR décidée dans le cadre du PLF 2023, ont décidé de négocier chacun de son côté avec le gouvernement, en cherchant à tirer la couverture de son côté, là où normalement ils auraient dû parler d’une voix commune. Enfin, la question du poids et de la soutenabilité de l'impôt, qui pour le coup relève d’une dimension technique, qui certes est pertinente, mais doit se situer en aval de tout le processus de réflexion évoqué depuis le début de cette chronique, et non «à la place» de ce dernier. Ainsi, chers représentants du peuple, avant de voter tel ou tel impôt, tâchez de garder à l’esprit que votre référentiel doit être celui de la légitimité, du sens et de la crédibilité, avant de vous poser la question : «combien cela va rapporter à l’Etat ?». Car je vous rappelle que vous avez été élu par le peuple, et non par le déficit budgétaire, le FMI ou la charge de la dette. Car, en tentant de réduire à tout prix et par tous les moyens le déficit budgétaire, vous risquez d’en aggraver un autre, celui de la confiance entre les citoyens et l’Etat. Le Marocain est par conséquent un citoyen et un contribuable comme un autre. Il payera avec joie tous les impôts qu’il faudra, dans la mesure où il les jugera légitimes, cohérents et efficaces. 

 

 

Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d'Arkhé Consulting

 

 

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