Comme à son ordinaire, la transmission de la politique monétaire vers l’économie réelle se fait selon un processus séquentiel, dont la complétude requiert des délais plus ou moins longs. Compte tenu de ces délais, il est un lieu commun d’affirmer que la Banque centrale n’est pas tenue de réagir à une inflation d’ores et déjà réalisée, mais plutôt aux anticipations d’inflation. L’idéal serait donc de hausser le taux directeur avant la diffusion des tensions inflationnistes dans la structure des prix.
En plus de réduire le potentiel d’inflation contenu dans la demande agrégée, ce serait d’abord un signal aux marchés financiers : la politique monétaire est forward-looking et la Banque centrale est intraitable quant à la stabilité des prix. Et c’est sans surprise que le Conseil de Bank Al-Maghrib (BAM), par ailleurs paré de toutes les vertus, s’appuie dans son procès de prise de décision sur les valeurs futures du taux d’inflation et que l’on peut puiser dans deux principales sources. D’un côté, BAM mène une enquête trimestrielle auprès des acteurs du secteur financier, portant sur leurs anticipations d’inflation. D’un tout autre côté, et dans le cadre de ses projections macroéconomiques, BAM procède à l’estimation des prévisions d’inflation. Et qu’il s’agisse des anticipations ou des prévisions d’inflation, les deux sont établies pour un horizon qui s’étale sur les huit trimestres à venir.
Toutefois, force est de constater une nette divergence entre les valeurs anticipées par les professionnels de la finance, et les valeurs calculées en interne par les équipes de BAM. Une divergence synchrone avec la vague d’inflation qui s’est déferlée sur le Maroc depuis le début de l’année 2022. Pour dire simple, BAM est décidément plus optimiste quant à l’inflation future et prévoit des taux bien inférieurs à ceux qu’anticipent les marchés financiers. Juste constat. À un détail près : c’est plus qu’une marge d’erreur tenant à l’asymétrie d’information entre la Banque centrale et les marchés financiers.
En particulier, lorsque tout ou presque semble indiquer que les aboutissants en sont moins simples et plus alarmants qu’ils le paraissent. Et ceux-ci d’être mis en exergue pour le démontrer. D’abord, et sans polémique aucune, une telle asymétrie d’information n’a pas lieu d’être entre décideurs publics et faiseurs d’opinion. Ensuite, il est plus à craindre que cette simple divergence de chiffres soit à même d’altérer le processus de transmission de la politique monétaire. Le fait est que l’output du modèle de projection adopté par BAM est inconsistant avec les prévisions des acteurs du marché financier.
Au fond, cela indique que le taux d’intérêt réel, c’està-dire le taux d’intérêt nominal corrigé de l’inflation anticipée, est plus faible que ce qu’en juge BAM. Ainsi, la rémunération effective des dépôts à terme est relativement faible pour les ménages, ce qui réduit la substitution intertemporelle de l’épargne à la consommation et, ce faisant, affaiblit la transmission du resserrement monétaire vers la demande agrégée, et ce par rapport à ce qu’il en serait dans le monde modélisé par BAM. Et ce qui vaut pour les taux créditeurs s’applique aussi aux taux d’intérêt débiteurs. Le coût réel du capital serait donc plus amoindri que sa valeur simulée par le modèle de projection, puisque les taux débiteurs réels s’en trouvent réduits par une inflation anticipée à des valeurs nettement supérieures à ce que prédit la Banque centrale.
Bien entendu, le taux de change réel n’est pas en reste : l’appréciation réelle du Dirham serait plus forte que celle prévue par la Banque centrale. Il s’ensuit donc une transmission de la politique monétaire dont l’amplitude et la promptitude seraient bien inférieures à celles simulées par BAM. Et jusqu’à ce que ces divergences abyssales soient aplanies, le Maroc continuera d’avoir un double à la Banque centrale, toujours d’humeur à snober le soi dont il est l’ombre et qui ne l’écoute que d’une oreille distraite. Alors qu’en ce moment de vérité, rien n’interdit de s’interroger sur les règles de conduite qui régissent le comportement des Marocains qui peuplent le monde-modèle de BAM, et si cette dernière réagit à ce qu’anticipent «ses Marocains», ou bien à ce qu’anticipent les Marocains.
Par Hachimi Alaoui