Le Maroc entre dans une phase où l’agenda social prend le pas sur les équations budgétaires. Face aux revendications du collectif GenZ212, le PLF 2026 tel qu’esquissé en août répond-il aux attentes ou doit-il être réajusté ?
Par Y. Seddik
La note d’orientation du PLF 2026 fixe quatre cap majeurs : consolider l’émergence économique, équilibrer croissance et justice sociale, renforcer l’État social et préserver les équilibres des finances publiques. Elle insiste sur la réduction des disparités sociales et spatiales, l’élargissement de la couverture sociale, la montée en puissance de l’investissement productif et la maîtrise de la dette.
L’Exécutif promet ainsi de maintenir la croissance autour de 4,5% en 2026, avec un déficit budgétaire ramené à 3% du PIB et une dette stabilisée à 65,8%. Toutefois, c’est l’emploi qui fait figure de talon d’Achille. Après trois trimestres de créations dynamiques dans le non-agricole, le deuxième trimestre 2025 a marqué un coup d’arrêt : à peine 5.000 postes nets créés, contre plus de 280.000 au premier trimestre.
Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib, a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme en avertissant que ce ralentissement menace la consommation intérieure, principal moteur de la croissance. C’est une alerte qui fait écho aux revendications de la jeunesse, centrées sur le quotidien, l’emploi, l’accès aux soins et l’éducation. En d’autres termes, les fondamentaux macroéconomiques (croissance, inflation maîtrisée, recettes d’exportations dynamiques) risquent d’être fragilisés si l’emploi ne suit pas. Et c’est précisément ce lien emploi-consommation qui conditionne la soutenabilité sociale de la croissance.
Points de convergence et d’écart
On retrouve dans la note d’orientation du PLF 2026 déjà certains chantiers qui recoupent les revendications de la GenZ. Au centre, la justice spatiale, présentée comme un axe structurant du budget 2026 : réduction des disparités territoriales, valorisation des spécificités locales, consolidation de la régionalisation avancée et principe de solidarité entre les entités territoriales. C’est une traduction directe des hautes orientations royales, mais qui rejoint aussi le constat de la jeunesse : les fractures sociales et régionales restent vives.
Dans le domaine éducation-formation-enseignement-emploi, la note met en avant un ensemble d’initiatives censées garantir l’égalité des chances. Le programme des «Écoles pionnières», généralisé à 1,3 million d’élèves, amorce une refonte du modèle éducatif, tandis que les «Écoles de la deuxième chance», avec un objectif de 400 centres d’ici 2030, visent à lutter contre la déperdition scolaire.
La feuille de route pour l’emploi, de son côté, ambitionne de ramener le chômage à 9% à l’horizon 2030, en s’appuyant sur huit initiatives structurantes orientées vers le développement des compétences et l’intégration professionnelle. Ces mesures répondent, dans leur principe, à plusieurs doléances du manifeste GenZ, en l'occurrence l’école, l’emploi et l’équité. En revanche, deux écarts demeurent.
Le premier est celui de la temporalité, avec des jeunes qui demandent des réponses immédiates, quand le PLF 2026 fixe des horizons 2026 ou 2030. Le second est celui de la concrétisation, avec des programmes qui sont annoncés comme des intentions stratégiques, mais restent vagues sur les budgets alloués, les calendriers et les mécanismes de reddition des comptes. Or, c’est précisément l’exécution et la transparence qui sont au cœur du scepticisme de la jeunesse. Ainsi, si convergence il y a sur les thèmes, le décalage persiste sur l’urgence et sur la capacité de l’État à matérialiser rapidement ses engagements.
L’équation politique
Le Maroc doit concilier discipline macroéconomique et urgence sociale. Les chiffres de croissance (5,5% au T3) risquent de rester abstraits pour une jeunesse confrontée au chômage, aux hôpitaux saturés et aux inégalités scolaires.
La question n’est pas tant de changer les priorités, mais de les réincarner : mettre en avant la santé publique via un plan hospitalier d’urgence; traduire la trajectoire éducative en moyens visibles dans les classes; donner une matérialité à la justice spatiale, avec des cibles régionales et des échéances claires; intégrer enfin la reddition des comptes et la lutte contre la corruption comme cinquième priorité explicite.
Younès Sekkouri, ministre de l'Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l'Emploi et des Compétences, a d’ailleurs affirmé le 2 octobre que le gouvernement est prêt à revoir ses priorités et à intervenir immédiatement, sans attendre janvier. Une manière de rappeler que la responsabilité politique de l’Exécutif est de servir les citoyens au quotidien.
Le PLF 2026 est cohérent et solide du point de vue macroéconomique. Seulement la rue, elle, ne réclame pas une trajectoire de soutenabilité financière, mais exige plutôt des preuves tangibles d’un État social vivant. Le risque, à défaut d’ajustement, est de voir s’élargir l’écart entre rationalité technocratique et urgence sociale.