Mahmoud Oudrhiri, Directeur général délégué de la MAMDA, a présenté l’expérience marocaine en matière d’assurance agricole à l’occasion des rendez-vous de Casablanca de l’assurance. Nous l’avons rencontré également au SIAM à Meknès.
Propos recueillis par A. Hlimi
Finances News Hebdo : L'assurance climatique est l’une des thématiques phares du rendez-vous de Casablanca cette année. La MAMDA est un acteur incontournable de cette branche. Que pouvez-vous nous dire de l'expérience marocaine ?
Mahmoud Oudrhiri : Le Maroc a démarré relativement tôt. Déjà, dès 1994, il a mis en place le premier programme lié à l'aléa sécheresse pour les céréales, sous forme de garantie de l'État. Et puis il y a eu une étape très importante au niveau de l'assurance agricole au Maroc, en 2011, quand ce programme a été transformé en un contrat d'assurance. Où l’on est passé d'une simple garantie sécheresse à une multirisque climatique intégrant six aléas climatiques, et d'une garantie de l'État à un contrat d’assurance en bonne et due forme dans le cadre d’un partenariat public-privé entre le ministère de l'Agriculture, le ministère des Finances et la MAMDA Cette multirisque climatique est destinée aux grandes cultures, c'est-à-dire les céréales, les oléagineux et les légumineuses.
F.N.H. : Comment fonctionne cette multirisque climatique ?
M. O. : C'est une garantie qui est basée sur la perte de rendement. Il faut imaginer que chaque parcelle de terrain fait partie d'une commune rurale, et que chaque commune rurale fait partie d'une zone agricole. Le Maroc est découpé, selon les rendements historiques, en 3 zones agricoles : la zone favorable, la zone moyennement favorable et la zone défavorable. L’indemnisation intervient quand le rendement observé au niveau d’une commune donnée est inférieur au rendement de référence de ladite commune.
F.N.H. : On parle de success story en évoquant la multirisque climatique au Maroc. Quels sont les facteurs de ce succès ?
M. O. : Je citerais peut-être trois facteurs. Je pense que le premier, c'est le modèle choisi par le Maroc. Et quand on fait le benchmark à l'international, je pense que le modèle marocain reprend tous les bons codes et toutes les bonnes pratiques qu'on trouve dans le modèle espagnol, canadien, etc. il est important d'insister sur le choix du modèle et sa pertinence, qui est un facteur clé pour moi. On peut citer comme deuxième facteur la politique volontariste de l'État, à travers le ministère de l'Agriculture, pour vouloir absolument développer la résilience des agriculteurs. L'État est là, il est partie prenante dans tout le processus : au niveau financier, mais pas que, puisqu’il intervient dans la définition du produit, du prix, de l’expertise…. L'État fait également montre d'une agilité certaine pour faire évoluer le produit. Depuis 2011, nous sommes à la cinquième version du produit. Cette agilité est très importante pour ce genre de programmes.
Dernier facteur, et là, je vais prêcher pour ma paroisse !, c'est l'opérateur et tout le travail fait par la MAMDA, en s’appuyant sur une expertise et une expérience de plus de 60 ans mise à contribution dans ce grand projet de partenariat public-privé. Pour ce qui est des chiffres de ce succès, depuis la transformation du programme en un contrat d’assurance en 2011, nous avons observé un saut spectaculaire dans les superficies assurées, qui sont passées d'une moyenne d’environ 68.000 hectares avant 2011 à 1,2 million d'hectares assurés à fin 2023. Par ailleurs, durant les onze dernières années, pas moins de 4,5 milliards de dirhams d'indemnisation ont été effectués, avec une accélération ces dernières années, puisque le total des indemnisations des 5 dernières années est de plus de 3 milliards de dirhams. Le succès peut être mesuré également par la qualité de service. Parce que, au-delà des chiffres, je pense que l'opérateur a mis en place tous les moyens humains, financiers, techniques et technologiques pour upgrader sa qualité de service. Un effort particulier a été mis sur l’innovation et la digitalisation. Ainsi, la MAMDA est devenue en quelques années l’un des premiers consommateurs d'imagerie satellitaire au Maroc, mais également des indices et des paramètres agricoles comme le NDVI (indice de végétation) ou des systèmes d’information géographiques, ou encore des drones lors des phases d'expertise. Tout cela pour mieux anticiper, mieux évaluer et mieux servir le client.
F.N.H. : L'agriculteur rentre-t-il dans ses frais grâce à cela ?
M. O. : Le bilan est très en faveur de l'agriculteur, parce qu'en moyenne sur la période il a payé 32 dirhams par hectare et par an, et il a reçu en moyenne 420 dirhams par hectare et par an sur la même période.
F.N.H. : Retrouve-t-on des systèmes comparables en Afrique ?
M. O. : Je pense que l'expérience marocaine est de loin la plus aboutie en Afrique. En revanche, l'Espagne, qui a partagé son expérience lors des rendez-vous de Casablanca de l’assurance, est certainement l’expérience la plus aboutie en Europe.
F.N.H. : Les rendez-vous de Casablanca ont traité de l’assurabilité (ou non) des risques climatiques face à la multiplication des sinistres. Qu'en est-il au Maroc et quelles sont, à votre avis, les solutions pour garantir la soutenabilité du risque ?
M. O. : Effectivement, il y a une aggravation du risque observée sur les 6 dernières années, et les perspectives futures confirment malheureusement cette aggravation. Il s’agit d’un phénomène mondial, qui en plus, rend le marché international de réassurance de ce type de risques de plus en plus tendu ! Face à cette situation, il y a deux types de pistes que l’on peut envisager : comment limiter le risque et comment le mitiger ? Je pense qu’une des pistes les plus sérieuses pour limiter la sinistralité de la multirisque climatique consiste à améliorer la volatilité des rendements des céréales au Maroc. Nous enregistrons aujourd’hui des niveaux de rendement très bas et que l'on peut améliorer : heureusement ! Il y a plusieurs initiatives étatiques et privées œuvrant dans cet objectif, et qui couvrent tout le cycle de production des céréales :
1. Développement et utilisation de semences de qualité et résilientes au changement climatique, avec des gains très significatifs sur le rendement (entre 20 et 40% selon les cultures. Sur ce point, nous avons tout ce qu'il faut en termes de recherche et développement, grâce notamment à nos instituts de recherche comme l’INRA…) et en termes d’incentives pécuniaires.
2. Le passage d’un semis traditionnel au semis direct, avec des gains sur le rendement de l’ordre de 30%. Plusieurs initiatives sont lancées dans ce sens, notamment l’initiative 1 million d’hectares du ministère de l’Agriculture, ou l’initiative «carbon farming» qui peut également être citée comme opportunité à saisir par les agriculteurs pour réduire l’impact carbone de leurs cultures, recevoir une rémunération en contrepartie, tout en augmentant leurs rendements.
3. L’amélioration du suivi des étapes de production par le bon conseil technique et par l’utilisation de la technologie (prédiction météo, analyse de données, agriculture connectée…) pour optimiser les traitements phytosanitaires, engrais… L'autre piste également importante, c'est comment mutualiser ou mitiger le risque sécheresse concernant les céréales avec d'autres aléas climatiques comme le gel et la grêle pour l’arboriculture. Et là, je pense que le cas espagnol est très édifiant. En Espagne, le taux de couverture des bananiers par la multirisque climatique est de 100% !, celui des pommiers de 83% !…
F.N.H. : Les solutions pour l’amélioration des rendements sont connues et les initiatives liées aux solutions sont lancées. Quels sont alors les freins qui empêchent l'atteinte de cette productivité rapidement ?
M. O. : La contrainte majeure à mon avis est le morcellement des terrains. Nous avons de très petits terrains, donc de très petits agriculteurs. Il est difficile de moderniser le processus de production à l'échelle de chaque agriculteur qui a une parcelle de 1 ou 2 hectares. Ceci dit, des solutions existent. Le Maroc s’est même doté d’une loi sur l'agrégation agricole, mais qui peine encore à se mettre en marche pour les céréales, sachant que sur d'autres cultures, notamment les cultures sucrières, nous avons réussi un des meilleurs modèles du continent en termes d'agrégation. Si nous savons le faire pour les cultures sucrières, je reste confiant par rapport à notre capacité de le faire pour les céréales, ce qui nous rapprocherait de notre objectif d’une production plancher de 50 Mq par an fixé dans la stratégie de sécurité alimentaire de notre pays.
F.N.H. : La MAMDA est l’assureur de référence de l’agriculture nationale. Elle a soutenu le SIAM depuis son lancement. Comment jugez-vous l’évolution de cet évènement ?
M. O. : Le SIAM est devenu effectivement l’évènement incontournable de l’agriculture au niveau régional et continental, et un des évènements phares au niveau mondial. Son rayonnement se traduit d’abord, par ses chiffres édifiants : plus de 900.000 visiteurs, plus de 1.500 exposants et plus de 70 nationalités, mais également par son programme scientifique qui traite de sujets d’actualité de grande importance et qui fait intervenir les meilleurs experts mondiaux en la matière. La 4ème édition de l’initiative triple A (Adaptation de l’Agriculture Africaine) sous le leadership du Maroc, tenue en marge du SIAM 2024, est une autre illustration du rôle continental que joue le Maroc pour trouver de vraies solutions pour l’agriculture africaine en face du changement climatique, et qui vient s’ajouter aux multiples visions du Royaume pour le développement continental : vision atlantique, gazoduc Nigéria-Maroc... Pour la MAMDA, le SIAM est un rendezvous annuel très fort qui nous permet de rencontrer dans un même lieu des sociétaires venant nous rendre visite de toutes les régions du Maroc. C’est l’occasion de les écouter et de leur parler de leur compagnie et des nouveaux services mis à leur disposition. La MAMDA noue une relation de plus de 60 ans avec les agriculteurs petits, moyens et grands, et toutes les occasions sont bonnes pour célébrer cette fidélité dans un contexte convivial et familial !