Au titre du premier semestre, 10 profits warning ont été lancés; ce qui prouve, tant s’en faut, que les émetteurs prennent de plus en plus conscience de la nécessité de communiquer avec le marché. La nouvelle génération de réformes va considérablement renforcer la transparence financière à tra-vers, entre autres, la publication des états trimestriels et l’habilitation délivrée par l’autorité du marché aux analystes. Les commissaires aux comptes des entités faisant appel public à l’épargne auront l’obligation de rotation de l’associé signataire au terme d’un délai de 6 ans, et l’obligation de change-ment du cabinet au terme d’un délai de 12 ans. Tour d’horizon avec Hassan Boulaknadal, Directeur général du Conseil déontologique des valeurs mobilières.
Finances News Hebdo : Que va apporter la nouvelle génération de réformes en termes de renforcement de la transparence financière ?
Hassan Boulaknadal : La nouvelle génération de réformes, représentée principalement par les lois relatives à l’autorité du marché et à l’appel public à l’épargne et aux obligations d’information relatives aux personnes morales faisant appel public à l’épargne présente des évolutions importantes destinées à répondre à plusieurs objectifs, notamment : - l’amélioration de la communication financière des émetteurs, puisque la loi 44-12 relative à l’appel public à l’épargne et aux obligations d’information des personnes morales faisant appel public à l’épargne prévoit un renforcement desdites obligations, notam-ment la publication sur une fréquence trimestrielle des indicateurs d’activité et financiers afin de fournir au marché une information plus régulière et actualisée, utile aux investisseurs pour leur prise de décision. La loi prévoit également la publication de rapports finan-ciers annuels et semestriels qui contiendront, outre les états financiers habituels, plusieurs autres documents qui seront fixés par une circulaire de l’Autorité ; - le renforcement de la sécurité des opérations d’appel public à l’épargne, notamment en octroyant la possibi-lité à l’Autorité de recourir à des experts indépendants lorsque les circonstances l’exigent. Par ailleurs, le texte relatif à l’autorité du marché pré-voit de nouvelles prérogatives afin de mieux sécuriser l’information diffusée auprès du public, notamment par la mise en oeuvre d’un dispositif d’habilitation des personnes physiques à exercer certaines fonctions, dont l'analyse financière.
F.N.H. : Justement, on vient de boucler la période de communication des états semes-triels. Avez-vous senti une amélioration de la quantité et, surtout, de la qualité de l’informa-tion rendue publique par les sociétés cotées ?
H. B. : Effectivement, le 30 septembre était la date limite des publications semestrielles. Sur la centaine d’émetteurs qui ont publié leurs comptes au titre du 1er semestre 2015, et à ce stade de l’analyse, nous avons noté certains éléments, dont notamment : • la publication de 10 profits warning, contre une absence de publication de profits warning au titre du 1er semestre 2014. Cela dénote d’une prise de conscience de la part des dirigeants des émetteurs de l’intérêt de communiquer avec le marché, au moment opportun; • 100% des émetteurs ont respecté l’exhaustivité des canevas prévus par la circulaire du CDVM relative aux états financiers semestriels; • un seul émetteur non coté, sur un total de 100, a dépassé le délai légal de publication au titre du 1er semestre 2015; • 14 émetteurs ont tenu une conférence au profit des analystes et de la presse spécialisée, pour commenter leurs réalisations semestrielles; c’est pratiquement le même nombre de conférences qui ont été organisées au titre du 1er semestre 2014. Ces chiffres et constats démontrent que le processus de communication financière a atteint un certain degré de maturité. Il reste encore, bien entendu, des efforts à fournir de la part des émetteurs, aussi bien en termes de communication extra-financière qu'en termes de fréquence de communication en dehors des seuls rendez-vous légaux et réglementaires.
F.N.H. : L’on s’achemine vers la publication obligatoire des états trimestriels. Qu’avez-vous convenu en termes de contenu dans le cadre des concertations menées avec les dif-férents acteurs, notamment les commissaires aux comptes ?
H. B. : L’établissement d’indicateurs trimestriels vise à rapprocher les rendez-vous de communication entre les émetteurs et les investisseurs. Comme toute démarche réglementaire, le CDVM a entamé une phase de concertation avec l’ensemble des parties prenantes, y compris les commissaires aux comptes. Par ailleurs, et comme vous le savez, certains émetteurs cotés exercent des activités faisant l’objet d’une régulation sectorielle, et donc, dans un souci de coopération et de cohérence, nous allons faire converger les différentes exigences. Cette approche sectorielle, qui relève des standards internationaux en la matière, va déboucher sur une proposition plus pertinente d’indicateurs d’activités et financiers à publier par les émetteurs, sur une base trimestrielle. F.N.H. : Est-ce que cette obligation va concer-ner toutes les entreprises cotées, y compris les PME ?
H. B. : Nous avons adopté en la matière l’approche qui est préconisée par l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV). Cette approche consiste à doser l’effort de régulation en termes d’exigence de communication financière, de manière à ne retenir que les indicateurs les plus pertinents, et de manière aussi à ce que ces indicateurs soient éla-borés par les émetteurs en un temps assez court, et de façon fiable. Donc, les indicateurs à publier par les PME faisant appel public à l’épargne seront élaborés en prenant en considération les aspects liés à cette catégorie, en plus des aspects relatifs au secteur dans lequel elles évoluent.
F.N.H. : Ne faudrait-il pas aller plus loin en exigeant la multiplication d’informations extra-comptables ?
H. B. : Vous avez tout à fait raison. Les informations extra-comptables sont une source d’informations très intéressante pour les investisseurs en valeurs mobilières.
C’est dans ce sens que nous avons prévu au sein de la loi 44/12, l’obligation de publication de rapports financiers sur une base annuelle et semestrielle. Ces derniers seront étoffés par des documents tels que le rapport spécial des commissaires aux comptes, le rapport de gestion et plusieurs autres documents…
Ainsi, en étoffant le corpus des documents publics, nous visons à combler le besoin en données régulières et précises sur les sociétés faisant appel public à l’épargne.
F.N.H. : Il est prévu le renforcement du contrôle des analystes à travers une habilitation délivrée par la future Autorité du marché des capitaux. Concrètement, comment cela va-t-il se faire ? Autrement dit, quels sont les critères qui ont été arrêtés pour délivrer cette habilitation ?
H. B. : Les analystes financiers jouent un rôle crucial dans l’élaboration de l’opinion des investisseurs sur le marché, en général, et sur les valeurs cotées, en particulier. Cela requiert, comme il est d’usage dans les marchés matures, une technicité et un degré de connaissance des techniques financières et comptables assez évolué. C’est dans ce souci que le législateur a doté l’autorité du marché du pouvoir lui permettant de s’assurer du professionnalisme des personnes physiques qui exercent, sous son contrôle, une telle fonction au sein des sociétés.
Là aussi, la démarche de concertation avec les professionnels de la place a été menée de manière à s’assurer qu’elle est conforme aux meilleures pratiques en la matière. Dès la publication des textes d’application, l’habilitation des acteurs sous contrôle de l’autorité passera par un examen des connaissances, à la fois réglementaires et techniques.
F.N.H. : Il arrive qu’un même cabinet certifie les comptes d'une société pendant une longue période, allant parfois jusqu'à dix ans et même plus. Cela est-il interdit par la loi ? Et les affinités naturelles qui se créent avec le temps ne risquent-elles pas de biaiser la sincérité de l'information financière distillée au public ? En tant que gendarme du marché, n'est-il pas de votre ressort de remédier à ce genre de situation ?
H. B. : Je vous rappelle que pour les sociétés qui font appel public à l’épargne, les règles sont d’ores et déjà plus contraignantes puisqu’elles sont tenues de désigner au moins deux commissaires aux comptes indépendants, aussi bien vis-à-vis de la société que l’un vis-à-vis de l’autre. En outre, l’indépendance des commissaires aux comptes est encadrée par plusieurs exigences, tant sur le plan légal que sur le plan ordinal. Je peux vous assurer que le CDVM veille de près au respect de ces exigences et qu’il le fera davantage dans le cadre du nouveau texte sur l’Autorité qui lui procure des prérogatives élargies en la matière.
Concernant la rotation des commissaires aux comptes, et sous l’impulsion du CDVM dans le cadre de la commission mixte CDVM-Ordre des experts-comptables, le Conseil national de l’Ordre des experts-comptables a d’ores et déjà adopté une décision relative aux commissaires aux comptes des sociétés faisant appel public à l'épargne.
Ladite décision précise que les commissaires aux comptes des entités faisant appel public à l’épargne auront l’obligation de rotation de l’associé signataire au terme d’un délai de 6 ans, et l’obligation de changement du cabinet au terme d’un délai de 12 ans.
Propos recueillis par David William