Depuis ce mois de janvier 2025, le secteur bancaire marocain applique deux nouvelles normes bâloises : le ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR) et le processus d’évaluation de l’adéquation de la liquidité (ILAAP). Ces nouvelles exigences, introduites par Bank Al-Maghrib, visent à consolider la solidité du secteur bancaire tout en répondant aux impératifs des standards internationaux.
Par Y. Seddik
Depuis quelques semaines, les banques marocaines doivent composer avec un cadre réglementaire plus musclé. La première de ces normes, le Net Stable Funding Ratio (NSFR), ou ratio structurel de liquidité à long terme, impose aux banques de maintenir un niveau minimum de ressources financières stables pour couvrir leurs besoins de financement sur un horizon d'un an. En d'autres termes, il s'agit de s'assurer que les banques ne dépendent pas excessivement de financements à court terme pour soutenir des actifs à long terme, une pratique risquée connue sous le nom de transformation des échéances.
Contacté à ce sujet, un banquier de la place nous explique : «le NSFR nous pousse à revoir profondément nos stratégies de financement. Là où nous avions l’habitude de mobiliser des ressources à court terme à moindre coût, nous devons désormais privilégier des financements stables. Cette norme va donc inciter les banques à être moins exposées aux chocs de liquidité et à favoriser une croissance durable. Mais pour certaines banques, cela peut s’accompagner de pressions sur les marges, notamment en raison du coût des ressources longues».
Concrètement, le NSFR, fixé à un minimum de 100% sur base sociale et consolidée, met en balance les capitaux propres et autres passifs pondérés en fonction de leur stabilité avec les actifs et expositions hors bilan pondérés en fonction de leur liquidité et de leur durée résiduelle. Par conséquent, cette approche pragmatique encourage les banques à privilégier les sources de financement stables et à adopter une gestion plus prudente de leurs actifs.
Mais pour certains experts, le respect de cette norme va contraindre les banques à détenir davantage de ressources longues en face de leurs emplois longs, ce qui va à l’encontre du métier traditionnel du banquier (transformation bancaire), consistant à prêter à long terme et se refinancer à court terme. Ainsi, la hausse des coûts de refinancement devrait mécaniquement entraîner une hausse des taux d’intérêt.
ILAAP : Une évaluation interne renforcée
En parallèle, la seconde norme, l'Internal Liquidity Adequacy Assessment Process (ILAAP), ou processus d'évaluation de l'adéquation de la liquidité, place l'accent sur l'évaluation interne des risques de liquidité par les banques ellesmêmes. Contrairement au NSFR, qui repose sur des ratios précis, l'ILAAP exige des établissements qu'ils mettent en place des mécanismes robustes pour identifier, mesurer et gérer leurs risques de liquidité. Cette démarche inclut notamment la constitution de coussins de liquidité de haute qualité, même en période de tensions prolongées.
Comme l’explique notre professionnel, «l’ILAAP est un véritable changement sur le volet de la gestion de liquidité. Il ne s’agit plus seulement de répondre à des ratios réglementaires comme le LCR (Liquidity Coverage Ratio; ndlr), mais de mettre en place une véritable réflexion stratégique sur les scénarios de crise. Cela va nous obliger à anticiper des situations spécifiques au marché marocain, comme une éventuelle tension sur les dépôts ou les fluctuations des devises». En effet, ce dispositif ne se limite pas à une simple évaluation. Il s'accompagne d'un renforcement des indicateurs de surveillance de la liquidité, avec un focus particulier sur :
• La liquidité intra-journalière, qui nécessite une gestion fine des flux de trésorerie quotidiens pour honorer les obligations de paiement et de règlement, en situation normale comme en période de crise.
• Le LCR par devise, qui impose un suivi précis du Liquidity Coverage Ratio (LCR), ou ratio de liquidité à court terme, pour chaque devise significative, conformément à la circulaire de Bank Al-Maghrib n°15/G/2013.
• Les actifs liquides non grevés, qui garantissent la disponibilité d'actifs pouvant servir de garantie pour obtenir des refinancements sur les marchés.
• La concentration des financements, avec une surveillance accrue de la dépendance à certaines contreparties ou types d'instruments.
À cet égard, notre banquier précise que «ce processus va nous permettre d’identifier des vulnérabilités que nous n’avions pas envisagées auparavant. Par exemple, la gestion de la liquidité intra-journalière, souvent sous-estimée, s’avère être un point critique pour respecter nos obligations en cas de stress».
Un double objectif de stabilité et de résilience
L'introduction conjointe du NSFR et du renforcement de l'ILAAP marque une étape importante dans l'adaptation du système bancaire marocain aux exigences de Bâle III. En effet, ces mesures visent un double objectif : renforcer la stabilité du système en limitant les risques de liquidité et accroître sa résilience face aux crises potentielles. Toutefois, comme le souligne l’expert, «toutes les banques n’ont pas les mêmes capacités opérationnelles. Pour les plus petites institutions, ces nouvelles exigences nécessiteront des investissements plutôt lourds, tant sur le plan technologique qu’en termes de formation».
Ainsi, les banques de la place devront non seulement respecter des ratios plus stricts, mais également adopter une approche plus proactive et internalisée de la gestion des risques de liquidité. En fin de compte, cette double contrainte devrait consolider la solidité du secteur bancaire marocain et renforcer sa capacité à soutenir le financement de l'économie nationale.