Chose promise, chose due. La FED poursuit son resserrement monétaire, qui n’en est qu’à ses débuts. Elle a augmenté son taux directeur d’une fourchette de 0,25-0,50% vers 0,75-1,0%. Deux précédents suite à cette hausse, qui permettent de prendre conscience du changement majeur qu’opère actuellement la FED. D’abord, c’est la première fois depuis 2000 (période des excès financiers de la bulle Internet), que la FED augmente son taux directeur non pas de 25 points de base, mais de 50. Ensuite, c’est la première fois depuis 2006 qu'elle augmente son taux directeur pour la deuxième réunion successive. En effet, la FED avait déjà augmenté son taux lors de la réunion de mars. Elle suit donc le chemin qu’elle avait annoncé, et qui consistera à augmenter son taux directeur lors de chacune des réunions prévues cette année. Il en reste encore cinq : juin, juillet, septembre, novembre et décembre. Les prévisions du marché anticipent un taux directeur entre 2,5% et 2,75% d’ici la fin de l’année 2022.
Non seulement la FED compte poursuivre ses hausses du taux directeur, mais elle souhaite également réduire la taille de son bilan. Comment ? Elle dispose d’un encours de titres financiers qu’elle avait acheté pour injecter des liquidités, principalement des bons du Trésor, et des obligations émises par les agences gouvernementales de titrisation des prêts immobiliers (Freddie Mac, Fannie Mae, Ginnie Mae). Lorsque ces titres arrivent à maturité, la FED reçoit un remboursement de la part de l’émetteur. Ce remboursement correspond à une destruction monétaire sur son bilan. Pour conserver la même quantité de monnaie en circulation, elle doit réinvestir ces capitaux remboursés. Si elle ne le fait pas, cela correspondra à une ponction définitive de liquidités. C’est ce qu’elle compte faire : ne pas réinvestir les remboursements qu’elle reçoit. Elle compte ainsi réduire son bilan de 30 milliards de dollars par mois de bons du Trésor, et de 17,5 milliards d’obligations immobilières titrisées (Mortgage Backed Securities ou MBS). Trois mois plus tard, elle compte rehausser ces plafonds : 60 milliards pour les bons du Trésor et 35 milliards pour les MBS.
Si jamais la quantité de titres arrivant à maturité ne lui permet pas de ponctionner les objectifs de liquidité qu’elle vise, elle ne se contentera plus d’attendre que les titres arrivent à maturité; elle ira de l’avant en vendant ces titres aux acteurs du marché des capitaux. Les flux reçus après la vente correspondront à une destruction monétaire. Vraisemblablement, c’est ce qui arrivera, car les MBS ont des maturités très longues : il n’y en aura pas suffisamment qui arrivent à maturité sur les mois à venir. La FED durcit sa politique monétaire pour réussir à maîtriser l’inflation, même si elle reconnait tout de même qu’une grande partie de celle-ci provient de l’inflation importée, en raison des ruptures sur les chaînes d’approvisionnement mondiales provenant des confinements de villes industrielles majeures en Chine, et de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. La crainte, c’est que le resserrement de la FED ne ralentisse trop fortement la conjoncture économique. Elle rassure en expliquant que, selon elle, le taux neutre - qui ne provoque ni ralentissement ni accélération de l’activité économique - se situerait quelque part entre 2% et 3% : on en est encore loin.
Le but est d’amener le taux directeur vers cette plage d’ici la fin de l’année. Conséquence immédiate, le Dollar s’est beaucoup renforcé. Il a gagné 8% depuis le début de l’année face aux autres devises, et surtout, il atteint un plus haut de 20 ans face à un panier composé des principales devises internationales. Face au Dirham marocain, il atteint désormais 10,01, en progression de +7,8% depuis le début de l’année. Malgré tous les efforts de la FED, l’inflation qui atteint actuellement 7,6% en 2022 ne baissera qu’en 2023 à 2,8%. Ce niveau est supérieur aux 2% que visent d’habitude les grandes Banques centrales, mais la FED a modifié son objectif. Comme l’inflation a été plus basse pendant un certain temps à son objectif de 2%, elle s’autorise dorénavant à ce que l’inflation dépasse momentanément les 2%, pour compenser le retard cumulé. En d’autres mots, elle s’intéresse maintenant à la moyenne, plutôt qu’à l’arrêté de fin de mois. Du côté des autres principales Banques centrales, plusieurs dynamiques sont observées.
La Banque d’Angleterre suit de près le resserrement américain. La Banque centrale a annoncé un relèvement de 25 points de base de son taux directeur à 1%, le niveau le plus élevé depuis 2009. Par contre, la Banque d’Angleterre est plus pessimiste dans ses déclarations. Contrairement à la FED qui assure que son resserrement n’aura pas d’impact sur l’activité, en Angleterre, Andrew Bailey, le Gouverneur de la Banque centrale admet qu’il y aura un ralentissement certain. L’inflation continuera d’augmenter tout au long de l’année pour toucher près de 10% en fin d’année en raison des prix de l’énergie. Cela devrait faire basculer l’économie britannique en récession au quatrième trimestre de l’année. Ensuite, au niveau de la Banque centrale européenne, on observe une accélération. Initialement, elle ne comptait durcir sa politique monétaire qu’à la fin de l’année au mois de décembre. Deux principales justifications à cela. D’abord, la moitié de l’inflation observée en Europe est due à la hausse des prix de l’énergie. Du coup, la BCE prévoit que ces pressions inflationnistes disparaitront d’elles-mêmes d’ici 12 à 18 mois. Ensuite - contrairement aux US -, on n’observe pas en Europe une forte pression à la hausse sur les salaires, qui pourrait expliquer en bonne partie l’inflation.
Du coup, la BCE a longtemps promu un durcissement progressif, plus modéré que celui observé aux Etats-Unis. Mais la forte inflation observée (7,5%) - associée probablement aux agissements de la FED - pousse la BCE à réagir plus rapidement. Désormais, les marchés financiers attendent ses premières décisions dès le mois de juillet plutôt qu’en décembre. Au programme, une hausse du taux directeur, une hausse du taux de rémunération des dépôts (qui devrait passer du territoire négatif à -0,5% progressivement en territoire positif), la fin des achats d’actifs financiers, puis quelques mois plus tard, viendra une politique de cession des titres pour réduire la taille du bilan. Enfin, la Banque du Japon va à l’encontre des autres Banques centrales des économies avancées. Elle explique que sa conjoncture n’est pas suffisamment robuste pour se permettre un durcissement de la politique monétaire. De plus, l’inflation n’est qu’à +0,9%, donc pas d’urgence. La Banque du Japon garde son taux de rémunération des dépôts en territoire négatif, et vise un taux de 0,25% sur les obligations à 10 ans. Seul problème : le Yen baisse naturellement puisque la Banque du Japon desserre, alors que les autres Banques centrales resserrent.
Le Yen a plongé vers un plus bas de 20 ans (à l’opposé du Dollar). Certes, cela aide les nombreuses entreprises exportatrices, mais la forte volatilité observée sur le taux de change commence tout de même à compliquer la tâche de certaines d’entre elles. Au Maroc, l’inflation prévue par le FMI sur les dernières prévisions d’avril annonce une trajectoire en cloche : 1,4% en 2021, 4,4% en 2022, puis 2,3% en 2023. Le crédit bancaire poursuit sa croissance à un rythme modéré : +3,5% pour les prêts aux ménages en année glissante sur le mois de mars, et +4,7% pour les sociétés non financières. Cela pousse à penser que les pressions inflationnistes sont passagères, pourvu qu’elles ne ralentissent pas la demande plus que prévu. Nous avons déjà divisé par trois la prévision de croissance pour cette année, passant de 3% à 1,1%. Le renchérissement du Dollar aura un impact sur notre facture énergétique libellée dans cette monnaie, et sera en partie compensé par les ventes de phosphates libellées également en Dollar. Mais le principal sujet aujourd’hui n’est pas monétaire : il s’agit plutôt de réussir la saison estivale, notamment avec l’opération Marhaba 2022. Tout doit être fait pour assurer une saison estivale record, pour un secteur qui a beaucoup souffert lors des deux dernières années, et qui demeure un pivot pour l’économie nationale.
(*) : Omar Fassal travaille à la stratégie d’une banque de la place. Il est l'auteur de trois ouvrages en finance et professeur en Ecole de commerce. Retrouvez-le sur www.fassal.net.