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«La démocratisation de la Blockchain viendra des solutions qui seront développées»

La Blockchain et son impact sur l’industrie financière marocaine

 

Karim Zine-Eddine, directeur des études de Paris Europlace, nous apporte dans cet entretien un éclairage détaillé sur la Blockchain, ses impacts sur l’industrie financière marocaine, sa régulation, sa démocratisation et les cas d’usage possibles.

 

Propos recueillis par Y.S

 

Finances News Hebdo : Après une 1ère édition réussie, Paris EuroPlace et Bank Al-Maghrib ont organisé la 2ème édition de l’Africa Blockchain Summit. Quels en étaient les principaux objectifs ? Et quelle conclusion globale tirez-vous de cette manifestation ?

Karim Zine-Eddine : Permettez-moi juste un point rapide dans ce contexte. La Blockchain est une nouvelle technologie, dotée d’un potentiel disruptif très important, qui pose des défis tant aux régulateurs qu’aux acteurs financiers eux-mêmes, qui voient leur businessmodels remis en question. Pour répondre à ces défis, au niveau mondial, les acteurs de la finance se mobilisent et s’organisent. Les Banques centrales mettent en place des Labs dédiés à la Blockchain, font des expérimentations, lancent des PoC et certaines développent des solutions opérationnelles.

Les acteurs financiers s’organisent pour certains en consortium afin de mutualiser les coûts d’expérimentation de la Blockchain. On peut citer quelques exemples : en France, Liquidshare est un consortium pour créer un nouveau modèle de Bourse, Komgo réunit une quinzaine d’acteurs bancaires et industriels pour développer une solution de financement des opérations de commerce international de matières premières. Au niveau international, citons en particulier les initiatives R3, qui réunit plusieurs banques américaines et européennes, ou encore B3i, consortium d’assureurs, etc.

C’est dans ce contexte que nous avons lancé l’Africa Blockchain Summit (ABS), il y a deux ans, pour mobiliser les principaux acteurs concernés par le développement de la technologie Blockchain en Afrique. Cette approche continentale représente une excellente opportunité de collaboration dans une vision panafricaine. Au regard de la taille du continent, il est difficile de déployer une approche par pays ou par région. En outre, cet événement permet aux acteurs français et européens, ainsi qu’à leurs homologues de pays africains de développer de nouvelles voies de coopération et d’échange dans un domaine hautement technologique, qui nécessite d’importants moyens financiers et de savoir-faire pour son déploiement.

Notre principal objectif est de faire un état de l’art de cette technologie, en Afrique et à l’international, ensuite mobiliser des start-up africaines dans ce domaine pour mieux les accompagner dans leur développement et, enfin, lancer une expérimentation concrète. C’est pourquoi l’ABS s’organise autour de trois séquences complémentaires et une série de livrables.

Tout d’abord, une conférence institutionnelle, réunissant de hauts représentants de Banques centrales, africaines et internationales, des organisations internationales actives dans la Blockchain, ainsi que des acteurs de premier plan du secteur privé (banques et institutions financières).

Ensuite, des ateliers et séminaires thématiques pour que le débat ne soit pas que théorique : ces ateliers visent à analyser la technologie Blockchain de manière très opérationnelle, en ne traitant que des cas pratiques de mise en œuvre de cette technologie.

Par ailleurs, une compétition d’acteurs de la Blockchain pour trouver des solutions à des besoins pratiques. Un challenge a été organisé pour développer des solutions qui répondent au défi de l’inclusion financière. Sur les 150 start-up qui se sont portées candidates, seules 10 ont été sélectionnées pour un bootcamp de trois jours à Rabat. Quatre lauréats, porteurs de solutions de paiement mobile, de crowdfunding, d’éducation financière et enfin monitoring solution de suivi de l’inclusion financière, ont été primés. Ces solutions témoignent de la capacité d’innovation des startupers marocains et africains.

Et enfin, la production d’un PoC «Proof of Concept», sorte de prototype pour une solution destinée à cibler les subventions en fléchant leurs bénéficiaires et s’assurer, grâce à la technologie Blockchain, de la bonne fin des opérations sans risque de fraude.

L’événement de Rabat a été une grande réussite, tant pour les participants nationaux qu’internationaux. Les contacts et les échanges sur cette technologie devraient se poursuivre dans les mois à venir entre les différents acteurs ayant participé à l’ABS 2019.

 

F.N.H. : Pour un pays comme le Maroc, quels seraient les impacts de la Blockchain dans l’industrie financière ?

K. Z. : Pour le Maroc, comme pour les pays émergents, notamment africains, la technologie Blockchain pourrait représenter une réponse à de nombreux défis d’inclusion financière, de mobilisation de l’épargne et de démocratisation de l’investissement, de financement des entreprises, en particulier les PME, du développement de l’assurance, etc.

Permettez-moi de concentrer mon propos sur trois cas d’usage totalement disruptifs et qui devraient permettre à des pays émergents comme le Maroc de pleinement bénéficier de cette technologie. La première concerne les infrastructures post-marché des Bourses, l’activité de règlement-livraison et de conservation de titres. La Blockchain devrait permettre à moindre coût d’offrir une solution alternative, qui devrait drastiquement baisser les coûts des opérations de marché.

C’est la raison pour laquelle les dépositaires centraux suivent de près l’évolution de la Blockchain; et son impact sur le businessmodel, non seulement réduirait le coût des opérations de marché, mais également faciliterait le développement de nouvelles plateformes boursières plus spécialisées, par exemple dans le financement des PME. 

La deuxième concerne le processus de digitalisation des actifs financiers, qui devrait s’accélérer grâce à la Blockchain. En effet, les actifs ainsi digitalisés ou tokénisés (un nouveau jargon financier est d’ailleurs en train de naître) vont permettre une accélération de la transmission de ces actifs et donc de renforcer la liquidité des actifs et des marchés. Il s’agit là, à mon sens, de la plus grande révolution qui impactera la finance des pays émergents, dont le principal frein est bien souvent la faiblesse de la liquidité des marchés.

Enfin, la troisième concerne le financement des start-up, à travers les ICO (Initial Coin Offering), par analogie aux IPO (introductions en Bourse). Les ICO sont une nouvelle forme de levée de fonds, via l’émission d’actifs digitalisés, donc tokénisés. Cette solution, qui se développe de manière exponentielle au niveau mondial, en particulier aux Etats-Unis et en Europe, offre un potentiel de développement très rapide dans les pays émergents, comme le Maroc.

 

F.N.H. : La France est l’un des premiers pays à légiférer l’usage de cette technologie. Que pouvez-vous nous dire sur le sujet de la réglementation, point de débat central de la Blockchain ?

K. Z. : En effet, toutes les solutions évoquées ouvrent de nouveaux champs de la finance, qui ne sauraient se déployer sans un cadre réglementaire et juridique adapté. Autant la Blockchain, en tant que technologie, ne saurait être réglementée, autant ses effets doivent l’être pour lui permettre de pleinement se déployer.

C’est la lecture du législateur français, qui est assez pionnier dans ce domaine, soutenu par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, qui a fixé le cap il y a un peu plus d’une année, en déclarant : «La France doit être le leader européen de la Blockchain».

Dans ce contexte, plusieurs mesures ont été prises dans le cadre de la loi pacte adoptée cette année.

Tout d’abord, l’encadrement des ICO : les porteurs de projet ont la possibilité de soumettre leur document d’information à un visa optionnel de l’Autorité des marchés. S’ils souhaitent s’adresser au grand public, ce visa devient obligatoire. Ce visa a pour objectif une meilleure information et protection des investisseurs. L’intérêt d’obtenir un visa est de conférer aux émetteurs une certaine légitimité auprès des investisseurs.

Ensuite, la création de prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) : là encore, celui-ci est soumis à agrément optionnel. Les prestataires qui souhaitent être agréés sont placés sous la supervision de l’Autorité des marchés. Ce statut permettra de couvrir plusieurs activités évoquées.

La loi envisage également que certains fonds d’investissement «classiques» puissent investir dans des actifs digitaux.

Enfin, on peut citer également des mesures de protection des investisseurs, avec le renforcement des pouvoirs de l’Autorité des marchés, qui pourra également, sur ces sujets, prononcer des sanctions à l’encontre des émetteurs d’ICO et des prestataires agréés.

Les activités classiques sur produits financiers de démarchage sont interdites aux ICO non visées et aux prestataires non agréés.

Il s’agit de premières mesures pour encadrer le développement de ces activités basées sur la Blockchain, et qui devraient se renforcer progressivement dans les mois à venir avec le développement de ces activités. Développement qui mobilise de plus en plus les acteurs «traditionnels» de la finance, banques, marchés de capitaux, etc.

 

F.N.H. : Comment voyez-vous la démocratisation du sujet au Maroc ? N’y a-t-il pas parfois une aversion à la technologie ? 

K. Z. : Je ne pense pas qu’il y ait une aversion à la technologie au Maroc; j’en veux pour preuve le taux de pénétration du téléphone mobile. Cependant, il est clair que ces technologies concernent tout d’abord une population d’initiés, comme c’est le cas dans tous les pays du monde, avant de se démocratiser. Cette démocratisation viendra des solutions qui seront développées ! Quand vous conduisez une voiture, vous n’avez pas forcément besoin d’être un as de la mécanique.

Il y a un autre point dont on parle rarement, qui est celui de la richesse du Maroc en mathématiciens. Les mathématiques sont la matière première qui sous-tend la création de ces solutions. L’Africa Blockchain Challenge a été une occasion justement de voir comment la jeunesse marocaine est capable de s’approprier une technologie et de la dominer. Certaines équipes étaient impressionnantes.

Je suis plutôt confiant dans l’avenir, mais il faut du temps. Et je crois également aux initiatives telles que l’Africa Blockchain Summit, résultat d’une intelligence collective de plusieurs acteurs, marocains et internationaux, venant d’horizons très différents.

 

F.N.H. : Enfin, que faudrait-il pour pousser plus rapidement à l’adoption ?

K. Z. : L’adoption nécessitera des solutions qui répondent aux besoins des utilisateurs. Les solutions implémentées sans lien avec les besoins ne fonctionneront pas. Et ces solutions devront s’accompagner d’un cadre réglementaire et juridique tout aussi adapté aux réalités marocaines. ◆

 

 

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