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Banques : entre défis réglementaires et opportunités de financement à l’horizon 2030

Banques : entre défis réglementaires et opportunités de financement à l’horizon 2030

Les grands projets structurants au Maroc, estimés à 100 milliards USD d’ici 2030, offriront de nouvelles opportunités de financement pour les banques. L'arrivée d'un marché secondaire des créances en souffrance au Maroc représente un véritable «game changer» pour le secteur, avec une amélioration potentielle de la solvabilité des banques de 120 à 320 points de base. La baisse des taux directeurs par Bank Al-Maghrib devrait soutenir une forte reprise de la demande de crédits en 2025. Entretien croisé avec Jamal El Mellali, directeur et Responsable de la notation des banques en Afrique francophone, et Ramy Habibi Alaoui, directeur associé-Banques Afrique et Moyen-Orient chez Fitch Ratings.

 

Propos recueillis par Y. Seddik

Finances News Hebdo : Votre rapport anticipe une croissance économique au Maroc supérieure à la moyenne de la région MENA, soutenue par des projets structurants estimés à 100 milliards USD d'ici 2030. Comment le secteur bancaire marocain peut-il tirer parti de ces opportunités de financement pour accompagner cette dynamique économique ?

Jamal El Mellali : En effet, nous anticipons une croissance économique au Maroc qui sera supérieure à la moyenne de la région MENA. Cette forte dynamique de croissance au Maroc sera soutenue par les grands projets structurants lancés par le Royaume, estimés à près de 100 milliards USD d'ici 2030. Le défi pour l'État sera de trouver les financements nécessaires pour mener à bien ces investissements. Il ne pourra pas, à lui seul, prendre en charge la totalité du besoin en financement. C'est précisément sur ce point que les banques pourront tirer leur épingle du jeu. La croissance des crédits au Maroc a été plutôt atone ces dernières années (4,5% en moyenne entre 2019 et septembre 2024), et ces projets vont raviver la dynamique du secteur bancaire. Nous pensons que les plus grandes banques du pays sont particulièrement bien positionnées pour répondre à ce besoin de financement, en raison notamment de la taille de leur bilan et de leur expertise en matière de financement de projets.

 

F. N. H. : Dans ce contexte, quels sont les principaux défis auxquels le secteur bancaire marocain devra faire face, notamment en ce qui concerne la mobilisation de capital et le respect des exigences réglementaires croissantes ?

J. E. M. : Justement, toutes les banques ne sont pas logées à la même enseigne; un des défis majeurs pour le secteur bancaire sera de trouver le capital nécessaire à ces financements. En effet, certaines institutions ont des ratios de capital tout juste au-dessus des minima réglementaires, et seront donc limitées dans leur capacité à participer aux financements des projets étatiques et privés. Ceci d'autant plus que la réglementation bancaire au Maroc est de plus en plus exigeante en matière de capital que les banques doivent détenir, Bank Al-Maghrib souhaitant converger vers les normes internationales. Nous voyons cette convergence de manière positive pour la résilience du secteur bancaire et la stabilité du secteur financier marocain de manière générale, mais d’un autre côté cela pourrait tempérer la croissance des crédits attendue en 2025/2026.

 

F. N. H. : Avec une prévision de croissance des prêts de 6% à 7% annuellement, quelles catégories de crédits (consommation, investissement, etc.) pourraient bénéficier le plus de cette dynamique ?

J. E. M. : Avec la baisse des taux d'intérêt et une croissance économique plus dynamique, nous pensons que la croissance des crédits sera tirée par tous les principaux segments : crédits aux particuliers, notamment les crédits à la consommation, mais aussi et surtout par les crédits d'investissement, compte tenu des grands projets structurants évoqués cidessus. Bank Al-Maghrib a réduit son taux directeur de 25 points de base en décembre 2024, le ramenant à 2,5 %, et nous nous attendons à une nouvelle baisse en 2025 compte tenu de la bonne maîtrise de l'inflation, qui est passée sous la barre de 1% en moyenne en 2024. Sur le front des crédits aux particuliers, beaucoup de ménages ont par exemple retardé l’acquisition de leur résidence, dans l’attente d’un enivrement de taux plus favorable, et certaines entreprises ont fait de même pour leurs projets d’investissements. Nous assisterons donc à un effet de rattrapage en 2025/2026 en ce qui concerne la demande de crédit.

 

F. N. H. : Bank Al-Maghrib prépare le lancement du marché secondaire des créances en souffrance avec un potentiel estimé à 10 milliards de dollars. Quel serait l'impact de cette mesure sur les bilans des banques, notamment en termes de libération de capital et de liquidités, et comment cela pourrait-il stimuler la croissance du crédit ?

Ramy Habibi Alaoui : Nous pensons que la mise à disposition d’un marché secondaire des créances en souffrance pour les banques pourrait changer la donne en termes de qualité d’actifs, de liquidité et de fonds propres. Contrairement à la majeure partie des banques dans les pays émergents, il est difficile pour les banques marocaines de réduire ce stock de créances en souffrance en raison d’un cadre réglementaire strict concernant la radiation de créances. Un marché secondaire des créances en souffrance permettrait ainsi aux banques de sortir ces créances de leurs bilans, de réduire le taux de créances en souffrance et d'améliorer leurs ratios de solvabilité grâce à la réduction des actifs pondérés par les risques (RWAs). L’expérience des secteurs bancaires d’Europe du Sud, notamment en Espagne, en Italie et en Grèce, montre qu’un recours accru au marché secondaire des créances en souffrance depuis 2015 s’est traduit par une amélioration notable des indicateurs de qualité d’actifs. En effet, nous estimons qu’une réduction de 20% du stock de créances en souffrance des six plus grandes banques marocaines améliorerait le ratio de fonds propres durs (CET1) réglementaires de 185 points de base en moyenne, avec un impact allant de 120 à 320 points de base, ce qui est assez élevé. Ceci exercerait donc un impact positif sur la solvabilité des banques, d’autant plus que nous voyons la capitalisation comme une faiblesse relative pour la notation intrinsèque des banques marocaines en raison de ratios CET1 faibles par rapport aux risques. L’amélioration des ratios de solvabilité et de qualité d’actifs devrait aussi soutenir une plus grande appétence pour la croissance des crédits, qui pourrait excéder 6 à 7% en 2026, notamment si l’environnement des affaires continue de s’améliorer et si l’activité de vente de ces créances en souffrance s’avère élevée. En définitive, un marché secondaire des créances en souffrance serait un 'game changer' pour les banques marocaines dans un contexte macroéconomique plus favorable.

 

F. N. H. : Au-delà des contraintes structurelles identifiées par Fitch, quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels le secteur bancaire marocain devra faire face dans les prochaines années, notamment en matière de digitalisation, de concurrence et d'inclusion financière ?

R. H. A. : Nous voyons la concurrence et l’exposition des banques en Afrique comme les principaux défis auxquels les banques marocaines devront faire face. Nous nous attendons à ce que la concurrence augmente, avec des banques faisant du rebond de la croissance des crédits un élément important de leurs nouveaux plans stratégiques. Une concurrence plus élevée pourrait impacter négativement les marges et les revenus des banques. L’exposition des grandes banques marocaines à l’Afrique reste une source de risques pour les grands groupes bancaires marocains, compte tenu d’un risque pays toujours élevé, bien qu’en diminution, comme en atteste le relèvement de la note de certains pays africains, tels que la Tunisie et l’Égypte. Une dégradation du risque pays en Afrique pourrait impacter négativement la performance ainsi que les ratios de solvabilité des banques. Le principal défi pour les banques sera de gérer les différents risques provenant des filiales africaines. Du côté de la digitalisation, une grande partie de la population bancaire marocaine utilise des canaux numériques, ce qui pourrait impliquer un investissement plus important des banques dans le digital afin d’attirer ou de conserver la clientèle. Cette transformation intervient alors que les banques marocaines continuent de réduire le nombre d’agences, avec 103 agences fermées en 2023. Nous voyons aussi de grandes opportunités en Afrique subsaharienne où la pénétration bancaire reste faible dans certains pays, et où le mobile banking et autres services financiers digitaux pourraient contribuer positivement à l'inclusion financière.

 

F. N. H. : Enfin, dans le contexte économique actuel, marqué par une inflation maîtrisée et des perspectives de croissance modérée, comment évaluez-vous l'impact de la politique monétaire de Bank Al-Maghrib sur le secteur bancaire ? Comment anticipez-vous son évolution dans les prochains mois ?

R. H. A. : La baisse du taux directeur de 25 points de base en juin 2024 s’est traduite par une baisse de 20 points de base du taux débiteur global au troisième trimestre 2024, et nous nous attendons à ce que les taux débiteurs continuent de baisser suite à la réduction du taux directeur en décembre 2024 de 25 points de base. Nous pensons que les taux débiteurs vont continuer de baisser en 2025, reflétant d’autres baisses du taux directeur de BAM, compte tenu des taux d’intérêts réels positifs (+1,5% à fin novembre 2024) et d'une augmentation de la concurrence. Des taux plus faibles devraient soutenir la croissance des crédits en 2025. Ce qui impacte également les banques, ce sont les rendements sur les obligations souveraines, qui ont diminué de plus de 75 points de base depuis 2023, soutenant les revenus issus des activités de marché des banques. Cette baisse reflète la forte décélération de l’inflation, les baisses des taux directeurs ainsi que la réduction du déficit budgétaire. De notre point de vue, les taux obligataires devraient continuer à baisser en 2025 dans un contexte d’inflation maîtrisée et de besoins de financement de l’État moins importants, avec un ratio de dette/PIB légèrement moins élevé en 2025, soutenant ainsi les revenus des banques en 2025. 

 

 

 

 

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