Le marché financier marocain vient de franchir une nouvelle étape avec l’émission du premier fonds de dette, FT NORD ENERGY. Ce mécanisme, encore inédit au Maroc, vient compléter les solutions de financement existantes et se pose comme une alternative à la titrisation. En quoi ces deux instruments diffèrent-ils et quelles perspectives offrent-ils aux entreprises marocaines ? Décryptage avec Salma El Yamani, experte en titrisation.
Par Gh. Bennani
Le marché financier marocain marque un tournant avec le lancement de son premier fonds de dette, FT NORD ENERGY, un mécanisme innovant qui vient enrichir les solutions de financement existantes, notamment la titrisation. Cette avancée ouvre de nouvelles perspectives pour les entreprises en quête de financements alternatifs. Mais au-delà de cette nouveauté, une question essentielle se pose : en quoi ce fonds de dette diffère-t-il réellement d’une titrisation classique ?
Deux outils distincts, bien que complémentaires, qui s’inscrivent désormais dans un cadre réglementaire renforcé depuis l’amendement de la loi 33-06 en 2022, offrant ainsi aux entreprises une flexibilité accrue dans leur stratégie de financement.
«Dans une opération de titrisation classique, un ensemble d'actifs éligibles détenus dans le bilan d'une entreprise cherchant à se financer est cédé à un fonds de titrisation nommé FPCT (Fonds de Placement Collectif en Titrisation). Ce fonds émet ensuite des titres pour financer l'acquisition de ces actifs. Les flux générés par les actifs cédés servent ensuite à rémunérer les investisseurs», explique Salma El Yamani, experte en titrisation. En d’autres termes, la titrisation permet aux entreprises de convertir des créances en liquidités en les cédant à un véhicule de titrisation, qui, à son tour, émet des titres souscrits par des investisseurs. Le fonds de dette adopte une approche différente, puisqu’il ne repose pas sur des actifs préexistants, mais lève directement des fonds pour financer des projets spécifiques.
«Ce mécanisme permet de fournir directement des financements aux entreprises non financières pour l'acquisition d'actifs ou la réalisation de projets, en garantissant ces prêts par des sûretés», précise l’experte. Contrairement à la titrisation, où l’entreprise libère du cash en mobilisant ses créances existantes, le fonds de dette lui permet d’obtenir des financements structurés dès le départ, ce qui le rend particulièrement attractif pour des entreprises en pleine expansion ou réalisant des investissements stratégiques. Cette distinction structurelle explique pourquoi certaines entreprises privilégieront l’un ou l’autre de ces outils en fonction de leur besoin. «Il est difficile de comparer ces deux solutions, car elles répondent à des logiques différentes», souligne notre experte.
«La titrisation est plus adaptée aux entreprises qui disposent déjà d’actifs à céder et qui souhaitent optimiser leur bilan, tandis que le fonds de dette offre un financement immédiat pour des projets de développement, avec des sûretés adaptées», explique-telle.
FT NORD ENERGY, une solution inédite
L’émission du fonds de dette FT NORD ENERGY marque une première au Maroc, et ce n’est pas un hasard si l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) en est le pionnier. Cet acteur majeur a toujours été à l’avant-garde de l’innovation financière, en témoigne son recours régulier à la titrisation depuis 2011. En lançant ce fonds, il explore une nouvelle alternative pour financer ses infrastructures stratégiques, tout en diversifiant ses sources de liquidités. «Les grandes entreprises publiques et semi-publiques opérant dans des secteurs stratégiques tels que l’énergie, les infrastructures, les télécommunications ou encore l’eau pourraient s’intéresser à ce mécanisme. Il leur offre une solution de financement à long terme pour des investissements lourds et récurrents», estime El Yamani.
Au-delà du secteur public, le fonds de dette pourrait également séduire les grandes entreprises privées et les PME en croissance, notamment dans l’industrie et la construction. Mais pour que ce marché se développe pleinement, plusieurs conditions doivent être réunies. La première repose sur une sensibilisation accrue des entreprises et des investisseurs aux avantages et aux spécificités de ces instruments financiers. Il est essentiel de clarifier les critères d’éligibilité, les mécanismes de garanties et les implications réglementaires pour instaurer un climat de confiance. Sur le plan réglementaire, le cadre marocain a connu de nombreuses évolutions et semble aujourd’hui suffisamment structuré pour accompagner la montée en puissance de ces nouveaux outils financiers.
Selon notre interlocutrice, «le cadre réglementaire a atteint une certaine maturité après plusieurs réformes, mais il reste pertinent d’envisager des améliorations afin d’optimiser l’efficacité des fonds de dette et de la titrisation». Si ce nouvel instrument financier ouvre des perspectives intéressantes, il comporte également des risques que les investisseurs doivent évaluer avec attention. Comme pour toute opération de financement structuré, la solidité des garanties mises en place est un facteur clé de sécurisation. Dans le cas du fonds de dette FT NORD ENERGY, le mécanisme repose sur des créances commerciales cédées par l’ONEE, ainsi que sur des sûretés visant à couvrir les risques associés aux actifs sous-jacents.
«Les documents d'information du fonds détaillent les garanties financières et les sûretés mises en place pour limiter l'exposition aux risques. Ces éléments doivent être soigneusement étudiés avant toute souscription», avertit Salma El Yamani.
En d’autres termes, l’efficacité du dispositif repose sur la capacité des actifs cédés à générer les flux nécessaires au remboursement des investisseurs, tout en offrant une protection contre d’éventuelles difficultés de recouvrement. Avec l’essor des besoins en financement des infrastructures et des grandes industries, la titrisation et les fonds de dette apparaissent aujourd’hui comme des solutions incontournables pour diversifier les sources de financement et attirer des investisseurs institutionnels. L’arrivée de ces mécanismes sur le marché marocain s’inscrit dans une dynamique plus large d’évolution des marchés financiers vers plus de sophistication et de flexibilité. À l’horizon 2025-2030, ils pourraient jouer un rôle clé dans le développement de projets structurants pour l’économie marocaine, tout en renforçant l’attractivité du pays pour les capitaux nationaux et internationaux.