Jean-Michel Huet, associé chez BearingPoint, auteur du Best-seller «Le digital en Afrique - Les cinq sauts numériques» (Michel Lafon)
Le Maroc gagnerait à étoffer son vivier de start-up.
L’économie des plateformes a fait exploser la chaîne de valeur classique.
Le régulateur a un rôle crucial à jouer pour la promotion de l’innovation au service de la finance.
Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : Selon vous, quelle est la place du Maroc en termes d’innovation dans le domaine des services financiers ?
Jean-Michel Huet : Je pense que le Maroc dispose de plusieurs atouts lui permettant de relever les défis en matière d’innovation dans le secteur financier. La qualité des infrastructures télécoms et celle du débit d’Internet font du Royaume un des pays africains leaders en matière numérique. Le taux de pénétration élevé du mobile qui dépasse 120%, constitue une opportunité pour le secteur financier. D’autant plus que le digital permet une meilleure inclusion financière et la réduction des coûts des transactions financières. La mise en place de la plateforme nationale de paiement mobile est également de bon augure.
Toujours est-il que par rapport à d’autres pays africains pour ne citer que le Kenya, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, le Maroc accuse du retard dans le domaine du paiement mobile. En la matière, l’un des plus grands enjeux a trait à l’usage. Les pourvoyeurs de ce service doivent œuvrer à ce que les Marocains adoptent ce moyen de paiement, à l’instar des autres Africains. Cela peut prendre du temps. Pour avoir un ordre d’idées, l’usage de la monnaie s’est généralisé en France sur un horizon temporel très long, en l’occurrence 150 ans.
Ceci dit, le potentiel à l’échelle africaine est réel, les deux tiers des Africains disposent d’un téléphone mobile (66%), à comparer aux 15% qui ont un compte en banque. Il faudrait également rappeler que les trois quarts des villages africains bénéficient d’une couverture en téléphonie mobile. Alors que moins de 30% disposent d’un accès par la route. Il est donc plus aisé d’entrer en contact avec des villageois par le téléphone que par la route. C’est pourquoi le téléphone mobile s’affirme aujourd’hui comme l’un des éléments clés de l’inclusion financière en Afrique. D’ailleurs, près de la moitié des transactions financières au Kenya se fait via le mobile. Ce qui constitue une opportunité pour les acteurs financiers, enclins à proposer plusieurs nouveaux services dimensionnés à l’usage de cet instrument (micro-assurance, ouverture de comptes bancaires, crédits, etc.).
Ceci dit, des efforts doivent être déployés au Maroc afin d’augmenter le nombre de start-up, vecteur d’innovation dans le secteur financier. Les chiffres montrent que ce nombre tourne autour de 200 dans le pays contre 2.500 en France et près de 15.000 aux Etats-Unis. A mon sens, l’Etat et le secteur privé ont intérêt à renforcer le stock des start-up.
F.N.H. : Quelle doit être la posture du régulateur afin de promouvoir l’innovation dans le secteur de la finance tout en limitant les risques ?
J. M. H: Il est clair que la tâche du régulateur n’est pas aisée dans un contexte en proie à la prompte avancée technologique et à la dangerosité des risques.
Au-delà de cette remarque, je pense que le superviseur bancaire doit mettre en place une législation, qui encourage l’innovation dans le domaine financier. Ce qui suppose que tous les acteurs gagnent de l’argent. Dans le même temps, celui-ci doit être vigilant et veiller à ce que les entités malintentionnées ne profitent pas de la législation pour s’adonner à l’escroquerie, source de menace de la stabilité financière.
F.N.H. : Quel est l’intérêt pour les acteurs financiers, notamment les banques, de tenir compte de l’économie des plateformes, qui selon vous, a fait exploser la chaîne de valeur classique ?
J. M. H: Jusque-là, avant l’avènement du numérique, la chaîne de valeur était très simple car composée des fournisseurs de l’entreprise et les clients de celle-ci. Aujourd’hui, l’économie des plateformes, qui prend de l’ampleur en Afrique, a permis de fédérer plusieurs acteurs grâce au digital, autour d’un service ou d’une offre. Une entité est en mesure de proposer ses produits et services et ceux d’autres entreprises concurrentes aux clients. Elle peut également faire l’assemblage de l’ensemble des services et les vendre à plusieurs clients finaux. Ce qui change fondamentalement la donne et surtout la manière de travailler.
A ce titre, l’exemple éloquent à citer est la transformation d’une banque nigériane, qui grâce à la meilleure gestion de l’information et à la collaboration avec d’autres partenaires, a amélioré les ventes des producteurs de céréales. Le système mis en place a permis aux minotiers d’être sûr d’écouler les stocks achetés auprès des agriculteurs de céréales. L’avantage est que la banque est rémunérée pour ce nouveau service. Sachant qu’elle pourrait également proposer d’autres services financiers aux agriculteurs (crédits, assurance, etc.). ◆