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Entretien : les enjeux de l’Assurance construction

Entretien : les enjeux de l’Assurance construction

 

L’utilité et l’importance des assurances de construction (RCD et TRC) sont méconnues par un bon nombre de maîtres d’ouvrages. Mohamed Jamal Bennouna, ingénieur expert et docteur en droit, nous éclaire sur les enjeux de l’assurance construction.

 

 

Finances News Hebdo : Tout en étant d’une importance cruciale, la Responsabilité civile décennale (RCD) et la Tous risques chantiers (TRC) ne sont souscrites que par un nombre limité d’opérateurs. Pourquoi une telle réticence de la part des opérateurs ?

 

Mohamed Jamal Bennouna : Certes, les deux polices d’assurance, tant la Tous risques chantiers (TRC) que la Responsabilité civile décennale (RCD) sont d’une importance capitale pour la protection des ouvrages en construction (TRC) ou déjà construits et réceptionnés (RCD). Mais leurs souscriptions restent très limitées. Cette situation s’explique par le fait que la culture de l’assurance au Maroc n’est pas très développée et, d’autre part, les maîtres d’ouvrages, promoteurs, entreprises de construction, architectes et ingénieurs ne sont toujours pas bien informés et sensibilisés de l’utilité, la nécessité ainsi que de l’importance de ces deux couvertures d’assurance. Je pense que la vulgarisation de l’assurance auprès des professionnels de la construction, et ce à travers leurs organisations professionnelles me paraît aujourd’hui comme une nécessité de premier ordre.

 

F.N.H. : Justement, quels sont les ouvrages concernés par ces deux couvertures ? Un seuil minima est-il retenu ?

 

M. J. B. : Les deux polices d’assurance ne se souscrivent pas de la même manière. Je m’explique :

- La TRC est une police de type «Dommages». En d’autres termes, elle couvre tous les intervenants et les dommages désignés et précisés dans la police TRC, et ce sans recherche de responsabilité parmi les inter­venants dans l’acte de construire. Elle a une durée de garantie limitée par la durée des travaux prévus par le contrat qui lie le maître d’ouvrage aux entreprises de construction et l’indemnisation concerne les constructeurs eux-mêmes.

La TRC peut être souscrite pour tous les types d’ouvrages : travaux de bâtiments et de génie civil (Routes, barrages, ponts, etc.).

Aucun minima n’est imposé au niveau des capitaux assurés, puisque les assureurs marocains arrivent aujourd’hui à assurer les ouvrages en cours de construction à hau­teur des montants des travaux. En d’autres termes, la police TRC ne pose pas de problème particulier en général pour sa souscription. Le secteur marocain des assu­rances possède les capacités financières pour ce genre de polices, contrairement à la police RCD.

- La RCD (et contrairement à la TRC) est une police qui couvre les dommages dus à l’écroulement ou à la menace d’écroulement tel qu’il est précisé dans l’article 769 du Dahir des obligations et contrats (DOC) pendant 10 ans, et ce à compter la réception de l’ouvrage.

C’est une police de «Responsabilité» contrairement à la TRC qui est une police de type «Dommage». C’est-à-dire que l’indemnisation ne concerne que les tiers. A ce propos, le maître d’ouvrage est un tiers puisque l’ouvrage est réceptionné et le contrat de construction liant le maître d’ouvrage et les constructeurs est éteint, et de ce fait n’existe plus.

Contrairement à la TRC, la police RCD a un champ d’action plus restreint et ne concerne que les travaux de bâtiment (à quelques exceptions près : quelques réservoirs d’eau, un tunnel et un ouvrage maritime ont été couverts par une police RCD au Maroc).

Contrairement à la TRC, la souscription de police RCD est plus difficile à réaliser et les assureurs posent un certain nombre de conditions pour répondre à la demande des entreprises de construction. Par ailleurs, les capacités financières proposées par les assureurs sont beaucoup plus réduites que celles proposées pour la TRC. Une autre difficulté se rajoute à cette contrainte : celle de la réassurance qui se voit très réticente à couvrir ce genre de risque. D’ailleurs, à ce propos, n’oublions pas que la mosquée Hassan II, par exemple, n’a bénéficié dans le temps que de la couverture décennale d’une partie du montant des travaux et non pas de sa totalité. Ce qui corrobore la difficulté de réassurance de ces polices RCD.

 

F. N. H. : En tant qu’expert en matière d’assurance, quelle est la portée éco­nomique de ces deux couvertures essentiellement dans un secteur tel que celui de la construction qui présente des risques de sinistralité ?

 

M. J. B. : Je considère que le secteur de la construction a connu un grand développement au Maroc au point que nous avons commencé à exporter notre savoir-faire au-delà de nos frontières. De ce fait, l’assurance doit accompagner ce développement et cette avancée de l’ingénierie et de l’entrepreneuriat marocains afin de les couvrir au mieux face aux risques qu’ils encourent.

Aujourd’hui, toutes les études menées dans les pays développés et dans lesquels l’assurance fait partie de l’industrie, ont montré clairement que le fait d’assurer les ouvrages aide à la diminution et réduction des coûts de la construction, puisque le risque n’est plus supporté par le constructeur en cas de survenance d’un sinistre, mais plutôt par l’assureur. C’est-à-dire que le constructeur est tout simplement déchargé d’un grand fardeau qu’est le risque et le transfère sur l’assureur. Il faut signaler qu’il est d’une importance capitale de développer l’assurance construction afin de réduire les craintes des constructeurs face aux risques qu’ils encourent ou font encourir aux tiers. D’ailleurs, je vois mal aujourd’hui une entreprise de construction ou un prestataire de services, tel un architecte ou un ingénieur faire face à un sinistre de 1 million de DH.

Quant à la sinistralité du secteur du BTP, malheureusement ce secteur reste très accidentogène au niveau corporel. Je rappelle tout d’abord que le secteur de la construction reste le premier secteur accidentogène dans le monde entier comparativement à d’autres activités industrielles. Par ailleurs, plus de 10% des accidents de travail déclarés au Maroc sont attribués au secteur de la construction et le Royaume est classé comme le premier pays accidentogène en BTP dans toute la région MENA. En d’autres termes, au vu de ces chiffres et données, le Maroc doit se doter d’un code d’hygiène et de sécurité propre au secteur de la construction afin de protéger les personnes qui y travaillent.

 

F. N. H. : Quels sont les garde-fous que l’Autorité de contrôle, de l’assu­rance et de la prévoyance sociale est appelée à mettre en place pour s’assurer que les compagnies de la place ne rejettent pas les dossiers des entreprises de construction, voire même une mise en application rapide de la loi ?

 

M. J. B. : La question est très pertinente puisqu’elle pose la question d’application de la loi 59.13 relative à l’obligation d’assu­rance et de son applicabilité par les assu­reurs. Dans plusieurs pays où l’assurance construction est obligatoire, telle la France par exemple, le départage entre assureurs et assurés en cas de refus d’acceptation de couverture d’une police RC décennale (qui pose problème contrairement à la TRC) se fait par une entité neutre constituée au sein de la fédération des assureurs et dont le rôle est de déterminer les conditions tarifaires de couverture du risque refusé et de dési­gner aussi l’assureur qui couvrira le risque. Cette procédure devient donc opposable aux assureurs.

En d’autres termes, l’applicabilité de la loi est possible moyennant une procédure réfléchie auparavant et avant même l’apparition du décret d’application. En d’autres termes, je pense qu’il est du plus grand intérêt pour les assureurs de se préparer aux flux d’affaires que va générer l’application de la loi 59.13. D’ailleurs, je rappelle à ce sujet l’expé­rience de l’Espagne à travers la loi LOE (Ley Ordonacion de la Edification) du 5 novembre 1999 relative à l'obligation d’assurance. Les assureurs espagnols ne s’y sont pas préparés à l’avance, ce qui a posé beaucoup de difficultés pendant presque deux ans au secteur pour faire face à la venue massive d’affaires à couvrir.

Je tiens tout de même à préciser que l’obli­gation d’assurance à travers la loi 59.13 ne concerne que les travaux de bâtiments et exclut de son champ les ouvrages de génie civil.

 

F. N. H. : Dans le même sillage, disposons-nous de suffisamment de bureaux d’études amenés à sonder les risques d’un chantier pour une compagnie d’assurances avant que celle-ci accepte de commercialiser ces deux couvertures ?

 

Une précision à apporter à cette question. Ce ne sont pas les bureaux d’études (nommés BET) qui renseignent les assureurs sur le degré du risque de l’ouvrage, mais plutôt les bureaux de contrôle technique (BCT) qui s’en chargent. Je pense que le Maroc renferme de très bons bureaux de contrôle technique capables d’assister les assureurs dans leur démarche de souscription des risques en période décennale.

Cela n’empêche, et comme je n’ai pas arrêté de le souligner dans différents articles, conférences, séminaires ainsi que dans ma thèse de doctorat en droit que je viens de soutenir le 21 avril 2017, que le secteur de la construction manque d’organisation et qu’il est temps pour le Maroc de se donner les moyens afin d’arriver à ce but.

 

F. N. H. : Jusqu’à quel degré le caractère obligatoire de souscription des couvertures RCD et TRC pourrait-il booster le chiffre d’affaires du secteur des assurances ?

 

M. J. B. : Le secteur d’assurance a connu des augmentations des primes émises en 2016 des plus importantes. Cette situation sera encore meilleure par la venue d’affaires à couvrir dans le secteur du BTP, mais à la seule condition de mettre en place les outils et procédures d’analyse des risques avant leur acceptation par les assureurs.

L’acceptation des risques construction est un art très intéressant, mais qui demande beaucoup d’expérience et beaucoup de vigilance de la part de l’assureur au vu de la complexité croissante tant de la nature d’ouvrages à construire que des procédés et matériaux de construction utilisés. ■

 

 

Propos recueillis par S. Es-siari

 

 

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