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Croissance : le frein sec sur l’emploi inquiète Abdellatif Jouahri

Croissance : le frein sec sur l’emploi inquiète Abdellatif Jouahri

Après 3 trimestres solides en termes de créations d’emplois non agricoles, la période entre mars et juin a connu un net arrêt. Un constat alarmant lorsque l’on sait que la consommation intérieure est le principal moteur de la croissance au Maroc.

 

Par A. Hlimi

Pas grand-chose n’était attendu du dernier Conseil de Bank Al-Maghrib. Les différents sondages des marchés voyaient un statu quo, la politique monétaire accommodante étant considérée par les opérateurs proche de son point culminant. Le Conseil n’allait pas gaspiller ses dernières cartouches alors que l’inflation est sous la cible, que les anticipations d’inflation sont bonnes et que la croissance repart.

De plus, les taux débiteurs, particulièrement ceux appliqués aux crédits aux PME, n’ont pas encore répercuté la totalité de la baisse du taux directeur depuis le début du cycle; alors autant laisser du temps au temps pour y arriver. C’est vraisemblablement l’ensemble de ces éléments qui ont justifié le maintien du taux directeur inchangé. Pourtant, le Conseil a duré plus longtemps que d’habitude et la conférence de presse du wali a été retardée. Sans doute que d’autres sujets méritaient débat.

Dans sa présentation aux journalistes, le wali a mis l’accent sur un point passé inaperçu dans les médias au moment de la publication des chiffres du chômage par le HCP au deuxième trimestre : il s’agit du net ralentissement de l’emploi dans le non agricole. Rappelons que cela fait 3 trimestres que les créations d’emploi dans les services et le BTP reprennent vigoureusement. Au premier trimestre, ces branches avaient permis la création de 282.000 emplois. Le trimestre précédent 257.000, et 213.000 un trimestre plus tôt. Mais au dernier trimestre (mars - juin 2025), seulement 5.000 postes nets ont été créés. Certes, l’agriculture contribue négativement. Mais cela était déjà le cas. Le vrai changement vient du ralentissement du BTP avec 74.000 créations d’emplois et des services (35.000 seulement).

Dans l’industrie, le chiffre n’a guère dépassé 2.000 postes. Le wali a insisté sur ce point. Et pour cause, l’emploi contribue fortement à la consommation intérieure, elle-même considérée comme le principal moteur de la croissance. Selon le HCP, la demande intérieure au Maroc a connu un essor notable en 2024, avec une croissance de 5,8%, stimulant ainsi la croissance économique du pays.  Cette dynamique s'est également manifestée au premier trimestre 2025, avec une forte progression de 8%.  Les dépenses de consommation des ménages sont un indicateur important de cette demande intérieure, atteignant un niveau record en 2024.  Autant dire que l’un des moteurs de la croissance est grippé. Si une confirmation est nécessaire au prochain trimestre, les décideurs devront garder un œil attentif sur cet agrégat qui risque de freiner ce fameux passage à un nouveau palier de croissance durablement supérieur à 4%. A une année des élections, cela pourrait justifier un nouveau coup d’accélérateur dans la commande publique.

 

Prévisions maintenues pour le moment

Les signaux envoyés par le marché de l’emploi ne remettent pas en cause, pour le moment, les prévisions de la Banque centrale, dont Abdellatif Jouahri a dressé un tableau sur la période 2025-2026. Selon lui, la dynamique des échanges extérieurs de biens et services devrait se poursuivre. Les exportations ressortiraient en hausse de 6,2% en 2025, portées essentiellement par une augmentation des ventes de phosphate et dérivés, puis de 9,4% en 2026, tirées par la reprise attendue du segment de la construction automobile. Les importations devraient, pour leur part, s’accroître de 7,4% en 2025 puis de 7,1% en 2026, reflétant en particulier une forte progression des acquisitions de biens d’équipement, en lien avec la dynamique de l’investissement qu’engendreraient les grands chantiers lancés ou prévus.

En parallèle, les recettes de voyages devraient maintenir leur bonne performance, avec un accroissement de 11,3% en 2025, puis de 4,8% en 2026 pour atteindre 131,2 milliards de DH. Quant aux transferts des MRE, ils afficheraient une légère amélioration de 0,6% en 2025 à 119,7 milliards, avant de s’élever de 4,8% en 2026 à 125,5 milliards. Sur le plan des finances publiques, la consolidation budgétaire devrait se poursuivre à moyen terme. Le déficit budgétaire se stabiliserait à 3,9% du PIB en 2025, avant de s’atténuer à 3,4% du PIB en 2026. Ces projections se basent sur la LF 2025, la programmation budgétaire triennale (PBT) 2025- 2027 et les nouvelles projections macroéconomiques de BAM. Elles intègrent également les crédits supplémentaires de 13 milliards de dirhams ouverts en avril au titre du budget général et les réalisations à fin juillet 2025. Pour ce qui est de l’activité économique, la croissance devrait s’accélérer de 3,8% en 2024 à 4,6% cette année, puis se consoliderait à 4,4% en 2026.

Cette évolution reflèterait une augmentation de 5% de la valeur ajoutée agricole en 2025, tenant compte d’une récolte céréalière estimée par le département de l’Agriculture à 41,3 millions de quintaux (MQx), suivie d’une hausse de 3,2% en 2026, sous l’hypothèse d’un retour à une production céréalière moyenne de 50 MQx. Pour les activités non agricoles, elles devraient maintenir leur dynamique, tirées notamment par les grands chantiers d’infrastructure et les services non marchands, avec une progression de 4,5% en 2025 et en 2026. Dans ce contexte, après la décélération à 0,9% en 2024, l’inflation continuerait d’évoluer à des niveaux modérés, se situant à 1% en 2025 et à 1,9% en 2026. Sa composante sousjacente ralentirait de 2,2% en 2024 à 1,1% en 2025, avant de remonter à 2% en 2026.

 

Réforme du régime de change

Le gouverneur a apporté, lors de ce Conseil, de nouvelles précisions sur l’avenir de la réforme du régime de change, un sujet qui alimente régulièrement le débat parmi les opérateurs de marché. Interrogé sur la suite, le wali a indiqué que la prochaine étape passera par l’abandon total de l’ancrage au panier de devises Euro/Dollar, une étape qui confierait «au marché» la responsabilité de fixer la valeur du Dirham uniquement selon la loi de l’offre et de la demande sur le Dirham. En parallèle, le Maroc devra adopter un régime de ciblage de l’inflation, avec une inflation cible et un pilotage du taux de change à travers le taux directeur et les instruments de politique monétaire. Quant au calendrier, et malgré l’insistance du FMI, Abdellatif Jouahri estime que le tissu économique marocain n’est pas encore prêt à absorber un tel changement, notamment les TPE.

«Nous passons d’un ancrage de taux de change à un ancrage basé sur la politique monétaire via le taux directeur. Une telle transition exige que les entreprises comprennent pleinement les implications afin d’éviter des effets négatifs», a-til expliqué. Un compromis a été trouvé avec l’institution de Bretton Woods: le Maroc avancera vers le ciblage d’inflation sans accélérer, dans un premier temps, la libéralisation du change. Pour ce faire, Bank Al-Maghrib a déjà lancé les travaux techniques et la formation des équipes en vue de préparer ce passage dès juillet 2025.

Quelques ajustements restent à finaliser selon lui,  notamment concernant les modèles utilisés. Un exercice grandeur nature est prévu en 2026 : une «année test» durant laquelle Bank Al-Maghrib proposera au FMI d’appliquer simultanément l’actuel cadre de politique monétaire et les méthodes de ciblage d’inflation. Cette phase permettra de tester la robustesse des outils et la capacité d’adaptation du marché. Si les résultats sont jugés concluants, la mise en œuvre officielle du ciblage d’inflation interviendra le 1er janvier 2027. Le terrain sera alors préparé à l’abandon du panier de devises. Bank Al-Maghrib ne devrait pas abandonner pour autant les bandes de fluctuation pour garder la main sur le marché, toujours dans cette logique de réforme graduelle. 

 

Régime de change : Respecter la progressivité, mot d’ordre de la réforme
La réforme du régime de change au Maroc se veut progressive et sans à-coups. Si le FMI aurait souhaité une mise en œuvre plus rapide, les autorités financières du Royaume privilégient une consolidation des acquis à chaque étape avant de franchir un nouveau palier. Il faut remonter à 2010 pour retrouver dans la presse les premières traces d’une réflexion sur la réforme du régime de change et l'envie d'abandonner le change fixe, coûteux en réserves de change. Mais la succession de crises régionales a retardé le passage à l’acte jusqu’au gouvernement El Otmani qui, en 2018, a décidé d’engager la transition graduelle d’un régime de change fixe vers un régime plus flexible. Cette première étape s’est traduite par un élargissement de la bande de fluctuation du Dirham de ±0,3% à ±2,5% par rapport à un cours central fixé sur la base d’un panier de référence composé de l’Euro (EUR) et du Dollar américain (USD). En mars 2020, le gouvernement et la Banque centrale ont franchi une nouvelle étape avec l’élargissement de la bande de fluctuation à ±5% et la mise en place d’un marché interbancaire des changes, aujourd’hui autonome et fonctionnant sans intervention de Bank Al-Maghrib. «Les banques y prennent désormais des positions longues ou courtes en fonction des flux de devises de leurs clients, dans la limite des bandes de fluctuation actuelles de ±5%», souligne le gouvernement, qui considère ce mécanisme comme une preuve tangible de l’avancée de la réforme et de la robustesse du système bancaire. Le Maroc a maintenant pris la décision de mener sur une période 2 ans le passage à l’étape suivante et l’abandon de l’ancrage au taux de change pour adopter un ancrage à la politique monétaire et au ciblage de l’inflation.

 

 

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