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Panier de la ménagère et budget de l’État: la complicité et l’inévitable discontinuité

Panier de la ménagère et budget de l’État: la complicité et l’inévitable discontinuité

Pas touche au pouvoir d’achat, c’est une affaire de budget d’État.

 

Par Hachimi Alaoui, professeur d’économie monétaire

Certes, la stabilité des prix est du ressort exclusif de la Banque centrale, qui jouit d’une autonomie de décision en termes de politique monétaire. Et on connait tous le sortilège des bien-pensants : la montée du taux directeur freine l’inflation. Bon, on ne sait pas trop quand ni comment, mais on sait qu’il suffit juste d’y croire et d’anticiper. C’est du «trust the process» version BAM. Mais quand les prix explosent et que le taux d’inflation frôle les 11% (février 2023), un discours ésotérique sur les canaux et les délais de transmission de la politique monétaire n’aurait pas suffi. Surtout pour un chef de gouvernement habituellement auditionné en darija, sur le Bach et le Kifach de remplir le panier de la ménagère.

Tout à la sauvegarde du pouvoir d’achat, l’exécutif devait agir en urgence et s’est montré dépensier  au moment où les ménages l’étaient de moins en moins. Prise en charge des droits de douane sur les importations de beurre et du lait en poudre. Suppression des droits de douane sur les importations du blé tendre, des huiles brutes et des plantes oléagineuses. Suspension du droit d’importation sur les veaux destinés à l’abattage et les bovins domestiques.

Soutien des intrants agricoles et subvention de l’orge et des aliments importés destinés au bétail et à la volaille. Maintien des subventions aux prix de l’électricité et pas moins de onze tranches d’aides aux transporteurs routiers. Telles sont, entre bien d’autres, les mesures prises en vue de soutenir le pouvoir d’achat des Marocains. Sous haute tension sociale, on a donc décidé de budgétiser la politique monétaire et de monétiser la politique budgétaire. En ce sens que le gouvernement s’est approprié l’objectif de stabilité des prix, qui est statutairement assigné à la Banque centrale. Et cette dernière, quoiqu’elle s’en défend, s’est impliquée dans le maintien des équilibres budgétaires.

L’explosion des créances nettes de BAM sur l’administration centrale, dès novembre 2022, amplifiée par une série d’opérations d’achat inédites de titres publics à partir de janvier 2023, en témoignent. C’est ainsi qu’on a implémenté une politique de lutte contre l’inflation Made in Morocco. Un cas d’école, c’est le moment de le dire, car au vu des derniers chiffres de l’IPC au cours de février 2024 (0,3% d’inflation en glissement annuel), c’est pari réussi. Le coup de frein à l’inflation était, une fois de plus, budgétaire et fiscal.

Par ailleurs, l’observation de l’évolution de l’IPC par divisions révèle que les sections eau, gaz et électricité (division logement) et sucres (division aliments) ont connu une inflation quasi nulle en 2023. Ces prix dits réglementés, maintenus inchangés, s’ajoutent aux efforts budgétaires déployés depuis des décennies pour atténuer l’inflation au Maroc et préserver le pouvoir d’achat des Marocains.

C’est dire qu’au Maroc, les prix subventionnés et réglementés font partie du roman national. Ils sont là depuis relativement longtemps et sont perçus comme une redistribution des revenus et un partage des richesses du pays. La triste réalité est que ces subventions universelles génèrent des coûts budgétaires importants, explicites et implicites, et se révèlent économiquement inefficaces. Elles induisent une soustarification et une surconsommation, entraînant une allocation inefficace des ressources vers des activités à forte intensité d’intrants subventionnés et une surutilisation des biens à prix réglementés.

De plus, elles provoquent un effet d’éviction public-public en détournant le budget de l’État vers des dépenses non productives. En revanche, les transferts monétaires ciblés constituent un filet de sécurité sociale plus adéquat et offrent aux ménages à revenu faible une flexibilité dans le lissage et la répartition de leurs dépenses de consommation.

Cependant, il est possible d’envisager une règle budgétaire permettant d’activer systématiquement un mécanisme de subvention universelle lorsque l’inflation dépasse un certain seuil. Cela substituerait l’approche discrétionnaire actuelle, où le gouvernement choisit ponctuellement d’activer le bouclier tarifaire, par une règle de conduite basée sur le taux d’inflation domestique. Car, pour garantir l’irrévocabilité et l’acceptabilité sociale de la décompensation des prix, il est crucial d’éviter une rupture définitive entre le panier de la ménagère et le budget de l’État. En effet, la prochaine réforme devrait être une simple discontinuité du lien entre les deux, et une nouvelle trajectoire vers un mode d'interaction plus équitable. 

 

 

 

 

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