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Banques cotées : une machine à profits

Banques cotées : une machine à profits

Portées par une économie en pleine expansion et des stratégies d’innovation efficaces, les banques cotées au Maroc enregistrent une forte croissance de leurs bénéfices. La digitalisation, l’optimisation des coûts et la hausse des investissements renforcent leur rentabilité et ouvrent de nouvelles perspectives. Avec l’équipe de recherche de Valoris Management, nous analysons les leviers de cette dynamique et les opportunités à venir pour le secteur bancaire.

 

Propos recueillis par Gh. Bennani

Finances News Hebdo : Quelle est votre vision globale de l’évolution des bénéfices des banques cotées au Maroc sur 2024 et 2025 ?

Valoris Management Research : Dans l’ensemble, le secteur bancaire coté devrait bénéficier de l’amélioration progressive de l’environnement macroéconomique, favorisée par la reprise de la consommation et de l’investissement. De plus, la bonne orientation des différentes stratégies de développement des banques cotées, axées à la fois sur l’innovation (notamment en termes d’offres dans un contexte fortement concurrentiel) et sur la digitalisation, devrait continuer de soutenir l’amélioration de la rentabilité opérationnelle. Ceci devrait permettre d’atteindre des niveaux de COEX (Coefficient d’exploitation) historiquement bas, avec une moyenne inférieure à 45%. Bien que toutes les banques cotées n’aient pas encore publié l’intégralité de leurs résultats annuels pour 2024, ces derniers devraient globalement afficher une forte hausse dépassant 10%, soutenues par un environnement favorable aux placements financiers en lien, en particulier, avec la hausse de la valorisation des actifs obligataires, conséquence de l’assouplissement monétaire en 2024. En effet, le PNB annuel de 2024 (publié par les banques cotées) a augmenté de 12,6% à 91,5 MMDH, profitant d’une amélioration de la marge nette d’intermédiation et une forte croissance des ROM (Résultats des opérations de marché). En 2025, les résultats des banques cotées devraient poursuivre cette tendance haussière, profitant de la dynamique attendue de la distribution de crédit, dans un contexte d’accélération de l’investissement, reprise de la consommation et, surtout, de l’amélioration de la capacité à transformer les dépôts en crédits suite à la collecte exceptionnelle liée à l’amnistie fiscale qui a permis une hausse annuelle de 9% des dépôts à fin décembre 2024 (+46 MMDH entre novembre et décembre 2024).

 

F.N.H. : Quels sont les principaux moteurs de croissance et les risques qui pourraient affecter les résultats des banques dans les prochaines années ?

V. M. R. : A horizon 2030, l’activité du secteur bancaire coté devrait continuer de bénéficier de la croissance soutenue du crédit bancaire (+3,3% en janvier 2025 contre une moyenne de 2,7% en 2024), portée par une dynamique positive des investissements, notamment en préparation de l’organisation de la Coupe du monde. En outre, l’accélération des investissements dans plusieurs secteurs stratégiques du pays tels que l’énergie, le dessalement et les télécoms devrait contribuer à redynamiser l’activité d’intermédiation des banques. La relance du secteur immobilier, grâce au programme d’aide directe au logement 2024-2028, couplée à l’amélioration des conditions de financement des ménages, devrait également stimuler la distribution de crédits à l’habitat. La capacité des banques à tirer profit amplement de ce cycle d’expansion devrait dépendre des marges réglementaires dont elles disposent et qui déterminent leur capacité à prendre des risques, et donc à distribuer le crédit. La réduction de la circulation fiduciaire, entre autres grâce à la régularisation fiscale et la digitalisation, devrait quant à elle améliorer la liquidité du système bancaire et favoriser la distribution de crédit. L’amélioration progressive du climat de confiance et de l’environnement des affaires ainsi que le maintien d’une politique monétaire accommodante sont autant d’éléments qui devraient contribuer à la reprise du crédit et l’atténuation des risques. Cependant, le secteur bancaire pourrait être confronté à plusieurs risques, principalement liés au durcissement de la réglementation avec la mise en place du «processus de surveillance et d’évaluation prudentielle – SREP», qui introduirait de nouvelles exigences en termes de fonds propres, pouvant freiner la croissance. Par ailleurs, bien que le taux du coût du risque actuel soit nettement inférieur à celui observé en 2020 (1,2% en 2023 contre 1,7% en 2020), son retour aux niveaux normatifs d’avant crise sanitaire (en moyenne de 0,9%) devrait être retardé par la persistance des risques à l’échelle nationale et internationale, en particulier pour les groupes bancaires panafricains.

 

F.N.H. : Comment l’environnement macroéconomique (croissance, inflation, taux d’intérêt), influence-t-il la rentabilité des banques actuellement ?

V. M. R. : En tant que secteur cyclique, le secteur bancaire est particulièrement sensible aux fluctuations de l’économie dans l’ensemble. L’atonie du crédit bancaire trouve ses explications dans la persistance des séquelles de plusieurs crises successives (covid-19, inflation, sécheresse, etc.) ainsi que par l’incapacité de la croissance à générer de l’emploi. Toutefois, celles-ci devraient s’estomper avec l’expansion économique actuelle, l’amélioration du climat des affaires et de l’état de confiance des ménages. En effet, le redressement actuel de la valeur ajoutée non agricole (3,5% en 2024 contre 2,6% un an auparavant), alimenté par la reprise des secteurs de l’industrie et des services, devrait entrainer une demande de financement accrue tant pour les investissements que pour le fonctionnement des entreprises. De plus, l’augmentation attendue des revenus de ces secteurs devrait contribuer à améliorer la capacité de remboursement des emprunts, ce qui, par ricochet, réduirait le risque pour les banques et favoriserait une amélioration globale de leur rentabilité. Par ailleurs, l’apaisement de l’inflation et la baisse du taux directeur ont plusieurs impacts positifs sur les résultats des banques à plusieurs niveaux : • La hausse de la demande en crédit, soutenue par le retour de la confiance des investisseurs et la libération des marges d’endettement des ménages et des entreprises; • L’amélioration des marges d’intermédiation tenant compte de la réduction du coût de refinancement et d’une transmission plus lente de la baisse du taux directeur sur les taux débiteurs; • La réduction de l’effort de provisionnement suite à l’amélioration de la solvabilité des emprunteurs.

 

F.N.H. : Quelle est votre analyse de l’impact de la politique monétaire actuelle de Bank Al-Maghrib sur les marges d’intérêt des banques ?

V. M. R. : L’assouplissement monétaire amorcé par la Banque centrale en 2024 (avec deux baisses de 25 pbs en juin et en décembre) devrait être globalement favorable aux résultats des banques. En effet, la baisse du taux directeur permet le renforcement de la marge d’intermédiation des banques grâce à un double effet volume et prix. D’une part, la hausse de la demande de crédit dans un contexte d’amélioration des conditions de financement permet aux banques de générer des revenus supplémentaires, compensant ainsi la réduction des marges due à la baisse des taux sur cette nouvelle production. D’autre part, la répercussion rapide de la baisse du taux directeur sur les taux créditeurs permet l’amélioration du coût de la ressource (généralement de court terme, tels que les dépôts et les titres de créances négociables), alors que la transmission vers les taux débiteurs reste plus lente aux taux d’intérêt débiteurs (affectant principalement la nouvelle production de crédits et les prêts à taux révisables, qui représentent moins de 30% de l’encours global du secteur). La politique monétaire est accommodante et devrait perdurer, car tous les éléments y sont favorables  : le redressement de l’inflation, l’atonie de la croissance, les besoins de financement ainsi que la normalisation du taux d’intérêt réel marocain vis-à-vis des monnaies d’ancrage.

 

F.N.H. : Comment évolue le coût du risque des banques marocaines ? Anticipez-vous une augmentation des créances en souffrance en 2024-2025 ?

V. M. R. : La crise sanitaire du covid19 a entrainé une hausse historique du coût du risque du secteur bancaire, tenant compte de la détérioration du portefeuille de crédit des banques et de l’effort de provisionnement anticipatif et prudent. En 2020, le coût du risque des banques cotées avait atteint 17,7 MMDH contre 7,4 MMDH en 2019. Depuis 2021, le coût du risque a globalement baissé en raison de la levée progressive des incertitudes et de l’amélioration graduelle de l’environnement macroéconomique. Toutefois, le niveau actuel du coût du risque (14,5 MMDH en 2023 et 15,5 MMDH en 2024E) reste élevé par rapport à ces niveaux normatifs, tenant compte de la poursuite des efforts de provisionnement des banques, de la persistance des risques, notamment en Afrique subsaharienne (pour les banques panafricaines), et du risque additionnel qui accompagne la forte relance de l’activité économique. Parallèlement, le taux des créances en souffrance s’inscrit globalement sur une tendance baissière depuis la crise sanitaire (9,2% en 2020 contre 8,8% en 2023), grâce à une gestion plus prudente du risque, à un assainissement graduel des portefeuilles d’actifs des banques et à l’amélioration progressive de la solvabilité des emprunteurs. Toutefois, le niveau du taux de sinistralité prévu pour 2024-2025 autour de 8,6% et 8,4% respectivement devrait rester relativement élevé par rapport à ses niveaux moyens historiques de 6,9% sur la période 2012-2019, alimentés par plusieurs facteurs, notamment les risques accompagnant la reprise globale de l’activité et la relance du segment TPME en particulier, la persistance du chômage et des tensions géopolitiques. La mise en place imminente par la Banque centrale du marché secondaire des créances en souffrance pourrait contribuer à alléger les bilans des banques et améliorer leur rentabilité.

 

F.N.H. : Quelles sont les stratégies mises en place par les banques pour atténuer les risques de crédit ?

V. M. R. : Depuis la crise sanitaire, les banques marocaines ont renforcé leurs outils de gestion du risque et des créances douteuses à travers plusieurs actions, notamment : • l’amélioration des systèmes de notation des entreprises, permettant une sélection plus rigoureuse de la clientèle; • la structuration des crédits à travers la diversification des risques par secteur et par contrepartie, et le renforcement des garanties; • le renforcement du dispositif de suivi et de recouvrement des créances en souffrance. Les banques marocaines continuent d'adopter une approche prudente et sélective du crédit. L'introduction d'un marché secondaire pour les créances douteuses (structure de défaisance) devrait améliorer significativement la qualité des actifs.

 

F.N.H. : Y a-t-il des segments de clientèle ou des secteurs d’activité qui posent des risques accrus pour les banques cotées ?

V. M. R. : Le segment de détail, et plus particulièrement les prêts non garantis (crédit à la consommation), reste le plus vulnérable en raison de la conjugaison de plusieurs facteurs : la sécheresse endémique, la persistance du chômage élevé, la détérioration du pouvoir d’achat et la lenteur de la reprise. Cela inclut un risque accru pour les prêts immobiliers résidentiels en raison d'une croissance modérée et de taux d'intérêt plus élevés affectant la demande immobilière. Bien qu’elles constituent la majorité du tissu économique, les TPME sont particulièrement vulnérables au risque de crédit, limitant la croissance des bénéfices des banques cotées de manière générale. Les banques panafricaines sont en plus exposées au risque pays sur certaines régions. Les emprunteurs individuels, en particulier ceux des classes sociales les plus vulnérables, représentent un segment de clientèle à risque élevé pour les banques. Par secteur, l’agriculture, qui reste fortement tributaire des conditions climatiques et de la fluctuation des prix des matières premières, continue de peser sur l’activité et la rentabilité des banques dans un contexte de sécheresse endémique.

 

F.N.H. : Quels sont les principaux leviers de croissance des revenus bancaires sur les prochaines années ?

V. M. R. : Pour faire face à l’intensification de la concurrence, les banques cotées devraient capitaliser sur plusieurs leviers d’amélioration des revenus, notamment : • le renforcement des placements financiers devant permettre aux banques de tirer profit de la bonne orientation des marchés financiers obligataire et boursier; • l’expansion en Afrique subsaharienne, notamment pour les groupes panafricains; • l’accélération de la digitalisation tant au niveau des processus internes qu’au niveau de l’offre clientèle, permettant des gains de parts de marchés et une réduction sensible des charges d’exploitation.

 

F.N.H. : Quel rôle joue la digitalisation dans l’amélioration des bénéfices bancaires ?

V. M. R. : La digitalisation répond à une double problématique : accompagner le changement des habitudes de consommation et leur sophistication et réduire les charges opérationnelles. La forte pression sur les revenus des banques en raison de la compétition dans un contexte conjoncturel difficile pousse les banques à revoir leurs modèles de coûts, notamment ceux liés au réseau physique. En effet, dans un environnement fortement concurrentiel, la digitalisation constitue un atout stratégique essentiel pour les banques. Ainsi, les grands groupes bancaires ont déjà entamé leur transformation numérique à travers la refonte des systèmes d’information et le déploiement des applications connectées et les chabots, permettant l’amélioration de l’expérience client. Sur le plan opérationnel, la digitalisation devrait offrir aux banques l’opportunité de réduire les coûts liés aux opérations physiques (agences, personnel), tout en optimisant progressivement leur COEX, et par conséquent leur niveau de rentabilité. En effet, ce ratio a atteint un niveau de 47,3% en 2023, après une moyenne de 51,4% sur la période 2012- 2022. De plus, la digitalisation devrait contribuer à une gestion des risques plus efficace, à travers l’automatisation des processus d’évaluation de crédit et une meilleure détection des comportements suspects ou frauduleux. Ceci devrait ainsi permettre de réduire le taux de créances en souffrance et d’améliorer les marges des banques.

 

F.N.H. : Voyez-vous un impact significatif des nouvelles technologies et des fintechs sur le modèle économique des banques cotées ?

V. M. R. : Les nouvelles technologies et les fintechs ont un impact significatif sur le modèle économique des banques cotées au Maroc. L'intégration de ces innovations transforme non seulement le mode de fonctionnement des banques, mais redéfinit également leurs relations avec les clients, leur modèle de revenus et leur stratégie de croissance. Ceci devrait se matérialiser à travers plusieurs axes, notamment le renforcement de la concurrence, poussant les banques à réagir rapidement pour maintenir leurs parts de marché en améliorant leurs services numériques et en réévaluant leurs structures tarifaires, et l’accélération de l’inclusion financière permettant aux banques de toucher de nouveaux segments de clientèle et d’élargir leur base de clients.

 

F.N.H. : Quel est votre avis sur la valorisation actuelle des banques cotées à la Bourse de Casablanca ? Pensez-vous que les niveaux de valorisation intègrent correctement les perspectives de bénéfices pour 2024-2025 ?

V. M. R. : Tenant compte des scénarios de croissance favorables, le niveau de valorisation actuel des banques cotées semble attractif, offrant des points d’entrée intéressants pour les investisseurs. En effet, les ratios de valorisation P/E de 16,0x en 2024E et 14,7x en 2025E restent relativement bas par rapport à la moyenne du marché boursier, supérieure à 20x, et à la moyenne historique du secteur qui se situe autour de 17x sur la période 2012-2019. Ceci pourrait indiquer une sous-évaluation des banques cotées par rapport à leur potentiel de croissance et à leurs fondamentaux solides. Par ailleurs, l’amélioration des bénéfices des banques cotées permet une distribution de dividendes globalement plus généreuse avec une croissance moyenne de 9% par an des dividendes entre 2022 et 2024. Cette dynamique positionne le secteur parmi les secteurs les plus performants en termes de rendement sur le marché marocain, qui affiche un DY 2024E de près de 3%.

 

La dette privée bancaire, un profil risque/ rendement attrayant
Soumis à une réglementation stricte, le secteur bancaire marocain se distingue par une solidité exemplaire, renforcée par un processus constant d’amélioration de la solvabilité. Cette approche contribue à une stabilité financière accrue et à une réduction significative des risques systémiques. Dans ce contexte, la dette privée bancaire s’érige comme une classe d’actifs attractive. Son couple rendement/risque permet d’optimiser la performance des portefeuilles obligataires, notamment ceux des OPCVM. Chez Valoris Management par exemple, les FCP Emergence Bancaires de la catégorie obligataire court terme et Emergence Rendement Banques de la catégorie obligataire moyen et long terme, composés majoritairement en titres de dette bancaire, connaissent un engouement croissant, illustré par une forte progression de leurs actifs nets. En seulement un peu plus de deux ans, ils ont été multipliés respectivement par 3,6 et 15,6, atteignant en l’espace de deux ans respectivement 3,8 et 4,1 Mds de DH à fin février 2025. Par ailleurs, ces fonds, depuis leur création, affichent des rendements annuels moyens respectifs de 2,9% et 3,3%.

 

 

 

 

 

 

 

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