Le secteur des assurances enchaîne les chantiers d’envergure : digitalisation accélérée, réforme des pratiques tarifaires et passage au régime universel de santé (AMO)... Objectif : gagner en équité, en efficacité et en proximité avec les assurés.
Par Y. Seddik
Le secteur des assurances est en pleine mue. L’un des projets les plus avancés est la dématérialisation de l’attestation d’assurance automobile. Ce document, jusqu’ici délivré au format papier, sera bientôt remplacé par une version numérique. L’initiative, fruit d’une étroite concertation entre l’ACAPS et les compagnies d’assurances, vise une simplification administrative pour les assurés, une meilleure efficacité des contrôles routiers et également une réduction des coûts liés à la logistique documentaire.
«La dématérialisation de l’attestation d’assurance automobile est l’un des projets les plus aboutis actuellement. Elle marque la fin d’un symbole administratif et ouvre la voie à une meilleure transparence des données pour les contrôles sur la voie publique», estime Nabil Idrissi Kaitouni, consultant en audit et conformité pour les assureurs. Cette réforme, attendue pour le second semestre 2025, s’inspire des meilleures pratiques internationales, y compris sur le continent africain. Elle fait écho à une volonté plus large du secteur de conjuguer performance opérationnelle et service client. En parallèle, un autre chantier numérique d’envergure arrive à maturité : la digitalisation des paiements des primes d’assurance automobile.
Une plateforme multicanale est en cours de finalisation afin de permettre aux assurés de s’acquitter de leurs cotisations via des moyens variés : en agence, en ligne, par mobile ou à travers des terminaux bancaires, tout en garantissant la sécurité des transactions. «Ici, l’objectif est de nous caler sur les standards de la banque, avec une expérience fluide et sécurisée, quel que soit le canal utilisé. La technologie est prête, mais c’est surtout sur l’accompagnement des assurés que tout va se jouer», confie l’expert. Cette évolution répond à une double exigence : améliorer l’accessibilité aux services d’assurance et soutenir l’inclusion financière. Elle permet également aux assureurs de réduire les coûts de gestion, de sécuriser les flux et d’adapter leurs offres à des clientèles aux usages numériques de plus en plus diversifiés.
Barème d’indemnisation et tarification
Au-delà du numérique, le secteur s’attaque aussi à des problématiques structurelles, à commencer par la révision du barème d’indemnisation en assurance automobile. Figé depuis 1984, ce barème obsolète ne reflète plus la réalité médicale et juridique des dommages corporels d’aujourd’hui. Sa mise à jour, bien que techniquement complexe, est devenue inévitable.
«Nous sommes face à une équation délicate qui est de garantir des indemnisations justes et soutenables, sans pour autant provoquer un choc tarifaire pour les assurés. Aujourd’hui, deux conducteurs avec des comportements radicalement différents paient parfois la même prime. Ce n’est plus soutenable techniquement, ni défendable commercialement», précise Idrissi Kaitouni. Parallèlement, une refonte des critères tarifaires est à l’étude pour permettre une tarification plus fine, davantage centrée sur les profils de risque. L’objectif : renforcer l’équité entre assurés tout en assurant la viabilité technique du modèle économique des compagnies.
AMO : Une nouvelle position à trouver
Autre mutation d’ampleur : le basculement des assurés vers le régime universel d’Assurance maladie obligatoire (AMO), piloté par la CNSS. Les assureurs privés, désormais «cantonnés» au rôle de complémentaires santé, doivent adapter leur offre, leurs outils et leurs processus. Selon des estimations, les assureurs pourraient perdre jusqu'à 4 milliards de dirhams de primes, tandis que les courtiers verraient leurs commissions amputées de 400 millions de dirhams.
«Nous passons d’un rôle central à un rôle complémentaire. C’est une évolution majeure dans notre modèle. Il va falloir repenser nos produits, nos parcours de gestion, et surtout notre valeur ajoutée pour l’assuré», souligne notre interlocuteur qui insiste sur la nécessité de renforcer la coordination avec la CNSS afin de garantir une transition fluide.
«Le risque, c’est l’enchevêtrement administratif. L’assuré ne doit pas être pénalisé par une double gestion mal synchronisée», note-t-il. D’ailleurs, la Fédération marocaine de l’assurance a souligné l’urgence de renforcer la coordination avec les institutions publiques afin d’assurer une transition fluide, tant sur le plan administratif que contractuel. Enfin, les compagnies ne sauraient faire l’impasse sur la problématique persistante de la fraude à l’assurance, en particulier dans la branche automobile.
Plusieurs assureurs ont renforcé leurs dispositifs de contrôle interne, mis en place des cellules spécialisées et mobilisé des technologies avancées d’analyse comportementale, basées notamment sur l’intelligence artificielle et le machine learning.
«Les technologies de data mining nous permettent aujourd’hui de détecter des anomalies en amont, là où auparavant on n’intervenait qu’après le sinistre. Les outils sont là, mais ce sont les données qui manquent parfois. Il nous faut une mutualisation des signaux faibles au niveau sectoriel, sinon l’effort restera dispersé», estime Kaitouni. Le secteur ne manque donc pas de défis, mais il semble s’y attaquer avec méthode, porté par une volonté collective de modernisation. Mais comme le rappelle Nabil Idrissi Kaitouni, «la technologie seule ne résoudra pas tout. C’est la capacité à coopérer, à simplifier et à anticiper les ruptures qui fera la différence».