La dernière crise a révélé une certaine résilience du marché bancaire marocain grâce à la supervision vigilante de Bank Al-Maghrib.
Au Maroc, les dates de valeur relèvent du domaine conventionnel, à l’instar de la tarification des services bancaires.
Entretien avec Abdelatif Laamrani, avocat aux Barreaux de Casablanca, Paris et Montréal, et auteur de l’ouvrage «Droit bancaire marocain».
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : En tant qu'avocat d'affaires, qu'est-ce qui vous a poussé à écrire un ouvrage sur le droit bancaire marocain et quel en est l’intérêt ?
Me Abdelatif Laamrani : Tout d’abord, il convient de noter qu’en parallèle à une activité bancaire intense caractérisée, d’une part, par l’action d’un régulateur très dynamique et prolifique, et d’autre part, par une expansion à l’international de nos banques, la recherche juridique faisant l’objet de publication en droit bancaire est inexistante. Notre activité d’avocat d’affaires représentant aussi bien en conseil qu’au contentieux des acteurs de la banque au Maroc, nous a révélé qu’il y a un besoin criant d’avoir une synthèse de référence pour tous les intervenants de l’univers bancaire, à savoir régulateur, banquiers, investisseurs emprunteurs, juristes, magistrats, chercheurs et étudiants, etc. Cet ouvrage se veut non exhaustif à tous les aspects du droit bancaire, mais plutôt une boîte à outils user-friendly traitant de toutes les thématiques principales du droit bancaire. Notamment l’accès à la profession bancaire (le processus d’agrément), le contrôle, la régulation et la supervision par Bank Al-Maghrib, les mécanismes juridiques des opérations bancaires, où l’accent a été mis sur tous les services offerts par les banques à leurs clients. A titre d’exemple, ouverture et gestion de comptes, octroi de crédit, moyens de paiement, etc.
La législation et toute la réglementation régissant ces trois sphères ont été passées au peigne fin pour ressortir les éléments des contrats bancaires, les droits et obligations des parties et les devoirs du banquier dans le cadre de sa responsabilité bancaire, le cas échéant. Concernant le crédit, une typologie variée d’emprunts a été étudiée. Dans la dernière partie du livre, nous nous sommes intéressés aux transactions bancaires internationales. Et en innovant par rapport aux manuels de droit bancaires classiques, l’analyse a été étendue à l’emprunt souverain, que nous avons considéré comme une transaction bancaire internationale «souveraine» v/s les transactions bancaires internationales «privées» que sont les préfinancements, l’affacturage international, le crédit documentaire et es garanties autonomes. Dans le cadre du crédit souverain, nous avons passé en revue ses acteurs que sont les prêteurs, la Banque mondiale, le FMI ainsi que tous les autres bailleurs de fonds régionaux... Ensuite, nous avons traité les conditions et clauses essentielles des contrats de prêt souverain, exposé la problématique du défaut souverain et envisagé les solutions possibles.
F.N.H. : Selon vous, quelles sont les principales caractéristiques, forces et faiblesses du droit bancaire marocain ?
Me A. L. : Le droit bancaire au Maroc est le domaine juridique qui a connu lors de cette dernière décennie le plus grand nombre de réformes juridiques. Ces dernières ont porté sur tous les aspects de l’activité de la banque : • La régulation, par la mise à niveau aux normes internationales des garanties prudentielles des banques marocaines; • La protection des consommateurs des services bancaires par la reconnaissance de leurs droits à l’information, au désistement d’offres préalables et à la médiation bancaire; • L’instauration de règles strictes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme; • La rénovation du cadre juridique régissant l’activité de la microfinance; • Et la mise en place du cadre juridique du financement participatif. La dernière crise a révélé une certaine résilience du marché bancaire marocain, grâce à la supervision vigilante de Bank Al-Maghrib. Mais elle aura aussi démontré la nécessité de l’accélération d’une plus grande inclusion financière de tous les pans de la société, tout en favorisant le développement des paiements mobiles et de la numérisation des transferts de fonds. Les enjeux juridiques d’une telle mutation sont loin d’être théoriques, car ils soustendent plusieurs questions qui doivent être adressées avant une mise en œuvre des modalités pratiques de son déploiement, tant la numérisation annoncée des moyens de paiement remet en question la définition juridique même de la monnaie.
F.N.H. : Concernant les dates de valeur, le moment n’est-il pas venu de les supprimer car elles désavantagent le consommateur ? Quel regard portez-vous sur cela ?
Me A. L. : D’abord, il faudrait définir ce que sont les dates de valeur. En effet, la date de valeur est la date appliquée à une opération bancaire pour le calcul des intérêts débiteurs. Il ne faut pas perdre de vue qu’aujourd’hui, la tendance c’est la réduction de ces délais, comme vous pouvez le constater à travers l’offre des banques. Certaines d’entre elles ont adopté même l’instantanéité. Ce sont là des éléments qui devraient tirer vers le haut toutes les banques pour permettre un alignement ou une suppression de ces dates de valeur, comme c’est le cas sous d’autres cieux, en France notamment, où le cadre juridique prévoit de supprimer ces dates de valeur. Mais dans d’autres pays, ces dates de valeur existent toujours. L’essentiel est que la législation prévoit une obligation d’information afin de porter à la connaissance du client tout changement par les canaux classiques ou les canaux digitaux, qu’ils soient sites Internet ou applications mobiles. Je porte un regard libéral sur cette question; j’estime qu’il faut laisser la concurrence jouer son rôle.
Maintenant, j’observe que nous avons au Maroc un secteur bancaire plus concurrentiel, avec toutes les mesures prises par BAM pour stimuler cette concurrence. Et ce, à travers notamment la mobilité bancaire pour permettre à chaque client de changer de banque, mettre en place les moyens de paiement et les services des établissements de paiement, pour une meilleure comparabilité et transparence entre les différentes offres des établissements de crédit. Je vous réfère à ce qui a été rappelé par le Wali de Bank Al-Maghrib, dans son dernier point de presse, où il a évoqué une plateforme d’un comparateur qui pourrait confronter intuitivement les tarifs, les services bancaires et les dates de valeur de l’ensemble des établissements de crédit de la place. Ce comparateur aura pour rôle principal de donner à la clientèle la possibilité de confronter les différentes opérations des dates de valeur applicables à la fois aux retraits, à la remise à l’encaissement de chèques et aux virements.
F.N.H. : Pourquoi le coût des services bancaires reste toujours élevé au Maroc par rapport à d’autres pays ?
Me A. L. : Si vous permettez, il faudrait commencer par prouver la cherté ou le coût élevé des services bancaires au Maroc par rapport à d’autres pays, dans le cadre d’une approche scientifique. A ma connaissance, il n’y a pas d’étude qui a été faite par un organisme fiable et crédible à ce propos, qui démontre qu’il y a cherté des services bancaires. Mais, encore fautil le rappeler, et cela est un élément qui doit être comptabilisé à l’actif des pouvoirs publics, et notamment de la Banque centrale, cette dernière a mis en place des services gratuits qui portent sur des opérations usuelles, quotidiennes, le but étant de lever les barrières pour l’accès de la population aux services bancaires. A juste titre, en 2010, une directive (n°1/G/2010 du 3 mai 2010 du Wali de BAM) a rendu gratuites 16 opérations. Cela commence par l’ouverture de compte et se termine par la clôture de compte, en passant par plusieurs opérations, à savoir la consultation de solde au niveau des GAB, au niveau de la demande de domiciliation ou d’attestation de compte… Il y a eu des opérations considérées comme fréquentes ou usuelles qui ont été rendues gratuites par un texte réglementaire. De surcroît, Bank Al-Maghrib ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, puisqu’en 2016, sous son impulsion, les banques ont rajouté de manière consensuelle à cette liste 6 autres opérations bancaires. Aujourd’hui, au Maroc, nous avons 22 services bancaires offerts à titre gratuit par les banques à leur clientèle. Par ailleurs, concernant les éléments portant sur le coût, comparativement à d’autres pays, il faudrait examiner le point de plus près et mettre en place des indicateurs de comparabilité. On pourrait prendre par exemple les frais de fonctionnement du compte par rapport au coût de la vie, au SMIG, au revenu moyen par habitant, etc. Ce sont des éléments qui permettraient d’affirmer qu’il y aurait une différenciation de coût des services bancaires au Maroc par rapport à d’autres pays.
F.N.H. : Les consommateurs se plaignent assez souvent des conditions d’accès aux crédits (obligation de garantie et d’hypothèque…). Estimez-vous que ces conditions sont contraignantes par rapport à d’autres pays. Comment peut-on les simplifier ?
Me A. L. : Il est un fait que les clients des banques, qu’ils soient des ménages ou des entreprises, se plaignent toujours de l’accès difficile au crédit ou au financement de manière globale. Concernant les entreprises, je peux donner des indicateurs clés qui permettraient d’avoir une idée précise par rapport à l’accès au financement. Selon les indicateurs de Bank Al-Maghrib, sur le total des crédits accordés aux entreprises, 40% sont destinés aux TPME (ce qui constitue un indicateur très pertinent aux pays de la MENA). D’autre part, si l’on se fie à une enquête menée par la Banque mondiale auprès des entreprises, l’accès au financement comme difficulté arrive au 9ème rang seulement de l’ensemble des obstacles bloquants que relèvent les entreprises dans cette étude. Les autres obstacles les plus bloquants sont la corruption, la fiscalité, le manque de transparence, le foncier, l’administration, etc. L’accès au financement est donc vraiment relégué au dernier plan. Toujours selon la Banque mondiale, dans une étude qui a été menée sur le collatéral, elle a conclu que, de 2013 à 2019, il y a eu une grande évolution en termes de proportionnalité du collatéral par rapport au montant du crédit garanti, ce qui fait que ce taux est passé de 169% en 2013 à 69% en 2019-2020. Ce qui dément la perception selon laquelle les banques marocaines demandent beaucoup de garanties, alors que maintenant le collatéral représente uniquement 69%.
Pour les particuliers, l’accès au financement est évalué à travers plusieurs paramètres par les banques et leur examen du profil de risque, notamment le revenu, la domiciliation, les garanties. Mais en plus de cet accès, plusieurs actions sont menées par les pouvoirs publics à travers des systèmes de garanties publiques afin d’encourager le financement d’une activité. Et pour revenir aux particuliers, on peut citer notamment, Tamwilcom, Fogarim, Fogalog. Plusieurs programmes qui permettent de faciliter l’accès des particuliers au financement, tout en moralisant le risque pour les banques. Revenons à l’accès des entreprises au financement, pour signaler que la Banque centrale, et c’est un aspect que j’ai traité dans mon livre, a émis une directive qui porte sur l’obligation d’information des banques aux demandeurs de crédit. C’est-à-dire que même le processus d’octroi de crédit a été précisé et clarifié de manière réglementaire, en prévoyant toutes les obligations qui incombent à la banque, en commençant par le dépôt de dossier, le délai nécessaire de traitement ou de demande d’éléments ou de conditions supplémentaires et le délai de réponse au client. Le texte réglementaire a introduit un apport majeur, en l’occurrence l’obligation du banquier d’informer le client concernant la motivation de refus de crédit. Ce sont des éléments de transparence qui permettent au client d’améliorer son dossier. Dans ce domaine, il faut se référer au benchmarking où le secteur bancaire marocain est aujourd’hui bien situé, car il a mis en place plusieurs mesures telles que la symétrie d’information, la transparence, le crédit bureau, le profil de risque, la communication, le règlement de litiges et l’éducation financière.
F.N.H. : Comment jugez-vous les dispositions de la nouvelle directive D N° 2/Wf2022 de BAM sur la clôture des comptes bancaires ? Est-elle favorable pour le client ?
Me A. L. : Avant de répondre au sujet de la dernière directive de Bank Al-Maghrib relative à la clôture de compte, il faudrait partir d’un constat partagé par tous les usagers de la banque, et qui était aussi observé par la Banque centrale. Une grande partie des réclamations concernait la clôture de compte. Soit les banques ne clôturaient pas le compte, soit le client découvre après un certain temps qu’un compte qu’il avait même oublié, est toujours ouvert. Dans d’autres situations, le client découvre un solde débiteur qui n’a pas été assaini quand il s’adresse à une autre banque pour demander un prêt. C’est dans ce sens que Bank Al-Maghrib, depuis 2014, a essayé d’apporter un amendement au code de commerce. Car ce dernier prévoyait limitativement les cas de clôture de compte et la banque ne pouvait pas procéder à cette clôture de sa propre initiative, sans l’accord du client. Le législateur a introduit un amendement qui stipule que le compte doit être clôturé automatiquement après 12 mois à partir de la dernière opération au crédit du compte.
Et après une lettre de vérification au client, s’il répond qu’il souhaite garder le compte, il devra l’alimenter et la banque s’exécute. Par contre, s’il répond négativement, le compte est alors clôturé. Malgré cet amendement, il a été constaté que les problématiques liées à la nonclôture de compte persistaient. A cet effet, BAM a décidé de prendre plusieurs mesures additionnelles, telles que l’octroi d’un accusé de réception au client dans un délai ne dépassant pas 8 jours. De son côté, la banque dispose d’un délai d’un mois pour procéder et informer le client sur le sort de sa demande de clôture. Si le compte n’est pas clôturé, il faut respecter un délai de liquidation pour éviter que des chèques émis tombent dans les comptes ou des virements passent pendant cette période, etc. Cette directive a l’avantage de présenter de manière claire le processus de clôture de compte ainsi que les obligations qui incombent à la banque pendant cette procédure, en termes de délais, d’information et de remises d’attestations. Elle a par la suite été explicitée dans un guide didactique à l’attention des clients des banques afin de leur exposer les étapes, droits et obligations dans le cadre d’une opération de clôture de compte.