A terme, le secteur n’aura pas assez de main-d’œuvre pour faire fonctionner les exploitations. Faut-il alors miser davantage sur la mécanisation ou opter pour l’immigration étrangère ?
Par C. Jaidani
Le dernier recensement de la population et de l’habitat (RGPH 2024) a dévoilé des indicateurs qui sont pour le moins alarmants. Ils confirment une transition démographique rapide qui accentue l’inversement de la pyramide des âges. Ainsi, le taux de la population active par rapport à la population globale s’inscrit dans une tendance baissière. La catégorie des personnes âgées entre 15 et 59 ans s’élève à 59,7% contre 62,4% en 2014.
La population des moins de 15 ans, qui était de 28,2% en 2014, passe en 2024 à 26,5%. Le haut-commissariat au Plan (HCP) estime que d’ici 2050, un Marocain sur quatre aura plus de 60 ans. Ces chiffres présentent à terme des contraintes majeures pour l’économie nationale, notamment pour ce qui est des ressources humaines. Ce phénomène devrait ainsi impacter pratiquement tous les secteurs, avec toutefois différentes nuances selon le type d’activité. Ce sont les branches nécessitant le plus de travailleurs qui seront le plus exposées, à l’image de l’agriculture.
Cette branche de l’économie nationale est considérée comme le plus grand employeur, et aussi un important contributeur dans le PIB. D’où son rôle déterminant dans la croissance. Risque-t-on alors une pénurie de main-d’œuvre ? Le Royaume est-il suffisamment préparé pour faire face à une telle situation ?
«Le vieillissement de la population est un phénomène universel qui a touché tous les pays développés et atteint actuellement les pays émergents comme le Maroc. Il pourrait avoir des répercussions néfastes sur l’économie, comme des difficultés liées à la mobilisation de la main-d’œuvre d’une façon continue et suffisante. Avec près de 28% de la population active, l’agriculture serait le secteur le plus impacté, car nécessitant beaucoup de maind’œuvre pendant toute la chaîne de valeur», assure Abderrahim Marzouki, professeur à l’Institut national de l’aménagement et de l’urbanisme (INAU) de Rabat. Et de préciser par ailleurs que «par rapport aux autres secteurs, l’effet du vieillissement prendra du temps pour se faire sentir. Car l’activité est pourvue essentiellement par une population rurale où le taux de fécondité demeure élevé par rapport au niveau national».
En effet, l’indice synthétique de fécondité (ISF) du Maroc a atteint en 2024, 1,97 enfant par femme. Il se situe en dessous du seuil de remplacement de la population qui est de 2,1. Mais au niveau rural, même s’il a baissé par rapport à 2014, cet indice est de 2,37. Par ailleurs, la configuration démographique d’un pays est importante dans son évolution. Par exemple, la Chine, qui avait adopté dans les années soixante une politique de ‘l’enfant unique’ pour réduire le surpeuplement, a été contrainte de l’abandonner et d’instaurer des mesures incitatives pour favoriser la natalité en vue d’accompagner l’essor de son économie. Car le pays est fermé à l’immigration, privilégiant les ressources humaines locales.
«Tôt ou tard, le Maroc sera contraint de soutenir la croissance démographique, ou du moins stabiliser le nombre de la population active. La progression de l’urbanisation est inévitable et l’agriculture n’aura pas d’autres choix : développer massivement la mécanisation qui n’est pas une option facile, ou favoriser l’immigration étrangère de façon saisonnière ou permanente. L’Espagne, par exemple, autorise des ouvrières marocaines à travailler dans la région de Huelva dans l’ouest du pays pour assurer la récolte des cerises. Cette solution a commencé depuis 2006 et devrait continuer», conclut Marzouki.