Le Royaume accélère sa transition numérique pour moderniser son économie et renforcer sa compétitivité. Cette transformation implique un véritable changement de culture organisationnelle, aussi bien dans le secteur public que privé. Entretien avec Abdeljalil Sadik, consultant en stratégie et gouvernance des systèmes d’information, expert en cybersécurité et intelligence artificielle.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Le Royaume a mis en place des plans ambitieux pour sa transformation digitale. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les objectifs de ces plans et leur importance pour l'avenir du Maroc ?
Abdeljalil Sadik : Les initiatives «Maroc Digital 2020» et, plus récemment, «Maroc Digital 2030» illustrent une vision stratégique à long terme, parfaitement alignée avec le souhait de Sa Majesté le Roi Mohammed VI de faire du numérique un véritable moteur de développement économique, social et territorial. Ce n'est pas seulement une question de moderniser les outils ou d'adopter les dernières technologies. L'ambition va bien au-delà : il s'agit d'une transformation complète des modèles de production, des méthodes de gouvernance et des sources de croissance. En d'autres termes, le Maroc aspire à évoluer d'une économie traditionnelle vers une économie numérique, où l'innovation, les données et la connectivité occupent une place centrale. Cela nécessite des investissements massifs dans les infrastructures, une refonte des systèmes éducatifs, un soutien à l'entrepreneuriat numérique et une adaptation de la réglementation. Cette transformation est cruciale pour l'avenir du pays et s'inscrit dans la vision royale de bâtir un Maroc moderne et prospère, capable de tirer parti des opportunités offertes par le monde numérique. Le digital ouvre des perspectives considérables en matière de création d'emplois, d'amélioration de la compétitivité des entreprises, de simplification des services publics et de réduction des inégalités sociales. En se positionnant comme un hub technologique régional, le Maroc peut attirer des investissements étrangers, stimuler l'innovation locale et partager son expertise avec d'autres pays africains. In fine, il s'agit d'assurer la souveraineté économique et stratégique du Maroc dans un monde de plus en plus numérique.
F. N. H. : Le Maroc mise sur des investissements massifs dans les infrastructures numériques. Quels en sont les principaux axes, et comment ces efforts se traduisent-ils concrètement dans la vie des citoyens ?
A. S. : L'investissement dans les infrastructures numériques est un élément important de la stratégie digitale du Maroc, visant à doter le pays d'une infrastructure moderne adaptée à l'ère numérique. Cela se concrétise par plusieurs initiatives tangibles. D'abord, un effort considérable est déployé pour étendre la couverture Internet haut débit sur tout le territoire, avec un vaste déploiement de la fibre optique dans les zones urbaines, tout en proposant des solutions alternatives, comme le satellite, pour les zones rurales. Le Maroc mise également sur le développement de la 5G, la nouvelle génération de réseaux mobiles, qui promet des vitesses de connexion bien plus rapides et une latence réduite. Cela ouvrira la voie à de nouveaux usages déjà en émergence, tels que l’Internet des objets, la réalité virtuelle et les véhicules autonomes. Enfin, le pays investit dans la construction de centres de données de pointe, essentiels pour héberger les services numériques et assurer la sécurité des données. L'impact de ces investissements sur la société marocaine est déjà palpable. L'accès à Internet s'est nettement amélioré, favorisant l'adoption des usages numériques tant par les particuliers que par les entreprises. On constate une hausse du nombre d'abonnés à Internet, une explosion du commerce électronique et une digitalisation progressive des services publics. De plus, la connectivité a des effets bénéfiques sur l'éducation, la santé et l'inclusion sociale. Elle permet aux étudiants d'accéder à des ressources en ligne, aux médecins de pratiquer la télémédecine et aux populations rurales de bénéficier de services essentiels. Ces avancées contribuent à réaliser la vision royale d'un Maroc connecté et inclusif.
F. N. H. : Le développement d'un écosystème de startups est un élément essentiel de la stratégie digitale marocaine. Comment le Maroc soutient-il ces startups et quels sont les secteurs les plus prometteurs ?
A. S. : Le Maroc a bien saisi que les startups jouent un rôle primordial dans l'innovation et la création d'emplois, en phase avec la vision royale de promouvoir l'entrepreneuriat et l'innovation. C'est pourquoi le pays a mis en place plusieurs initiatives pour favoriser leur développement. Parmi elles, on trouve la création d'incubateurs et d'accélérateurs de startups, qui offrent un accompagnement surmesure aux jeunes entrepreneurs. Il existe aussi des mécanismes de financement spécifiques, comme des fonds d'investissement et des prêts à taux réduits. De plus, le gouvernement marocain encourage les échanges avec l'Afrique subsaharienne, en facilitant les partenariats et les collaborations commerciales avec des startups d'autres pays africains. En ce qui concerne les secteurs les plus prometteurs, on peut citer l'e-santé, qui utilise les technologies numériques pour améliorer l'accès aux soins et la qualité de vie des patients. Les fintechs, qui proposent des services financiers innovants, connaissent également une forte croissance. L’agriTech, qui intègre les technologies numériques dans l'agriculture, aide à optimiser les rendements tout en réduisant l'impact environnemental. Sans oublier la logistique intelligente qui s'appuie sur les données et l'automatisation pour améliorer l'efficacité des chaînes d'approvisionnement. Il s’agit d’un secteur en plein essor. L'exportation de services numériques, notamment à travers l'offshoring, constitue également un moteur considérable de croissance et de création d'emplois qualifiés.
F. N. H. : Malgré les progrès réalisés, le Maroc fait face à des défis dans sa transformation digitale. Quels sont les principaux obstacles à relever pour assurer un développement numérique inclusif ?
A. S. : La transformation numérique au Maroc est un processus complexe qui présente des défis spécifiques. L'une des principales difficultés réside dans le manque de compétences adaptées aux besoins du marché. Le secteur du numérique a un besoin criant de professionnels qualifiés, et l'offre de formation actuelle est souvent insuffisante, voire inadaptée. Il est donc impératif d'améliorer les programmes d'enseignement, notamment dans des domaines tels que l'ingénierie, la programmation informatique, l'apprentissage automatique et la cybersécurité. La fracture numérique est un autre problème majeur, entraînant un accès inégal à Internet et aux services numériques, en particulier en zones rurales et en périphérie. Il est essentiel de réduire cet écart en investissant dans les infrastructures et en lançant des initiatives d'accès numérique, conformément aux directives de Sa Majesté, afin de favoriser une croissance équitable et inclusive pour tous. La sécurité numérique est également une préoccupation croissante, face à la montée des cybermenaces dans des secteurs critiques, comme cela a été le cas avec les récentes attaques visant des entités importantes. Le Maroc doit renforcer sa capacité à détecter et à contrer ces menaces en mettant en place un plan national de cybersécurité et en formant des experts spécialisés dans ce domaine. La Direction générale de la sécurité des systèmes d'information (DGSSI), fait déjà un gros travail dans ce sens, qu’il faut saluer et soutenir avec davantage de moyens. En fin de compte, la transformation numérique exige un changement de culture organisationnelle, tant dans le secteur public que privé. Il est capital d'adopter de nouvelles stratégies de travail, de stimuler la créativité et de promouvoir une culture axée sur les données.