Trump relance la guerre commerciale avec une taxe sur toutes les importations. Si cette décision menace de déstabiliser l'économie mondiale, elle pourrait aussi offrir au Maroc une occasion unique de se positionner comme un acteur clé.
Par Gh. Bennani
Le 2 avril 2025, Donald Trump a une fois de plus secoué la scène commerciale mondiale. Après avoir initialement annoncé des surtaxes douanières massives, notamment une augmentation des droits à 34% sur les importations chinoises, il a finalement opéré un revirement inattendu. Le 9 avril, sous la pression des marchés financiers en déroute et des critiques croissantes, le président américain a suspendu pour 90 jours les nouvelles taxes imposées à une soixantaine de partenaires commerciaux.
Cependant, cette suspension ne s'applique pas à la Chine, qui demeure la cible principale de la politique protectionniste de Trump. Les droits de douane sur les produits chinois ont été portés à 125%, une mesure justifiée par le président en réponse aux représailles de Pékin et à son "manque de respect" envers les marchés mondiaux. Cette volte-face a provoqué des turbulences sur les marchés financiers. Après une chute initiale due aux annonces tarifaires, les indices boursiers ont connu une remontée spectaculaire suite à la suspension partielle des taxes. Le Dow Jones a enregistré le mercredi 9 avril une hausse de près de 7,9%, tandis que le Nasdaq a bondi de plus de 12%, marquant l'une de ses meilleures performances depuis 2001.
Malgré cette accalmie temporaire, les analystes restent prudents quant aux perspectives économiques. Le Fonds monétaire international (FMI) maintient ses prévisions alarmantes, estimant que ces hausses de taxes pourraient coûter plus de 1.000 milliards de dollars à l’économie mondiale d'ici 2026, soit une contraction de près de 0,7% du PIB mondial. Le commerce international, traditionnel moteur de la croissance, ralentit, tandis que les consommateurs américains devraient commencer à ressentir l’impact de la hausse des prix à l’importation, érodant ainsi leur pouvoir d’achat. L'ironie de la situation est que cette politique, censée défendre l'Américain moyen, risque de se retourner contre lui-même, menaçant son portefeuille tout en mettant sous pression les industriels dépendants des intrants étrangers.
Contrainte ou opportunité pour le Maroc ?
Au Maroc, l’impact direct semble modéré. En 2024, les exportations marocaines vers les États-Unis représentent environ 1,9 milliards de dollars, soit seulement 4,2% du total des exportations du Royaume et 1,3% de son PIB. Mais il existe une composante importante : l’accord de libre-échange entre le Maroc et les États-Unis, en vigueur depuis 2006, qui permet à une large gamme de produits marocains d’entrer sur le marché américain sans droits de douane, à condition de respecter des règles d’origine strictes. Cela inclut des secteurs comme l’automobile, le textile, l’agroalimentaire et les engrais. À court terme, cette taxe n’affectera donc pas les produits marocains remplissant ces critères. Cependant, le véritable enjeu pour le Maroc réside dans sa position géopolitique et économique. «Ces droits de douane pourraient représenter une véritable aubaine pour le Maroc. Grâce à son accord de libre-échange avec les États-Unis, le Royaume devient une destination stratégique pour les investisseurs étrangers souhaitant exporter vers le marché américain sans subir les surtaxes, d’autant que le taux appliqué reste relativement modéré», analyse un économiste basé à Genève, sous couvert d’anonymat.
En imposant cette taxe uniforme, Trump crée une situation où la concurrence devient plus homogène. Les pays surreprésentés sur le marché américain, notamment la Chine, le Vietnam et l’Inde, perdent en compétitivité. Leurs produits, qui alimentaient largement les rayons américains, se retrouvent soudainement pénalisés par des coûts plus élevés. L’Europe subit également cette hausse, notamment dans ses secteurs industriels. Cette reconfiguration du paysage offre au Maroc une opportunité inédite : le Royaume pourrait devenir une alternative crédible pour les acheteurs américains, mais aussi pour les entreprises d’autres régions du monde confrontées à l’augmentation des droits de douane.
Prenons l’exemple de l’industrie automobile, secteur dans lequel le Maroc a réussi à se bâtir une réputation de hub compétitif en matière de production de pièces détachées, faisceaux électriques et assemblage de véhicules. En 2024, ce secteur représentait plus de 11 milliards d’euros d’exportations, principalement destinées à l’Europe. Si les exportateurs asiatiques et européens sont frappés par ces taxes supplémentaires, des acteurs mondiaux, qu’ils soient américains, brésiliens ou sud-africains, pourraient se tourner vers des fournisseurs alternatifs plus compétitifs. Le Maroc, avec sa stabilité politique, sa proximité géographique avec l’Europe, ses plateformes industrielles modernes et la qualité de ses chaînes de production, pourrait se positionner comme un acteur clé pour l’approvisionnement des États-Unis, mais aussi pour d’autres pays aujourd’hui contraints de diversifier leurs sources d’approvisionnement. Le textile et l’habillement, secteurs dans lesquels le Maroc a déjà un avantage compétitif, pourraient également tirer profit de cette situation. Le Maroc bénéficie d’une main-d’œuvre qualifiée et d’une capacité de production à coûts compétitifs, tout en étant proche de l’Europe.
En matière d’engrais, le groupe OCP, leader mondial dans la production de phosphates, pourrait également se voir avantagé. Bien que les exportations marocaines vers les États-Unis dans ce secteur restent limitées, les tensions géopolitiques pourraient offrir une occasion unique de capter des parts de marché sur ce marché, notamment au détriment des concurrents russes et chinois. En réorientant les flux commerciaux et en saisissant l’opportunité d’investir dans l'exportation, le Maroc pourrait se positionner comme un fournisseur stratégique et une plateforme logistique pour les grands acteurs économiques mondiaux.
La dimension géopolitique de cette décision est également importante. Le Maroc, grâce à sa stabilité politique, sa position géographique entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique, et ses nombreux accords de libre-échange avec l’Union européenne, les États-Unis, et d’autres partenaires, peut devenir un relais stratégique dans cette réorganisation mondiale du commerce. Le Maroc profite également d'une diplomatie économique active, renforcée par des projets comme l’organisation de la Coupe du monde 2030 avec l’Espagne et le Portugal, qui placent le pays sous les projecteurs internationaux.
Dans ce contexte, la politique commerciale de Trump pourrait créer des tensions mondiales et chambouler les relations commerciales traditionnelles. Mais pour le Maroc, qui a des fondamentaux solides et une gestion prudente de ses finances publiques, cette situation pourrait bien s’avérer une occasion de redéfinir sa place dans le commerce mondial. Bien que l’impact immédiat soit limité, le Royaume a tout intérêt à se positionner comme un acteur fiable, compétitif et prêt à investir dans ses secteurs clés pour tirer parti de cette reconfiguration géopolitique.