Secteur pharmaceutique : Pourquoi il faut miser sur l'industrie nationale

Secteur pharmaceutique : Pourquoi il faut miser sur l'industrie nationale

Pour faire face à la crise sanitaire mondiale, l’industrie pharmaceutique nationale a fait preuve d’engagement, en favorisant la production nationale et en évitant d’être tributaire d’un contexte international tendu.

Une myriade de mesures d’accompagnement locales doivent être mises en place, en vue de permettre au secteur pharmaceutique marocain d’être performant.

Entretien avec Ali Sedrati, président de l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique (AMIP).

 

Propos recueillis par S. Kassir

 

Finances News Hebdo : Plusieurs pharmaciens d’officine de la métropole ont récemment enregistré une rupture de stock de quelques médicaments, comme la vitamine C et le zinc. Selon vous, à quoi cela est-il dû ?

Ali Sedrati : Suite aux informations qui circulent quant à la rupture potentielle des stocks de médicaments utilisés dans le protocole de traitement de la Covid-19, le ministère de la Santé a réagi dans son communiqué du 17 septembre 2020, rassurant l'opinion publique que les stocks de médicaments disponibles sont suffisants pour couvrir les mois à venir.

Le ministère a également annoncé que, dans le cadre du renforcement de l’arsenal pharmaceutique fabriqué localement, des autorisations seront accordées pour mettre un nouveau médicament contenant de la vitamine C sur le marché. Néanmoins, nous avons noté une demande croissante des médicaments du protocole thérapeutique de la Covid-19, suite à des achats de panique ou automédication.

Cela perturbe la disponibili-té rationnelle des médicaments pour l’ensemble des citoyens : certaines personnes stockent des quantités importantes sans un réel besoin; ceci est de nature humaine et nous avons pu l’observer dans plusieurs pays, même les plus développés, comme la France qui avait bloqué la délivrance du paracétamol et l’hydroxychloroquine.

Au Maroc, le secteur de l’industrie pharmaceutique ne ménage aucun effort pour sécuriser l’approvisionnement du marché, aussi bien pour les traitements de la Covid-19 que pour les autres pathologies, et ce par la continuité de nos activités de production même pendant le confinement. D’autant plus que nous respectons la réglementation en vigueur, qui impose un minimum de 3 mois de stock en produits finis. Et ceci est rigoureusement et régulièrement suivi par la Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) du ministère de la Santé.

 

F.N.H. : La crise sanitaire actuelle a impacté fortement l’industrie pharmaceutique nationale, bien qu’elle réponde aux besoins du marché interne, dont 60% en fabrication locale. De quelle manière y avez-vous réagi et quelles mesures préconisez-vous pour se remettre de la crise ?

A. S. : La crise de la Covid-19 a mis en lumière la fragilité des systèmes de santé planétaires et les limites de la surdépendance étrangère en matière de chaînes de valeur et d'approvisionnement, démontrant l’importance d’une production locale soutenue par les pouvoirs publics, garante de l’autonomie sanitaire du pays.

L’industrie nationale s’est montrée très agile et réactive face à la crise sanitaire que traverse le Royaume et a fait preuve de responsabilité et d’engagement, contribuant à la gestion de la pan-démie de manière sereine en lui évitant d’être tributaire d’un contexte international tendu. Et ce, sans répercuter les augmentations des prix des matières premières supportées depuis le début de la pandémie. Cependant, pour permettre au secteur pharmaceutique marocain d’être performant et de contribuer efficacement au développement socioéconomique du pays, un socle minimum de mesures d’accompagnement locales doit être entrepris, notamment:

• La généralisation de la couverture sociale et une meilleure efficience du Ramed;

• L’amélioration et la réciprocité dans les conditions des différents accords de libreéchange signés par le Maroc (UE/USA… Accords d’Agadir, Turquie…);

• L’application d’une préférence nationale de 15% pour les médicaments fabriqués localement (à l’instar de plusieurs pays, l’Algérie, la Tunisie…);

• L’interdiction de l’importation de tout produit fini dont un ou deux produits identiques sont fabriqués localement;

• La révision du décret actuel de fixation des prix des médicaments qui est en faveur de l’importation;

• La libéralisation des prix des médicaments non remboursables; • Un fast track pour l’enregistrement des produits à la fabrication;

• Des mesures incitatives pour l’investissement aussi bien dans l’innovation que dans le générique;

• L’achèvement des réglementations et des mesures incitatives nécessaires pour le développement de la recherche (dont les essais cliniques...);

• La révision de la réglementation actuelle relative à la bioéquivalence pour ne pas handicaper le développement des médicaments génériques;

• La mise en place d’une agence nationale du médicament, organe essentiel pour la régulation et la promotion du secteur.

 

F.N.H. : Cette crise a-t-elle changé la perception que vous aviez de l’industrie pharmaceutique nationale ? Va-telle impliquer un changement d’approche afin de la rendre plus solide et plus compétitive ?

A. S. : Le médicament n’est pas un produit comme les autres; il revêt un caractère stratégique incontournable pour notre pays. La crise du Coronavirus est venue révéler une image d’une industrie nationale du médicament dont les fondations sont fragilisées.

De fait, le Coronavirus est venu accélérer de manière conjoncturelle une tendance structurelle qui a vu un recul de la fabrication locale et une absence de visibilité de la stratégie juridique et réglementaire des pouvoirs publics depuis trois décennies. Le moment est venu pour agir de manière structurelle, déterminée et volontariste, afin de préserver notre souveraineté sanitaire et développer le secteur du médicament dans son ensemble. Ceci est d’autant plus crucial que notre secteur peut contribuer à la reprise économique souhaitée.

 

F.N.H. : Aujourd’hui, les autorités misent de plus en plus sur la production locale dans le cadre de la reprise économique. Quels sont les leviers à activer afin que l’industrie pharmaceutique nationale puisse profiter valablement de cette opportunité ?

A. S. : Cette opportunité nous permettra d’appuyer l’autonomie sanitaire, de favoriser les génériques et de soutenir les entreprises locales qui deviendront, de fait, plus compétitives à l’export. Or, tous ces efforts ne seront véritablement efficaces que si le système de santé se développe dans son ensemble, notamment à travers l’élargissement de la couverture et la généralisation de l’usage des médicaments génériques pour permettre à une plus grande partie de la population d’accéder aux soins. L’objectif de cette démarche est de donner aux industriels du secteur les outils pour être les champions de demain et relever les défis qui s’offrent à eux.

En s’appuyant sur une position géographique avantageuse aux portes de l’Afrique et des écosystèmes de pointe en matière de logistique, de transport et de technologie ainsi qu’une expertise reconnue à l’international et certifiée par l’OMS qui classe le Maroc dans la zone «Europe». Le Royaume dispose d’une carte à jouer dans un contexte extrêmement complexe où il est à même d’assurer la sécurité et la prospérité sanitaire de toute la région.

Dans le peloton de tête de l’industrie pharmaceutique du continent, l’élan du secteur, qui exporte désormais 17% de sa production, devrait être encouragé par des mesures incitatives, qui accompagneraient les opérateurs nationaux aussi bien dans la fabrication locale, avec une plus grande utilisation des génériques, que dans l’implantation des nouvelles technologies (biosimilaires, vaccins, produits d'oncologie...).

De fait, le temps est venu de miser sur nos compétences et notre industrie nationale qui investit chaque année plus de 800 millions de dirhams dans l’outil industriel, la formation du personnel marocain, l’innovation technologique ou encore l’écologie. Une politique qui aura comme conséquences directes d’équilibrer la balance commerciale, notamment en réduisant l’importation de médicaments, en assurant la souveraineté sanitaire du Royaume et en participant à l’émergence d’un secteur disposant de la taille critique pour imposer le médicament «made in Morocco» comme un produit contribuant à la fois à l’amélioration de la santé de nos concitoyens et à la prospérité du pays.

 

Ce qu'il faut savoir de l’AMIP
L’AMIP, créée en 1985, comprend trente sociétés pharmaceutiques appartenant soit à des groupes étrangers, en propre ou en partenariat, soit à des opérateurs marocains. Il s’agit de sociétés de statut pharmaceutique réglementaire (à savoir des établissements pharmaceutiques industriels avec des sites de production), conformément au Code du médicament de 2006 (loi 17/04). A travers ses membres, l’AMIP représente 75% environ du chiffres d’affaires annuel du secteur. Les sociétés membres de l’AMIP représentent sous licence 260 sociétés étrangères, qui n’ont pas de sites industriels, sur les 280 sociétés étrangères présentes sur le marché marocain. Et tout ceci avec une qualité aux normes internationales, sous la supervision du Laboratoire national de contrôle des médicaments, créé depuis 1969, préqualifié par l’OMS et accrédité par la Direction européenne de la qualité des médicaments. La Direction du médicament et de la pharmacie applique officiellement les directives européennes en matière d’enregistrement et d’autorisation des médicaments.

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