Actuellement, l’Etat prend en charge 94% de l’investissement public, 6% seulement reviennent aux collectivités territoriales (CT). De nombreuses lois-cadres sont entrées en vigueur pour réformer les CT, mais elles restent insuffisantes. Entretien avec Abdelali Doumou, économiste et ancien président de la région Marrakech-Safi.
Propos recueillis par C. Jaidani
Finances News Hebdo : Comment jugez-vous le bilan des réalisations du projet de régionalisation avancée ?
Abdelali Doumou : La lettre royale adressée aux participants à cette deuxième édition des Assises de la régionalisation avancée est claire. Elle est plus ambitieuse par rapport à ce qui est en train d’être fait. SM le Roi Mohammed VI évoque les dysfonctionnements dans la mise en œuvre de ce grand chantier. Il relève aussi le retard pris dans les différents défis à relever. Ces défis ont trait notamment à l’opérationnalisation de la déconcentration qui permet de transférer des pouvoirs de l’administration centrale aux territoires. Cela permettra à l’Etat d’être plus efficace et plus efficient dans les régions. Il s’agit aussi d’avoir un investissement public mieux synchronisé dans le temps et dans l’espace. Il est important d’assurer une bonne coordination entre les différents acteurs et les actions publiques. Actuellement, l’Etat prend en charge 94% de l’investissement public, 6% seulement reviennent aux collectivités territoriales (CT). Si l’on veut améliorer les conditions de vie de la population, il faut d’abord agir sur la déconcentration afin d’assurer la célérité de l’action publique.
F.N.H. : Quel sont les aspects sur lesquels il faut se focaliser pour réussir la déconcentration ?
A. D. : Il faut déconcentrer d’une manière simple avec un seul représentant de l’Etat. La multiplication des interlocuteurs et la complication de la procédure sont des entraves majeures pour accélérer le programme de régionalisation avancée. Il faut aussi revoir le rôle des collectivités territoriales. De nombreuses lois- cadres sont entrées en vigueur, qui ont réformé les CT, mais elles restent insuffisantes. Il faut préciser davantage les missions et bien définir les attributions des régions, des provinces, des communes et des mairies pour assurer leur complémentarité. Parfois, on fait la même chose dans un domaine et on ne fait rien dans un autre. Malheureusement, sur le plan juridique, il n’y a pas un dispositif qui peut l’assurer. Le développement passe nécessairement par celui des régions. Si l’on veut promouvoir l’investissement privé dans les territoires, il faut changer la nature de l’investissement public.
F.N.H. : Faut-il aussi revoir le système d’allocation des ressources budgétaires destinées aux collectivités territoriales ?
A. D. : Le système actuel d’allocation des ressources budgétaires publiques n’est pas adéquat. Il faut le réformer en profondeur. Les CT font pratiquement la même chose. Cela leur fait perdre leur vocation, alors que l’esprit même de la régionalisation avancée insiste beaucoup sur cette notion de vocation. Chaque territoire peut se spécialiser dans un secteur déterminé comme l’agriculture, l’industrie, le tourisme ou autres. Dès lors, il est primordial de prendre en considération les spécificités de chaque CT pour renforcer sa vocation. Si le système d’allocation encourage la dispersion, on n’aura pas de vocation solide dans les territoires. L’attractivité de l’investissement sera elle aussi touchée.
F.N.H. : L’encouragement des vocations territoriales peut-il réduire les inégalités interrégionales ?
A. D. : Si chaque région trouve et renforce sa vocation, elle va créer plus de richesse. Par exemple, Essaouira a trouvé la sienne dans le domaine culturel et touristique qui est son avantage différenciatif. Nous avons essayé de l’améliorer. Il n’y a pas d’autoroutes pour desservir, dans de bonnes conditions, la ville et ses environs. Le Conseil régional a lancé une voie express reliant l’agglomération à Marrakech. Cette voie est reliée au réseau autoroutier national et tout le monde est gagnant dans cet investissement. Ce projet a permis d’améliorer nettement l’attractivité de la région et sa vocation. Voilà pourquoi l’Etat doit accompagner ces vocations en révisant le système des allocations budgétaires publiques.