Réflexion sur l’après-Covid-19 et le nouveau modèle de développement économique et social marocain

Réflexion sur l’après-Covid-19 et le nouveau modèle de développement économique et social marocain

Par Kamal JABRY, ancien DRH, formateur expert senior

 

Saluons tout d’abord la gouvernance marocaine et toutes ses composantes pour la gestion de la pandémie de coronavirus en reposant, en partie, sur le «Learn by Doing».

Toutefois, je souhaiterais synthétiser en 13 points les enseignements à tirer de la stratégie marocaine :

 1- Une fierté patriotique des Marocaines et Marocains sur la manière avec laquelle la situation est gérée jusqu’à aujourd’hui.

2- Un pourcentage non négligeable des citoyens marocains à un respect timoré du confinement, d’ailleurs à l’instar d’autres populations du monde. Les raisons en sont multiples : compréhension de la dangerosité, exiguïté des habitations, enfance dans la rue, métiers précaires, taille des familles…

 3- Une forte propension à transformer une partie de l’appareil de production en un temps record, malgré parfois quelques effets d’annonce.

4- Une facilité d’innovation certaine observée qu’il conviendra absolument à faire perdurer et à être financée.

5- Un positionnement de la presse électronique arabophone et francophone plus citoyen et plus orienté marocaines et marocains que politique, contribuant ainsi à l’éducation collective et à la prise de conscience.

6- Un développement du digital «primaire» (vieux projets qui ont tardé à émerger), mais qui reste insuffisant au regard des challenges futurs (l’après Covid-19) de l’administration et de l’économie marocaines.

7- Une prise de parole des politiques qui brille par sa timidité durant cette période de confinement, à l’heure où le discours prône l’engagement collectif.

8- Une communication de crise satisfaisante qui a cependant besoin de continuer à lutter contre les rumeurs et la désinformation.

 9- Une insuffisance et une non préparation du système hospitalier mais qui a su néanmoins très vite développer sa capacité de résilience.

10- Une dépendance forte des laboratoires internationaux et une gestion de certains stocks stratégiques à repenser.

11- Une révision nécessaire d’optimisation des circuits de distribution en période de crise

12- Un monde associatif (près de 150.000 associations) qui agit malgré le peu de moyens.

13- Une contribution tardive, voire inexistante du secteur privé médical qui aurait nécessité une réquisition avec toutefois une mobilisation remarquable du secteur hospitalier public.

Alors, voici mes coups de cœur :

• La solidarité et contribution citoyenne exemplaires des Marocains.

• La capacité de décision des instances en charge de la pandémie.

• L’action relativement rapide, particulièrement de l’armée, la police, la gendarmerie, les forces auxiliaires.

• L’innovation qui bat son plein.

Mes coups de gueule :

• Les équipements et consommables dans les hôpitaux.

• L’incivisme de certains.

• La prolifération des Fake news.

• Les effets d’annonce.

 

Que peut-on en tirer comme orientations à intégrer dans le nouveau modèle de développement économique et social ?

A- LES 7 FONDAMENTAUX

1- Nous devrons être à l’avenir plus didactique envers les citoyens dans toutes nouvelles propositions ou décisions car l’adhésion et l’intelligence collectives deviennent le sédiment des peuples.

2- Faire jouer l’effet cliquet sur un certain nombre de mesures mises en place (pas de retour en arrière pour les plus démunis).

3- Intégrer la santé et l’éducation comme secteurs stratégiques avec toute la chaîne de valeur y afférente (Fournisseurs, logistiques, production, distribution).

4- Encourager par des mesures d’accompagnement (fiscalité, financement, formation…) le travail à distance dans certains secteurs, en particulier les services avec des impacts sur l’emploi additionnel, le désengorgement des villes…

5- La mise en force de la nouvelle gestion du temps : temps variable et/ou partiel pour les volontaires introduisant ainsi un nouveau «Moroccan Way of Life».

6- Développer le digital «made in Morocco» et le rendre effectif dans nos administrations, nos modes de vie…

7- Refonder les règles d’éligibilité pour nos futurs élus en exigeant des compétences précises : niveau d’études plus élevé sanctionné par un diplôme reconnu par l’Etat, une expérience dans la gestion du pays ou d’instances nationales, une obligation de permanence accessible aux citoyens.

 

B- UN TRAIN DE PROPOSITIONS POSSIBLES

Ma réflexion m’a amené à imaginer des propositions, certes non exhaustives, à mettre en œuvre et qui pourraient alimenter la réflexion générale sur le futur NMDES (Nouveau modèle de développement économique et social). Ces modestes propositions viendraient en sus de celles déjà mises en œuvre par le Gouvernement.

1- LA COMMUNICATION

• Règlementer la presse électronique et les «Akhbar Souk» qui n’ont d’existence que par la lourdeur et la transparence relative des organes centraux. Il convient d’orienter et de spécialiser plus encore cette presse : finance, RH, Logistique…

• Agir fermement contre les fake news en période de crise (démenti et juridiciarisation) pour éviter ce «sport national».

• Une nécessaire prise de parole par le Porte-parole du Gouvernement qui pourrait être accompagné de spécialistes à l’instar du modèle français.

• Utiliser les opérateurs téléphoniques pour «shooter» gratuitement une revue de presse quotidienne à tous les détenteurs de «devices».

2- INSTAURATION D’UN REVENU UNIVERSEL DIRECT ou INDIRECT

• L’incivisme et la variabilité des revenus poussent et expliquent l’exercice de métiers éphémères fragilisant les plus démunis ou les moins instruits. Voici une proposition envisageable payable par carte prépayée:

• 800 DH pour les célibataires habitant seuls.

• 1.500 DH pour les couples mariés avec 3 enfants et plus + bonus de 300 DH pour épouse au foyer + 200 DH si parents sous le même toit.

• 1.200 DH pour les couples mariés avec 2 enfants et moins + bonus de 300 DH pour épouse au foyer + 200 DH si parents sous le même toit.

• 1.000 DH pour les veuves/veufs sans pension.

Cela suppose de réfléchir au financement de cette opération. Des solutions sont possibles: faire payer ceux qui ne paient pas d’impôts, dégraisser les effectifs de l’administration publique grâce à la digitalisation, redéfinir le champ d’intervention de la caisse de compensation pour n’en faire bénéficier que les citoyens (exclure les entreprises par exemple pour le gaz, le sucre…).

• Organiser les métiers ambulants au sein de structures appropriées (marché organisé, et les expériences existent au Maroc) avec une localisation harmonieuse par quartier qui confèrerait alors des revenus stables à ces marchands.

• Réduire la chaîne de vente qui impacte fortement les prix de par la pléthore parasitaire de certains. Une solution : création de centrales d’achats et de livraisons régionales.

• Repenser la politique fiscale pour les particuliers (actifs et retraités) en rendant l’impôt plus progressif.

 3- LA SANTE

• Faire de l’hôpital le point d’entrée de la santé publique avec une carte hospitalière qui repose sur des indicateurs normés et reconnus qu’il conviendra de définir.

• Gestion des soins et prise en charge pour les plus démunis, avec une carte «SIHATI» (équivalente de la carte (VITALE) et un système de prise en charge préalable pour les soins lourds.

• Poursuivre la politique de baisse des prix des médicaments en particulier pour les traitements lourds.

• Allouer un budget plus important pour la recherche médicale sur certains domaines.

• Elaborer une cartographie de la santé et reprendre le principe du service civil pour éviter les déserts médicaux.

4- L’EDUCATION

• Introduire les cours de civisme (éducation civique) dès le plus jeune âge à l’école;

• Obligation de maîtriser les outils digitaux dans tous les cursus scolaires;

• Développer l’enseignement à distance adossé à des «softsskills» plus cohérents au regard des enjeux du pays;

 • Relancer les écoles d’infirmières;

• Poursuivre et accélérer les formations OFPPT pour les secteurs stratégiques;

• Planification plus rationnelle et anticipative pour le recrutement des enseignants;

• Introduire l’Histoire contemporaine dans les manuels et cours;

• Mettre en place une année de césure pour les étudiants en Ecoles d’ingénieurs ou de commerce;

• Doter les étudiants et les lycéens de PC de base «marocains» avec connexion de base Internet, bridée et à prix modique;

• Rendre obligatoire l’équipement en salle d’informatique pour toutes les écoles primaires. 5- L’IMMOBILIER

• Amender la politique de logement social avec de nouvelles règles : extension des logements à 70/80 M2, pas de blocs et maximum 4/5 étages, l’équipement logistique devra conditionner le permis d’habiter (marché, épiceries, pharmacie, médecin…opérationnels);

• Freiner la frénésie des prix d’accès au logement en surtaxant les promoteurs immobiliers qui vendent au-dessus du prix référentiel;

• Repenser activement les plans d’urbanisation et d’aménagement;

• Rendre obligatoire la facturation pour les vendeurs de matériaux avec collecte de la TVA et recoupement avec les promoteurs immobiliers;

• Interdire l’accès à la promotion immobilière pour les non-professionnels sans expérience ou réalisations justifiées et vérifiables.

6 – LES ASSURANCES/ BANQUES (les démunis)

 • Création d’une assurance perte d’emploi temporaire non cumulable avec le revenu universel d’une durée de 6 mois moyennant une cotisation mensuelle de 100 DH durant la période d’activité et donnant lieu à une indemnité de 6.000 DH en une seule fois. Les conditions d’éligibilité : avoir travaillé 2 ans consécutifs.

• Généraliser la carte bancaire gratuite pour lutter contre le cash, la thésaurisation et encourager le versement des indemnités et aides de manière transparente;

• Création d’un financement pour les jeunes créateurs innovants (selon les secteurs retenus) à taux très réduit.

7- LES TRANSPORTS

• Interdire les grands taxis (blancs) en périmètre urbain dans les grandes villes et favoriser l’acquisition de nouveaux taxis, renouvelant ainsi le parc automobile tout en réexaminant les rentes de situation;

• Politique tarifaire pour le transport en Tram : -50% pour les étudiants de moins de 25 ans; -50% pour les retraités; prise en charge par l’employeur à hauteur de 50% du titre mensuel de transport et défiscalisation pour l’employeur;

• Rendre opérationnelle l’interconnexion Tram-autobus-taxis;

• Instaurer une taxe de circulation centre-ville pour les grandes villes (sur la base du lecteur de péage) pour favoriser le transport en commun et le désengorgement de la circulation.

 8- LA VILLE

• Villes plus propres et renforcement de la police administrative;

• Gestion plus rigoureuse des panneaux urbains et utilisation pour des causes nationales et d’éducation;

• Relance des salles de cinéma de quartier, de bibliothèques, de terrains de sport en particulier dans les quartiers défavorisés;

• Sécurité quotidienne plus accrue : caméras, rondes, équipes volantes :

• Réglementer les parkings sauvages (source de recettes et d’emplois).

9- L’EMPLOI

• Révision du code du travail en matière de défense du travailleur, de chômage partiel…

• Réactivation du plan «CNJA» pour le recrutement de 500.000 salariés dans le privé (exonération charges relatives à ce type d’emploi).

10- L’INDUSTRIE

• Créer des Centres professionnels pour l’aéronautique, la santé, l’immobilier, l’électronique…en partenariat avec les entreprises privées (défiscalisation) et encourager la recherche & développement;

• Augmenter nos capacités industrielles actuelles avant de se lancer dans de nouvelles par un financement bancaire d’extension de capacité à taux bonifiés

• Encourager nos exportateurs par un accompagnement réel par les institutions gouvernementales en adaptant le code des douanes et en imaginant de nouvelles règles d’accompagnement;

• Diversifier nos sources d’approvisionnement; • Encourager la politique de développement durable avec une prime fiscale aux entreprises qui la mettent en œuvre;

 • Création de Centres régionaux de compétences de l’innovation (CRCI).

 

 CONCLUSIONS

• Le Covid-19 a été le révélateur de la prise de conscience mondiale qui a battu en brèche un certain nombre de vérités établies et le «boxing» des continents.

• Le Covid-19 ne peut être le prétexte du souverainisme, mais plutôt celui du patriotisme et de l’établissement de nouvelles règles du commerce international.

• Le Covid-19 a impacté l’intelligence collective des uns et des autres en mettant en force notre capacité à changer de comportement et à pratiquer le Learn by Doing.

• Enfin, le Covid-19 a montré nos limites sur 2 aspects stratégiques : la santé et l’éducation au sens le plus large du terme. Le nouveau contrat social du Maroc nouveau trouve ici le prétexte de faire de notre pays, celui où il fait bon vivre. Espérons qu’il ne s’agisse pas d’un simple feu de paille, un «Go & Stop».

• Mais commençons dès aujourd’hui à réfléchir à la stratégie de déconfinement.

• Faisons de l’émotion collective de ce moment une intelligence collective, et restons fiers de notre pays, sera mon mot de la fin. ◆

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