Livraison à domicile : La face cachée d'un business lucratif

Livraison à domicile : La face cachée d'un business lucratif

 

Les entreprises étrangères dominent le marché de livraison marocain au détriment des acteurs locaux.

Les livreurs/coursiers se plaignent des conditions de travail et de la rémunération.

Sous le poids des plateformes de livraison de repas, certaines structures ont choisi la spécialisation.

 

Par : Youssef Seddik

 

En vélo ou en moto, ils sillonnent les rues de Casablanca à l’heure des repas. Les coursiers/livreurs se faufilent entre les voitures pour livrer des plats aux particuliers et aux entreprises en un temps record. Chargés de leurs énormes sacs à dos, impossible de les ignorer !

Depuis quelques années, le marché de la livraison de repas fait recette. Plus besoin de se déplacer pour aller chercher des plats à emporter. Il suffit d’un clic sur votre Smartphone et votre repas est commandé. Actuellement, deux plateformes de livraison dominent cette industrie encore balbutiante. Il s’agit de Jumia Food et Glovo.

Mais le marché aiguise aussi les appétits des start-up marocaines qui tentent de prendre ce train pour le moins lucratif. Grâce aux réseaux sociaux et à l’utilisation massive des Smartphones, les modèles de services pour l’alimentaire ont changé. On parle désormais de Foodtech.

Food on Demand (FOD), lancé en 2016, est le premier restaurant ayant digitalisé l’expérience client au Maroc. «Depuis notre lancement, le business évolue de mieux en mieux. A Marrakech, les chiffres sont satisfaisants. Nous avons atteint les 40 livraisons par jour dès le deuxième mois. D’autant que les clients sont satisfaits de l’aspect technologique déployé avec le concept restaurant connecté…», nous explique Hamza Aboulfeth, fondateur de FOD.

«Toutefois à Casablanca, je ne vous cache pas que ça peine à démarrer. Les meilleurs jours se soldent à 25 livraisons. Bien que nous ayons monté notre business avec les mêmes moyens, les mêmes budgets, la même approche que celle déployée à Marrakech», se désole Aboulfeth.

 

Le «raid» des plateformes internationales

Pour le jeune entrepreneur, 3 raisons expliquent ce démarrage hésitant à Casablanca : les coûts de la publicité qui ne cessent d’augmenter. «Ils sont devenus 3 à 4 fois plus qu’avant» et «le taux de conversion a également chuté»

À noter que le taux de conversion correspond au pourcentage de visiteurs réalisant un achat au cours de la visite d’un site web ou suivant un certain laps de temps après la visite.

L’autre raison est à chercher du côté des géants du Fast Food Delivery, qui ont envahi le marché marocain en moins de deux ans. «Nous avons aujourd’hui au Maroc deux mastodontes de la livraison avec des budgets illimités. Et ils ont l’aisance de lever des millions de dollars auprès des investisseurs. C’est finalement une histoire de surenchère qui leur procure un sérieux avantage, contrairement à nous», résume H. Aboulfeth.

Glovo a par exemple levé 460 millions d’euros auprès d'investisseurs attirés par l'essor du secteur, depuis sa création. En 2019, la start-up espagnole prévoit 250 millions d'euros de chiffre d'affaires, soit une hausse de plus de 200% par rapport à 2018, année où les ventes avaient déjà bondi de 350%. Pour croître, la start-up espagnole s'implante là où la concurrence est moins vive qu'en Europe occidentale: Amérique latine, Ukraine, Maroc, Côte d'Ivoire, etc.

 

Les habitudes changent, le marché croit

Réduction des délais de livraison et amélioration de la qualité de service seraient donc les deux facteurs qui expliqueraient la fulgurante croissance du marché de la livraison de repas ces dernières années. 

En revanche, le marché de la livraison au Maroc reste microscopique par rapport au marché français par exemple, que ce soit en nombre de livreurs ou de commandes. 

«À Paris, ce sont des milliers de livraisons qui passent chaque jour. Au Maroc, l’ensemble des acteurs de la livraison font à peine 2.000 livraisons sur la journée», tempère Aboulfeth.

Mais cela ne freine en rien son ambition de devenir un acteur de référence dans son domaine. Pour lui, le point d’espoir au Maroc est que les habitudes du consommateur changent rapidement. 

«Les habitudes d’achats du consommateur marocain ont drastiquement changé. Aujourd’hui, tout est digitalisé, et les gens sont devenus dépendants de leur téléphone. Nous l’avons compris. Et nous parions sur cela, tout en apportant quelques ajustements à notre approche publicitaire», appuie notre interlocuteur, qui annonce une nouvelle approche marketing pour ce mois. 

Enfin, l’expert de la Foodtech pense que la livraison à domicile va vraiment décoller avec l'entrée dans la vie active de «la génération Z». Une génération qui veut se faire livrer tout, n'importe où et n'importe quand.

 

Un périlleux job pour les livreurs

Si le business fait florès, du côté des livreurs c’est le calvaire ! Entre les risques d'accident et les malfaiteurs qui en veulent à leur équipement (casques, motos,…), les livreurs ont conscience que leur métier n'est pas de tout repos. 

Agés de 20 à 35 ans, munis de leurs Smartphones, ils se réunissent près des restaurants à l’affût de la moindre notification de commande. 

«C’est un métier exigeant. Nous travaillons aux heures de pointe où la circulation est infernale, parfois jusqu’à pas d’heure, avec le lot de dangers qu’apporte la nuit», raconte Khalid, jeune étudiant qui a fraîchement rejoint une plateforme de livraison. 

«C’est vraiment une course contre la montre. Nous devons être rapides et ponctuels à chaque sortie. Et pour nous en sortir financièrement, nous devons faire un maximum de portages par jour», témoigne-t-il.

Son collègue Yassine, 28 ans, livreur depuis 3 ans apporte plus de détails sur ce métier: «Nous travaillons avec nos propres moyens. Chaque livreur doit disposer de son vélo ou de sa moto, son Smartphone, payer les frais de carburant et réparer sa moto en cas d’accident»

Et d’ajouter : «les sacs à dos et les gilets sont les seules choses que les employeurs mettent à notre disposition».

Côté rémunération, c’est pas plus de 700 DH de salaire par mois, avec une commission de 5 DH sur chaque commande livrée ou quelques Dirhams pour un nombre de kilomètres parcourus. Bref, pas de quoi joindre les deux bouts.

«Pas de congés payés, pas d'assurance maladie, pas de contrat…, nous vivons de la générosité des clients (pourboires : ndlr)», note insatisfait Yassine. Pour lui, c’est un travail d’appoint dans lequel il ne souhaite pas s’éterniser.

Rappelons que le statut d'indépendant des coursiers est contesté dans de nombreux pays, et plusieurs décisions de justice ont donné raison aux livreurs face aux plateformes (Deliveroo, Glovo…). 

Par exemple, en été dernier, la justice espagnole a condamné Deliveroo pour avoir fait passer comme indépendants des centaines de livreurs qui auraient dû être déclarés comme salariés, évitant ainsi de payer 1,2 million d'euros de cotisations sociales. 

 


Livraison B2B : «Un marché à fort potentiel»


 

Un marché de livraison B2B s’est développé à Casablanca.

Nous sommes partis à la rencontre de «Le Petit Coursier», une société basée à Casablanca, spécialisée dans les courses pour entreprises et particuliers. Elle est gérée par Amine Handir et Nadir El Jouhari, deux jeunes entrepreneurs. Entretien.

 

Propos recueillis par : Youssef Seddik

 

 

Finances News Hebdo : Comment le segment de livraison administratif marche-t-il et comment vous vous situez ?

Amine Handir & Nadir El Jouhari : Les sociétés spécialisées dans les courses pour entreprises et particuliers, comme la nôtre, sont de plus en plus nombreuses. 

Rien qu’à Casablanca, nous en comptons une vingtaine. Cet engouement s’explique par le fait qu’il n’y a aucune barrière à l’entrée, comme pour beaucoup de métiers de service d’ailleurs. Au début, l’idée derrière la création de ce genre de structures était de se mettre au service des entreprises qui souhaitent externaliser cette tâche. Le champ d’opération s’est par la suite progressivement élargi aux particuliers.

 

F.N.H. : Pourquoi avez-vous choisi cette spécialisation ?

A.H & N.E : Depuis l’arrivée de Glovo et de Jumia Food peu après 2017, nous nous sommes retirés du segment Food, parce qu’il n’y avait pas moyen de les concurrencer avec leurs budgets colossaux. Notre chiffre d’affaires a été fortement impacté et nous avons préféré nous concentrer sur le B2B administratif et le B2C léger. Ce qui marche plutôt bien, puisque nous traitons entre 50 et 60 demandes de livraison par jour, parfois avec des pics de 70. 

 

F.N.H. : Quels types de clients et quels moyens mettez-vous à leur disposition ?

A.H & N.E : En plus des particuliers, nous travaillons avec des grosses structures : Crédit du Maroc, Société Générale, Danone, PR Media, Chambre de commerce britannique, Continental AG, pour ne nous citez que ceux-là. Notre flotte est composée de 15 motos et 5 voitures et nous couvrons principalement le Grand Casablanca et Rabat.

Dans le détail, nous nous occupons de la livraison de colis pour particuliers et entreprises, de médicaments et d’objets divers, de la légalisation de documents administratifs, du règlement de factures (eau, électricité, téléphone), de la distribution des journaux... Cela peut même aller aux dépôts de chèques à la banque ou de dossiers à la CNSS ou la DGI.

 

F.N.H. : Quelles sont les perspectives du marché dans les années à venir et quelles sont vos ambitions ?

A.H & N.E : C’est un marché à fort potentiel, dont la demande et l’offre (sociétés de coursiers : ndlr) croissent fortement. Les particuliers et les entreprises utilisent beaucoup plus qu’avant les services de livraison. Nous sommes en train de développer une application à la demande de nos clients puisque pour l’heure, nous ne travaillons que par téléphone. Aussi, nous allons élargir notre maillage territorial pour couvrir Tanger, Agadir, Marrakech et Fès. Et finalement, nous discutons avec UPS dans le cadre d’un partenariat international. 

 

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