Le stress hydrique à nos portes

Le stress hydrique à nos portes

Ultime épisode catastrophique d’une année qui n’en finit pas de faire pâlir, après la crise énergétique, alimentaire et climatique, la crise hydrique sonne à notre porte. En réalité, il ne s‘agit pas là d’une nouveauté, mais du dernier épisode d’un phénomène structurel avéré qui ne laisse plus de place au doute. La sécheresse ne connait pas de répit : les sols s’assèchent, les terres fertiles disparaissent, la désertification avance, et les réserves d’eau potable s’amenuisent. La sécheresse affecte non seulement les sociétés humaines, mais des écosystèmes entiers, amenant à la disparition d’espèces animales et végétales dont nous dépendons.

Les dernières statistiques de la convention de combat de la désertification des Nations Unies, permettent de prendre conscience de l’urgence de cet enjeu, devenu une embûche sur le chemin du développement durable des nations. Le nombre, aussi bien que la durée, des épisodes de sécheresse ont tous deux augmenté de +29% entre 2000 et 2021, en comparaison avec les deux décennies précédentes. Les derniers épisodes observés cet été confirment cette trajectoire haussière qui ne décélère pas.

Entre 1970 et 2019, la sécheresse est responsable de 650,000 décès dans le monde, et tenez-vous bien, 90% de ces décès sont dans des pays en voie de développement. Sur le siècle dernier, on estime ce chiffre à 10 millions de personnes. En Afrique, c’est le Sahel, l’Ethiopie, le Soudan, l’Afrique de l’Est et du Sud, qui sont les plus impactées sur le siècle dernier. La sécheresse est non seulement un problème pour aujourd’hui – avec 2,3 milliards de personnes vivant dans des zones avec un stress hydrique – mais également pour demain – en 2040 un enfant sur quatre vivra dans une zone de stress hydrique extrême.

Plusieurs causes derrière ce stress hydrique : la hausse des températures avec le réchauffement climatique, le manque d’investissement dans les capacités de stockage et de traitement des eaux usagées qui n’est pas parti de pair avec la hausse de la population et de sa densité dans les grandes villes, l’assèchement des nappes phréatiques, la disparition des zones humides... Ce dernier élément mérite plus de clarification, car il s’agit là d’une solution des plus importantes à mettre en œuvre selon les experts.

Les zones humides sont des zones où l’eau est le principal élément (qu’elle soit douce ou pas) tel que les marécages. Les zones humides ont été systématiquement recouvertes, comblées, ou drainées, pour permettre l’aménagement urbain, ou bien pour les rendre utiles à l’agriculture. En d’autres termes, la philosophie déployée jusqu’à présent était la suivante : tout morceau de terre doit être utile soit pour la ville soit pour la campagne. Or, cela s’est fait sans que nous ayons réellement conscience du rôle que jouent ces zones dans le cycle de l’eau. Aujourd’hui il est question de restaurer ces zones humides. Au-delà de la technique, il faut donc changer de philosophie : accepter que des terres n’ont pas d’utilisation directe par les humains, mais qu’elles contribuent à la prospérité de notre espèce de façon indirecte, en jouant des rôles clé dans des écosystèmes qui au fond, nous dépassent. Cette mesure à elle seule, permettrait de réduire de -700 millions le nombre de personnes qui souffriront du stress hydrique à horizon 2030.

Cet été, les épisodes de sécheresse se sont enchainés partout dans le monde, amenant les autorités à prendre des décisions variées, mais qui vont toujours dans le même sens : celui de la rationalisation de la consommation. Au Mexique, la présidence a proposé de freiner la production de bière dont le pays est devenu un des plus grands exportateurs mondiaux. En Angleterre, l’état de sécheresse a été déclaré officiellement sur 8 des 14 territoires que compte le pays, après l’été le plus sec depuis 50 ans. Il s’agit de la dernière déclaration officielle depuis 2018, suite à laquelle 5 compagnies d’eau ont mis en place des restrictions qui impacteront 7,4 millions de personnes. Aux Etats-Unis, le niveau d’eau dans les deux plus grands réservoirs du Sud du pays ont baissé à un plus bas jamais atteint sur les 1,200 dernières années ! La Californie, l’Utah, l’Arizona, le Nevada, la Colorado et le Nouveau Mexique sont les Etats les plus touchés. Des millions d’américains sont concernés, non seulement sur l’eau, mais également sur la production d’électricité qui est en partie d’origine hydro-électrique. Même son de cloche en Espagne et au Portugal, qui ont connu l’été le plus sec depuis là aussi un millénaire. Les épisodes extrêmes sont passés d’une année sur 10 avant 1850, à une année sur 4 désormais.

Pour dépasser cette crise, il faudra agir aussi bien sur l’offre d’eau (augmenter la capacité de stockage, améliorer les capacités de retraitement, restaurer les écosystèmes détruits telles que les zones humides, adopter des solutions innovantes comme la désalinisation de l’eau de mer qui a fait ses preuves techniques mais dont le coût de production demeure encore élevé …) que sur la demande (en modérant la consommation privée et industrielle, en améliorant l’efficacité hydrique…) Il faudra également former et sensibiliser : une étude en Californie en 2017 a montré que la publication par les médias d’une centaine d’articles sur la sécheresse en l’espace de deux mois, a fait baisser la consommation d’eau par les ménages de -11 à -18% selon les foyers. Dans cette lutte, l’apport des nouvelles technologies – telles que l’imagerie satellitaire et l’intelligence artificielle – sera un allié fidèle, pour améliorer nos capacités de modélisation et de prévision, et affiner nos décisions.

Tout cela pose la question de la privatisation des compagnies publiques d’eau. Cette pratique qui est devenue un standard de marché, trouve des critiques en Angleterre, pays pionnier dans cette privatisation. On estime que depuis les années 1970 l’écrasante majorité des compagnies britanniques sont devenues privées. Les détracteurs pointent aujourd’hui un sous-investissement dans les infrastructures, qui n’est pas parti de pair avec la hausse des profits et des dividendes. Chiffre choquant : on estime que dans un pays aussi développé que l’Angleterre, 20% de la collecte d’eau est perdue à cause de tuyaux défectueux !

Cela pose également la question de la nature de l’eau, et s’il faut la traiter comme une matière première comme les autres. Sur le Nasdaq, des contrats dérivés permettent depuis 2017 de se couvrir contre la variation des prix à venir de l’eau. Mais il convient de pointer une différence majeure entre l’eau et la pollution. Lorsqu’on parle de lutte contre le réchauffement climatique : un investisseur ne peut pas acheter de l’air pur, il achète par contre le droit de polluer cet air pur sous forme de certificats Carbone. Ici, on n’achète pas le droit de polluer, mais bel et bien la matière première directement.

Dans les zones où les populations doivent se déplacer pour collecter quotidiennement de l’eau, dans 72% des cas ce sont des femmes qui prennent en charge cette tache dans le foyer familial, et dans 9% des cas ce sont des petites filles…aller chercher de l’eau et le ramener au foyer consomme en moyenne 40% des apports caloriques de ces personnes sur la journée ! Pas de développement en vue sans résoudre ce problème, dont les fardeaux retombent davantage sur la femme.

Au Maroc, les ressources en eau disponibles sont passées de 3,500 mètres cube / habitant / an en 1960, à 730 en 2005, à 645 en 2015, et devraient baisser encore à 510 en 2050.  Le seuil critique d’eau est estimé à 1,000 mètres cube / habitant / an. Cet été les mesures de rationnement ont fait leur retour dans plusieurs régions. Tout cela rappelle notre fragilité face à cette ressource rare. Cela nécessitera un nouveau programme dédié à long terme, pour minimiser les risques de pénuries qui viendraient entraver notre développement.

Par Omar Fassal 

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