Le Maroc et l'après-Mondial : l'euphorie ... et l'atterrissage

Le Maroc et l'après-Mondial : l'euphorie ... et l'atterrissage

Le temps est à la fête ! A juste titre : le parcours des Lions de l'Atlas, au Mondial au Qatar, est exceptionnel. Historique. De la ferveur et de la fierté pour tout un peuple et sa communauté à l'étranger. Des résultats qui vont marquer durablement la mémoire collective; l'histoire est là, en marche : elle est tutoyée avec éclat et symbole. Un exploit qui est peut-être annonciateur -sinon porteur- d'un acte fondateur d'autre chose, de valeurs fédératrices.

Si l'on est arrivé à cette situation, ce n'est pas le fruit du hasard. Elle émane de la synergie de plusieurs facteurs : une politique footballistique, un travail en profondeur, une nouvelle culture d'entreprise instillée dans l'équipe nationale par son coach, Walid Regragui, investi seulement depuis cent jours... Preuve, si besoin était, qu'un bon management et un leadership portant et incarnant un projet et des réformes dans le cadre d'une vision ne peuvent que porter des fruits. Une méthodologie, un modus operandi, de nature à inspirer peut-être tant d'autres secteurs des politiques publiques.

 

Partis : atones et peu audibles

A un premier niveau, qu'en est-il des partis politiques qui sont, à un titre ou à un autre, les acteurs et les producteurs dans le système institutionnel - gouvernement, parlement, etc. Voici près de deux semaines, s'est tenu à Rabat le XIVème congrès du Mouvement populaire (MP). Le responsable sortant, Mohand Laenser, en fonctions depuis 1986, a cédé la place à Mohamed Ouzzine, seul candidat élu à la majorité. Du renouvellement ? Pas vraiment. Il a rejoint le MP au début des années 2000; il a été membre du cabinet de Laenser, alors ministre de l'Agriculture (2002-2007), puis parlementaire élu en 2011 et en décembre 2015. Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères (2009-2011), il a été aussi ministre de la Jeunesse et des Sports (janvier 2012- janvier 2015, démis cependant par le Souverain «pour ses manquements dans la rénovation du stade de Rabat». 

A la suite de son élection, Mohamed Ouzzine a annoncé une nouvelle dynamique sous le signe de «la dignité». Il recommande de renouveler le discours haraki et appelle à une révision des priorités allant au-devant des attentes des jeunes. Soit, dira-t-on, mais sur la base de quels traits distinctifs ? Il dispose de 28 sièges dans la Chambre des représentants élue le 8 septembre 2021, soit 7% des sièges et des voix (535.000). Parti à vocation gouvernementale, son parcours au sein de l'exécutif depuis plus de deux décennies a été cependant passablement heurté dans la majorité depuis le cabinet d'alternance de 1998, puis dans celui de Driss Jettou (2002-2007), dans l'opposition au départ dans l'exécutif Abbas El Fassi avec un rattrapage de Laenser comme ministre d'Etat (juillet 2009- janvier 2012) avant d'être écarté de la majorité du gouvernement actuel d'Akhannouch.

La difficulté de principe de cette formation est celle-ci : quelle offre partisane particulière ? Historiquement, elle avait un double référentiel : celui de l'amazighité et celui de la promotion du monde rural. Des problématiques désormais diluées dans les axes stratégiques du nouveau Règne ainsi que dans la nouvelle Constitution, qui a consacré la langue amazighe comme langue nationale officielle à côté de la langue arabe. Des réformes sociales spécifiques ? Lesquelles qui permettraient d'identifier spécifiquement le MP ?  D'autres partis tant dans la majorité que dans l'opposition se situent dans le même périmètre sans doute avec plus de légitimité et de crédibilité... Comment dépasser une formation qui s'apparente à un réseau de notables avec des fiefs électoraux : tel est le challenge du MP. Le risque est celui d'une «gestion» statutaire, quelque peu rentière même dans la perspective des élections de 2026.

Dans ce chapitre-là, il faut évoquer aussi la situation du parti de l'Istiqlal qui, lui, est l'une des trois composantes de la majorité. Le XVIIIème congrès sans cesse annoncé accuse du retard, se mettant ainsi en infraction avec la législation, ce qui le prive au passage de la subvention annuelle 2022 accordée aux partis. Elu secrétaire général en octobre 2017, Nizar Baraka, ministre dans le cabinet Akhannouch avec trois autres membres de son parti, envisage les prochaines assises vers mars 2023. Le PI a enregistré un grand succès aux élections législatives du 8 septembre dernier avec 81 sièges au sein de la Chambre des représentants contre seulement 35 en 2016 et 1.280.000 voix (+ 6%).

Sa situation actuelle est inconfortable pour plusieurs raisons : sa sous-représentation au gouvernement et son souci d'une «correction» avec des secrétariats d'Etat encore annoncés; la normalisation au sein des instances partisanes par suite des agissements et des ambitions du maire de Laâyoune, Hamdi Ould Rachid; enfin, des problèmes de concertation et de coordination avec le Chef du gouvernement, président du RNI et son autre allié, le PAM dirigé par Abdellatif Ouahbi. Précisément, à propos de ce parti du tracteur, la cohésion laisse à désirer. Les ambitions concurrentes de ce responsable, ministre de la Justice, et de celles de Fatima -Zohra Mansouri, en charge du département de l'Habitat et de l'Urbanisme, présidente du conseil national, ne contribuent pas à créer un climat serein. Des questions de gouvernance du parti entre autres, sont posées. Tout cela ne pousse pas le PAM à être vraiment audible sur le plan national.

L'état des lieux du système partisan n'est pas précisément euphorique - il tourne le dos à la présente conjoncture footballistique-, l'on peut exclure dans l'opposition l'atonie du PJD et de l'USFP; le PPS, lui, persistant, dans un certain «activisme». Telles sont les réalités sur le terrain. Il faut y ajouter des contraintes sociales et économiques pesant de tout leur poids qu’il faudra bien arriver à réduire voire à maîtriser à terme. 

 

La «baraka»... et les réalités

Quelle lecture en fait le chef du cabinet, Aziz Akhannouch ? Voici une dizaine de jours, le mardi 29 novembre, devant la Chambre des conseillers, il ne s'est pas départi d'un optimisme mâtiné même d’autosatisfaction. Il a même parlé de… «baraka». A ses yeux, pour la sortie de crise, «Le Maroc est sur la bonne voie». Il a insisté à cet égard sur plusieurs points : l'institutionnalisation du dialogue social avec une enveloppe annuelle de 9,2 milliards de DH (MMDH); des ressources financières en progression à la fin septembre phosphates et dérivés : 92 MMDH, + 67%; recettes touristiques : 62 MMDH, + 150%; transferts MRE : 81 MMDH, + 11%; IDE : 20 MMDH, +50%), etc. Pour les réformes attendues, il a précisé qu'elles sont toujours à l'ordre du jour (refonte du code du travail, régime des retraites dans les six mois). Il s'est aussi félicité de la généralisation de l'AMO le 1er décembre avec 11 millions de bénéficiaires, soit 4 millions de ménages.
Le projet de Loi de Finances 2023 a été finalement adopté le jeudi 8 décembre courant par le parlement. A-t-il tranché de manière conséquente et durable quant à la réduction des déséquilibres conjoncturels et à la mise en œuvre d'une politique économique appropriée ? Notamment cette question : la relance ou la maîtrise de l'inflation ? Celle-ci sera de 8/9% en 2022 mais pour les produits de grande consommation, elle est située autour de 12/ 13%. Quelles sont les marges budgétaires ? Comment renforcer les fondements de l'Etat social dans les domaines suivants : dialogue social, soutien du pouvoir d'achat des citoyens, appui à des programmes spécifiques (famille, personnes âgées, personnes en situation de handicap),... S'y ajoutent la lutte contre la problématique de gestion des ressources en eau, la poursuite des grands chantiers d'infrastructures, les stratégies énergétiques et des énergies vertes, sans oublier l'équité territoriale et la consolidation de la régionalisation avancée. 

Des prévisions macroéconomiques ont été mises en avant pour 2023 : PIB (+ 4 %), production céréalière (75 Qx), dépenses d'investissement (106 MMDH, + 21%) et de fonctionnement (271 MMDH, + 12%), dette publique (110 MMDH, + 21%), encours de la dette du Trésor (70 %), soit 72% pour la dette intérieure et 28% pour la dette extérieure, pour un total de 1.000 MMDH. Quant aux besoins de financement du budget de l'Etat, ils s'élèvent à un total de 193 MMDH en 2023 auprès d'emprunteurs nationaux 69 MMDH, ou internationaux (60 MMDH) avec des contraintes de soutenabilité de cet endettement. 

Retour donc aux chiffres et aux réalités...

 

Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit (UM5, Rabat) 
Politologue

 

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