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Transition bas carbone : après l’ambition, les moyens

Transition bas carbone : après l’ambition, les moyens

L’objectif climatique du Maroc présenté lors de la COP30 laisse présager un défi colossal de financement. De l’engagement budgétaire à l’action climatique, le Royaume s’en donne les moyens.

 

Par Désy M.

Le Maroc a récemment relevé son ambition climatique en inscrivant une réduction de 53% de ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2035 dans sa Contribution déterminée au niveau national (CDN 3.0). Cette cible, nettement plus ambitieuse que les engagements précédents, repose sur un volet inconditionnel financé sur ressources internes (21,6%) et un volet conditionnel dépendant du soutien financier et technologique international (31,4%).

C’est une trajectoire qui couvre l’ensemble des secteurs économiques et vise notamment à tripler les capacités d’énergies renouvelables et à sortir progressivement du charbon d’ici 2040. Et ce, en accompagnant cette transition d’un effort d’investissement inédit à la planification budgétaire de l’Etat. Pour Oussama Ritahi, professeur de sciences économiques à l’université Hassan II de Casablanca, cette ambition «doit désormais se traduire par la traduction de la stratégie climatique dans les lignes budgétaires», car «quand le budget ne soutient pas la transition, elle reste lettre morte». Dans son analyse, l’enjeu central est de renforcer la gouvernance climatique du pays en alignant les dépenses publiques sur l’objectif bas carbone.

«Chaque Dirham dépensé doit être un Dirham investi vers la décarbonation, la résilience et la croissance verte», insiste-t-il. Or, si la circulaire du chef du gouvernement rend désormais obligatoire l’intégration des objectifs climatiques dans la programmation budgétaire triennale, de nombreux instruments manquent encore à l’appel. En particulier, l’absence d’un système de tarification du carbone, qu’il s’agisse d’une taxe, d’un mécanisme d’échange ou d’un budget carbone, limite la capacité du pays à impulser des signaux prix clairs pour les industries.

Fisc, compétitivité et justice sociale

Plusieurs leviers fiscaux sont sur la table pour soutenir cette trajectoire budgétaire climatique, mais leur mise en œuvre effective reste encore embryonnaire au Maroc. On peut distinguer au moins trois catégories d’outils. Tout d’abord, la tarification du carbone. Bien que le pays n’ait pas encore institué une taxe carbone explicite, les études de l’OCDE montrent que certains prélèvements implicites (taxes sur les carburants) couvrent une partie des émissions, mais que les subventions aux combustibles fossiles demeurent significatives.

Pour Ritahi, «un instrument fiscal adapté est à la fois un levier de réduction des émissions et une source potentielle de ressources pour financer la transition». Il met en garde : «si nous n’anticipons pas les effets sur les industries intensives en carbone, ciment, phosphates, acier, nous risquons une perte de compétitivité et des pertes d’emplois».

Ensuite, il y a la réallocation des subventions. En effet, la réduction graduelle des subventions sur les énergies fossiles et leur réaffectation vers des mesures d’efficacité énergétique et des renouvelables permettent d’alléger le coût budgétaire global de la transition, tout en stimulant l’investissement privé. Enfin, les incitations fiscales et financières à travers notamment les crédits d’impôt pour l’investissement vert, les amortissements accélérés pour les technologies propres, les bonifications d’intérêt pour les projets d’efficacité énergétique, ou encore les obligations vertes souveraines et municipales qui jouent un rôle clé pour attirer des capitaux privés vers les projets climatiques.

À ce titre, la coordination entre climat et finances publiques devient stratégique. L’adoption de ces instruments fiscaux nécessite toutefois un cadre réglementaire robuste et une expertise technique accrue au sein de l’administration publique pour mesurer l’impact des politiques et éviter des distorsions économiques, notamment dans les secteurs industriels exposés à la concurrence internationale. Financements internationaux La composante conditionnelle de l’objectif 53% est directement liée à la mobilisation de financements extérieurs et de technologies vertes.

Selon les plans nationaux, le portefeuille de projets climatiques s’élève à près de 96 milliards de dollars jusqu’en 2035, pour l’atténuation et l’adaptation combinées, dont une part substantielle dépendra de financements internationaux. Les institutions multilatérales, Banque mondiale, Banque africaine de développement, Banque européenne d’investissement et l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) se sont déjà positionnées pour accompagner le Maroc, notamment à travers des opérations de soutien à la mise en œuvre de la CDN et au renforcement des capacités en finance verte.

Par exemple, un programme cofinancé du Maroc visant à soutenir l’exécution de sa Contribution a récemment reçu une approbation de 200 millions de dollars, dont l’un des objectifs est précisément de renforcer la gestion des finances publiques climatiques. Ces financements doivent toutefois être combinés avec des instruments nationaux innovants pour créer un effet de levier, attirer des capitaux privés, réduire le coût du capital des projets verts, et assurer une répartition équitabl e des bénéfices de la transition sur l’ensemble du territoire.

La question n’est donc plus seulement de fixer des objectifs climatiques, mais de parvenir à cette articulation entre gouvernance budgétaire domestique, instruments fiscaux efficaces et appui externe bien orchestré, qui déterminera si le Maroc peut faire de l’objectif 53% un moteur concret de transition bas carbone et de développement économique.

 

 

 

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