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Gouvernance : «Le climat est désormais discuté au niveau des comités exécutifs et des CA de nombreuses entreprises cotées»

Gouvernance : «Le climat est désormais discuté au niveau des comités exécutifs et des CA de nombreuses entreprises cotées»

Entre conformité et transformation, le climat s’impose progressivement dans la gouvernance des entreprises cotées marocaines. Dans cette interview, Sofia Harouchi, Regional Lead Utopies Maroc, décrypte les principales tendances en la matière.

 

Propos recueillis par A. Hlimi

Finances News Hebdo: Votre étude montre des avancées réelles mais très hétérogènes. À ce stade, diriezvous que les entreprises cotées marocaines sont dans une logique de conformité ESG ou déjà dans une logique de transformation climatique ?

Sofia Harouchi : Les premiers moteurs ont été à la fois réglementaires et économiques : anticipation de réglementations extraterritoriales comme le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) pour des secteurs exposés tels que le ciment ou l’acier, pression accrue sur la compétitivité liée au coût de l’énergie, exigences croissantes des marchés à l’export et des grands donneurs d’ordre européens engagés dans la décarbonation de leurs chaînes de valeur, mais aussi attentes renforcées des bailleurs de fonds internationaux. Pour autant, on observe récemment un changement de mindset réel. Le climat est désormais discuté au niveau des comités exécutifs et des Conseils d’administration de nombreuses entreprises cotées. Cette prise de conscience progressive ouvre la voie à des stratégies plus structurantes, même si le passage à l’échelle reste encore très hétérogène selon les secteurs et les niveaux de maturité.

 

F. N. H. : Le cadre de reporting actuel de l’AMMC reste peu explicite sur le climat. Selon vous, faut-il une obligation réglementaire plus prescriptive sur les émissions et les trajectoires de décarbonation, ou laisser encore place à l’auto-régulation du marché ?

S. H. : Une plus grande clarté réglementaire sur les émissions et les trajectoires de décarbonation apparaît désormais nécessaire pour créer un socle commun, comparable et robuste. À ce titre, l’intégration d’exigences plus explicites dans la prochaine mise à jour de la circulaire 03/19 de l’AMMC serait un signal structurant pour le marché. Cette évolution pourrait utilement dépasser le seul périmètre des entreprises cotées et émettrices, en s’appuyant sur une approche progressive par paliers de chiffre d’affaires et d’effectifs, en ciblant en priorité les secteurs les plus exposés. Elle pourrait par ailleurs s’articuler avec les travaux en cours au Maroc sur l’élaboration d’une taxonomie verte nationale, appelée à devenir un puissant levier d’incitation en orientant les financements vers les activités et les acteurs les plus alignés avec la transition climatique. Ceci aiderait à lever les freins informationnels auxquels sont confrontés les marchés financiers. En effet, si certains analystes et investisseurs intègrent déjà les enjeux climatiques, le manque d’information disponible, l’hétérogénéité et la faible comparabilité des données publiées limitent encore leur prise en compte à l’échelle du marché. Au-delà du cadre réglementaire, les indices constituent des instruments de marché structurants. L’initiative de la Bourse de Casablanca, à travers la notation ESG servant de base à l’indice ESG 20, constitue à cet égard une excellente pratique. Une piste complémentaire consisterait à développer un indice spécifiquement dédié au climat, valorisant les entreprises les plus matures en matière de décarbonation et de gestion des risques climatiques, à l’image du CAC SBT 1.5, qui distingue les entreprises engagées sur des trajectoires compatibles avec l’Accord de Paris. L’auto-régulation conserve un rôle d’innovation et d’anticipation, mais gagnerait à être complétée par un cadre réglementaire et de marché plus prescriptif, fournissant aux analystes et aux investisseurs des bases communes, lisibles et comparables, propices à une montée en puissance.

 

F. N. H. : Seules 29% des entreprises déclarent avoir réalisé un bilan carbone, souvent partiel. Qu’est-ce qui freine aujourd’hui ce passage à l’acte ?

S. H. : Le frein principal tient moins à l’exercice du bilan carbone en tant que tel qu’à ce qu’il implique. Mesurer ses émissions conduit mécaniquement à s’interroger sur une stratégie, une feuille de route et des décisions d’investissement parfois structurantes, avec des retours attendus à moyen ou long terme. Tant que le climat n’est pas pleinement intégré comme un risque économique et financier, cette chaîne de décisions reste difficile à prioriser au plus haut niveau. S’agissant du scope 3, la complexité technique est réelle : les méthodologies ne sont pas encore totalement standardisées et la collecte de données reste exigeante. Pour autant, il est tout à fait possible d’initier la démarche par un scope 3 partiel, permettant à la fois de monter en compétence et d’embarquer progressivement les fournisseurs et partenaires dans la trajectoire de décarbonation.

 

F. N. H. : À l’horizon 2035, avec la nouvelle NDC du Maroc, quels secteurs cotés vous semblent les plus exposés à un risque de décrochage s’ils n’accélèrent pas rapidement sur le climat, et lesquels pourraient au contraire tirer un avantage compétitif de cette transition ?

S. H. : À l’horizon 2035, les secteurs cotés les plus exposés à un risque de décrochage sont ceux à forte intensité carbone et énergétique, industrie lourde, énergie, mines, BTP et grandes infrastructures, ainsi que les assurances, en première ligne face à l’intensification des risques climatiques physiques. L’agro-industrie est également fortement exposée aux conséquences du changement climatique, en particulier au stress hydrique, à la montée des températures et à la multiplication des aléas extrêmes. Sans accélération rapide des trajectoires de transition et d’adaptation, ces acteurs feront face à des enjeux croissants de compétitivité, d’accès au financement et d’acceptabilité sur leurs marchés. À l’inverse, certains secteurs disposent de leviers structurels pour tirer un avantage compétitif de la transition climatique, notamment l’immobilier, à travers l’amélioration de la performance énergétique et de la résilience des actifs, ainsi que les banques, grâce au développement de solutions de financement vert et à une meilleure intégration des risques physiques et de transition dans leurs décisions de crédit et d’investissement.

 

F. N. H. : La biodiversité, souvent présentée comme le corolaire du climat, faitelle aujourd’hui l’objet d’un traitement structuré dans les publications des entreprises cotées, ou reste-t-elle un sujet encore marginal ?

S. H. : La biodiversité s’impose progressivement comme un enjeu émergent dans les rapports ESG des entreprises cotées. Le fait qu’environ 30% des entreprises analysées abordent désormais ce thème constitue un signal positif. Si cette prise en compte reste majoritairement déclarative, certains acteurs se distinguent par la mise en œuvre d’actions concrètes, parfois assorties d’indicateurs chiffrés. Ces initiatives portent notamment sur la réhabilitation de sites, la restauration d’espaces naturels, des inventaires de la faune et de la flore, la préservation des espèces locales et des actions de sensibilisation à la biodiversité. 

 

 

 

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