Le jour où les abeilles disparaîtront…

Le jour où les abeilles disparaîtront…

 

Par Omar Fassal *

Quels sont les plus grands risques qui pourraient mener à l’extinction de la civilisation humaine telle que nous la connaissons  ? Les films hollywoodiens semblent opter pour le choc avec une météorite  : un choix simple, direct, et surtout spectaculaire pour le grand écran. A l’image du film «Don’t look up» avec Leonardo Di Caprio qui vient de sortir, et qui établit une métaphore divertissante entre une météorite et le réchauffement climatique. Ce genre de scénarios – basé sur un obus qui heurte la Terre – rappelle naturellement la chute de la météorite qui fit disparaître les dinosaures, en soulevant une épaisse couche de poussière dans l’atmosphère, bloquant les rayons de lumière et rendant l’atmosphère irrespirable. Plusieurs ont pensé lors des heures les plus sombres de la pandémie du Covid-19, que tôt ou tard, un virus invisible doté d’une létalité dangereuse finirait par avoir raison de nous. Et si la réalité était moins visible ? Moins spectaculaire  ? Moins hollywoodienne ?

A l’image de l’expérience de la grenouille. Plongez-là dans l’eau bouillante et elle en sautera immédiatement. Plongez-là dans de l’eau tiède, puis réchauffez progressivement, et elle finira par mourir car elle n’a pas senti le danger venir. C’est au fond cela les plus grands risques qui nous font face. Ceux que l’on ne voit pas venir - ou que l’on refuse de voir venir… Le réchauffement climatique en est le parfait exemple. Tout comme la grenouille, on doute, on remet en cause le thermomètre, et on se dit qu’on aura encore le temps de réagir. On a longtemps attribué à tort à Albert Einstein une citation sur les abeilles : «Si les abeilles venaient à disparaître, l'humanité n'aurait plus que quatre années devant elle».

Il a été prouvé depuis que cette citation n’a jamais été prononcée par le légendaire physicien, mais s’il y a bien une chose qui est vraie derrière ce slogan, c’est que la disparition des abeilles aurait des conséquences cataclysmiques pour notre présence sur cette planète. Les abeilles sont l’un de ces rouages vitaux de l’écosystème dans lequel nous prospérons. Un chiffre simple permet d’en prendre conscience  : sur les 100 espèces végétales qui fournissent 90% de l’alimentation mondiale, 70% d’entre elles dépendent des abeilles pour leur pollinisation. En d’autres termes, une disparition des abeilles aurait un impact immédiat sur l’approvisionnement mondial. Les abeilles sont des travailleuses acharnées. Elles vont visiter plus de 2.000 fleurs par jour sur une distance qui peut atteindre les 8 kilomètres. Elles vont se poser sur ces fleurs pour récolter le nectar, en s’envolant elles emportent des grains de pollen sur leurs poils sans s’en apercevoir.

Les abeilles vont ensuite se poser sur une autre fleur pour récolter à nouveau du nectar. Ce qu’elles ne savent pas, c’est qu’elles vont déposer du pollen sur cette fleur par la même occasion, et lui permettre de se reproduire. Et tout ça, les abeilles le font gratuitement. Des économistes se sont amusés à chiffrer la valeur marchande de cette pollinisation gratuite offerte par les abeilles. On l’estime entre 235 et 577 milliards de dollars par an. Si les abeilles étaient une entreprise privée cotée sur un marché boursier, elles seraient la plus grande entreprise au monde. Apple, l’entreprise à la capitalisation de marché la plus importante au monde avec 2,9 trillions de dollars, réalise un chiffre d’affaires annuel de 366 milliards de dollars par an. Moins que les abeilles ! Et dire que les abeilles travaillent pour nous à longueur de journée gratuitement… Mais attention, nous les humains ne sommes pas ingrats. Loin de là  ! Nous leur rendons bien la pareille aux abeilles.

Comment ? Nous avons, sur les cinq dernières décennies, réuni un cocktail mortel qui explique l’extinction observée des abeilles sur tous les continents. Nous avons développé l’usage de pesticides mortels pour elles, certains néonicotinoïdes en particulier. Leur usage fut interdit en Europe en 2013 par décision de justice. En 2018, cette interdiction fut renouvelée, provoquant le mécontentement des industries chimiques qui souhaitaient leur réintroduction. Nous avons provoqué la prolifération des ravageurs pathogènes (acariens, bactéries, champignons, frelon asiatique) qui les tuent. Nous avons pratiqué une agriculture intensive, stressante pour l’environnement, qui a réduit la quantité et la diversité des sources d’alimentation disponibles pour elles. Pas mal comme cadeau de remerciement. Ah oui, dernier cadeau en date  : le réchauffement climatique.

On a observé cette année en Belgique que les abeilles se sont réveillées de leur hibernation en plein mois de décembre  ! Pourquoi  ? En raison des températures élevées, les abeilles croient que c’est déjà le printemps. Elles ne trouveront donc pas suffisamment d’alimentation, seront agressées par le retour du froid, ce qui annihilera les colonies. On estime que le taux de dégression mondiale des populations d’abeilles est de l’ordre de 30% aux Etats-Unis, de 29% au Royaume-Uni, de 14% en France et en Allemagne. L’urgence est pressante, et le constat mondial. Au fond, nous avons tant de choses à apprendre des abeilles, d’un point de vue économique. D’abord, les abeilles ont utilisé la spécialisation du travail bien avant nous. On dénombre pas moins de 13 métiers au sein des colonies d’abeilles. Parmi elles, la reine (chargée de pondre), les butineuses (chargées d’aller chercher le nectar des fleurs), les nourrices (chargées de veiller sur les larves), les chimistes (qui transforment le nectar en miel), les architectes (qui construisent la ruche) … Les abeilles ont compris toute l’efficience qui découlait de la spécialisation du travail. Elles pratiquent la main invisible d’Adam Smith sans s’en rendre compte (en cherchant à se nourrir, elles pollinisent les fleurs et apportent du bienfait à toutes les espèces vivantes). Elles démontrent ainsi que la poursuite de l’intérêt individuel peut mener à l’intérêt commun. Enfin, les abeilles sont un exemple vivant des externalités positives, comme l’explique le Prix Nobel James Moade.

Si un arboriculteur développe son activité à côté d’un apiculteur, les abeilles de l’apiculteur se nourrissent chez l’arboriculteur et son miel est de meilleure qualité, sans que cela ne lui coûte rien. De l’autre côté, l’arboriculteur profite d’une pollinisation par les abeilles et ses rendements sont améliorés, sans que cela ne lui coûte rien. Les plus grands producteurs de miel sont la Chine, la Turquie, l’Argentine, l’Iran et l’Ukraine. Dans un pays comme les Etats-Unis, la disponibilité de miel (produit localement) par personne a baissé de moitié depuis 1995, ce qui force le pays à recourir aux importations. Les plus grands importateurs sont les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon, la France et le Royaume-Uni qui concentrent 51% des importations mondiales, suivis par l’Arabie Saoudite. Les plus grands exportateurs sont la Chine, la Nouvelle Zélande, l’Argentine et l’Ukraine. Le Maroc se classe 41ème producteur de miel au monde sur un total de 131 pays; une performance louable.

En Afrique, le Maroc est le 7ème producteur derrière l’Ethiopie, la Tanzanie, l’Angola, le Kenya, la Centrafrique et le Mali; et devant l’Algérie, la Tunisie et l’Egypte. Depuis quelques mois, le constat de déclin des populations d’abeilles au Maroc est avéré. Les abeilles sortent des ruches et n’y retournent pas; les ruches sont peu à peu désertées. La production de miel pour 2022 et 2023 seraient déjà compromises. Selon les déclarations du ministre de l’Agriculture, Mohamed Sadiki, la maladie de la varroa – un acarien – n’est pas responsable de ce déclin; les causes sont multiples, et demeurent méconnues pour l’instant. Le gouvernement a lancé à cet effet une aide d’urgence de 130 millions de dirhams afin de soutenir les apiculteurs, évaluer l’ampleur du phénomène sur tout le territoire et y remédier autant que possible. Le miel sera-t-il l’or jaune de demain ?

 

(*) : Omar Fassal travaille à la stratégie d’une banque de la place. Il est l'auteur de trois ouvrages en finance et professeur en Ecole de commerce. Retrouvezle sur www.fassal.net.

 

 

 

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