◆ En raison de la pandémie et de la sécheresse, le taux de chômage au Maroc s’est établi à 11,9% en 2020, selon le HCP.
◆ Le taux de croissance de 4,3% prévu en 2021 donne cependant un élan d’espoir pour relancer l’économie.
◆ Mais pour éviter une crise sociale majeure, il faudra initier des mesures fortes, estime Khalid Karbouai, économiste et professeur universitaire.
Propos recueillis par Ibtissam. Z.
Finances News Hebdo : Selon le dernier rapport du haut-commissariat au Plan (HCP), 432.000 postes d’emplois ont été perdus en 2020. Les raisons sont diverses et multiples, notamment la pandémie de la covid-19 et la sécheresse. Comment appréciez-vous ces chiffres ?
Khalid Karbouai : Il y a en effet 432.000 postes perdus contre 46.000 entre 2017 et 2018 et 146.000 en 2019. A ces chiffres, il faudra ajouter le nombre de jeunes qui sont arrivés sur le marché dans un contexte économique difficile. Avec la pandémie, nous avons des secteurs qui sont complètement à l’arrêt, comme celui du tourisme où la perte d’emploi a été énorme. Le dispositif mis en place par l’Etat à travers le chômage partiel a évité une crise sociale. Le seul espoir est qu’il y ait une reprise de l’activité et de la consommation dans ce secteur-là.Dans ce contexte, l’enjeu de l’été reste primordial. En revanche, un point d’équilibre reste à trouver entre l’économique et le sanitaire. Il n’y a pas que le tourisme, mais aussi les secteurs collatéraux, tels que l’événementiel, les services aux entreprises, la logistique et commerce qui sont en grande difficulté.
F.N.H. : Le taux de chômage se situe à 11,9%, soit l’équivalent de 1,43 million de sans-emploi. Cette augmentation est-elle alarmante, compte tenu du contexte actuel dû à la crise sanitaire ?
Kh. K. : La situation est plus qu’alarmante. Un taux de chômage élevé réduit le pouvoir d’achat et la consommation. Cette situation va dissuader les entreprises à investir et à créer des emplois. Toutefois, le taux de croissance de 4,3% en 2021 donne un élan d’espoir pour relancer l’économie. Il faut rappeler que ce taux de chômage n’inclut pas les pertes d’emplois dans le secteur informel. Rappelons que ce secteur représente 20% du PIB hors secteur primaire, et si rien n’est fait, une crise sociale inédite risque d’éclater à tout moment.
F.N.H. : Le gouvernement marocain a pris certaines mesures pour justement pallier cette situation durant la crise sanitaire. Ces dispositions sont-elles suffisantes ? Ne faut-il pas opter pour d’autres solutions ?
Kh. K. : Face à la pandémie, le gouvernement a réagi rapidement. Un arsenal de mesures a été mis en place. L’objectif est de sauver des emplois à travers l’activation du crédit de fonctionnement Damane Oxygène et Damane Relance, le moratoire sur la durée de remboursement des crédits bancaires et des crédits leasing, le crédit à taux zéro pour les autoentrepreneurs à hauteur de 15.000 DH remboursable sur 3 ans... Mais, il faut à mon avis des mesures stratégiques sur le long terme. Avec des mesurettes, les entreprises ne voient pas le bout du tunnel; elles sont dans l’expectative et par conséquent la création d’emplois aussi.
F.N.H. : Quelles sont les mesures à prendre pour relancer le marché du travail ? Et qu’en est-il des jeunes ?
Kh. K. : Les mesures d’urgence prises dès le début de la crise et régulièrement prolongées ont permis d’enrayer les effets de la crise sur le plan social. Elles ne permettent pas en revanche de relancer le marché du travail dans un contexte de forte incertitude. Le gouvernement se trouve face à la problématique des emplois perdus et des jeunes diplômés demandeurs d’emploi. Le marché d’emploi que nous avons connu avant la Covid-19 a désormais changé de visage. Des secteurs sont fermés et ne peuvent être ouverts dans l’immédiat.
De nouveaux modes d’organisation et de façon de travailler s’imposent dans certains secteurs (télétravail par exemple). Les mesures déjà prises par le gouvernement pour promouvoir l’emploi notamment à travers l’entrepreneuriat, doivent être mises à plat pour tenir compte de la conjoncture actuelle. La formation est l’un des piliers à prendre en compte dans le plan de relance. Elle est la clef qui permet de rester compétent et engagé. Aujourd’hui, l’évolution rapide du paysage économique exige une formation continue et adaptée aux besoins du futur et aux nouveaux métiers qui naissent. Pour sortir de cette crise, le Maroc a besoin de faire un état des lieux de ses ressources humaines, identifier les compétences dont il dispose, par génération, par diplôme, par territoire, et les compétences dont il aura besoin dans le futur compte tenu des bouleversements que connaît le monde. Pour ce faire, nous préconisons la création d’un ministère des Ressources humaines du Maroc.
F.N.H. : Comment expliquez- vous que la concentration du marché du travail soit axée principalement sur cinq régions, en premier lieu la région CasablancaSettat ?
Kh. K. : La raison revient à l’accident historique. Le protectorat avait son agenda économique, qui a relié ses intérêts économiques aux besoins de la ville. Il a fait de Casablanca un centre attractif sur le plan économique. Son climat modéré, sa localisation et la présence du port et de l’aéroport ont fait de la ville blanche la métropole économique et industrielle du pays. Aussi, après le protectorat, le Maroc a revu ses priorités économiques; il a par la suite développé d’autres territoires pour devenir des pôles d’activités économiques comme celui de RabatSalé-Kénitra.
F.N.H. : Les taux de chômage les plus élevés sont observés dans l'Oriental (20,7%) et les régions du Sud (19,8%). Ces 2 régions culminent, à elles seules, près de 40% de sans-emploi. Dur constat ?
Kh. K. : Deux éléments peuvent expliquer ce constat. Le premier est d’ordre structurel. En effet, la région de l’Oriental dispose d’une économie basée sur l’agriculture et le tertiaire. On note l’absence de projets d’investissements industriels qui créent de l’emploi et de la richesse. Le deuxième élément conjoncturel est lié à la structure de l’emploi dans cette région. Le commerce et les services, qui représentent plus de 54% de l’emploi de cette région, ont été fortement impactés par la crise liée à la Covid-19. Ces activités étaient à l’arrêt, ce qui a impacté le pouvoir d’achat des ménages et par conséquent la création d’emplois. Même constat pour la région du Sud.