Le travail indépendant connaît une forte progression parmi les femmes leaders. Il représente une véritable alternative au CDI, bien qu’il implique d’accepter une part d’incertitude inhérente à ce modèle. Entretien avec Siham Sentissi, Directeur général de BlueBirds.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : En tant que Managing director de BlueBirds, comment observez-vous l’évolution du freelancing premium chez les femmes, notamment dans l’accès à des missions stratégiques dans divers secteurs ?
Siham Sentissi : Le freelancing premium, qui désigne un modèle de travail indépendant à haute valeur ajoutée, connaît une progression significative parmi les femmes dirigeantes et expertes dans tout secteur. Ce modèle leur permet de conserver un rôle influent dans leur secteur tout en bénéficiant d’une flexibilité qu’aucun CDI ne leur offrirait. Mais cette adoption n’est pas encore massive, et c’est normal. Le freelancing premium n’a pas vocation à remplacer le CDI, mais il répond à une demande croissante de femmes expérimentées qui souhaitent évoluer sans être contraintes par un cadre rigide. De plus en plus de dirigeantes se tournent vers cette alternative non par défaut, mais par choix, conscientes que leur valeur ne repose pas sur un titre en entreprise, mais sur leur capacité à apporter une expertise pointue là où elle est nécessaire. Le marché, lui aussi, évolue. Les entreprises, autrefois réticentes à confier des responsabilités stratégiques à des indépendantes, comprennent désormais qu’elles ont tout à gagner à intégrer ces talents flexibles et immédiatement opérationnels. La dynamique est en marche et BlueBirds y joue un rôle clé. Les femmes leaders, qui autrefois hésitaient à franchir le pas, voient aujourd’hui dans cette alternative une opportunité de se repositionner avec plus de liberté et d’impact.
F.N.H. : Quels avantages spécifiques le freelancing offre-t-il aux femmes dirigeantes, et en quoi cette forme de travail leur permet-elle d’évoluer sans les contraintes du salariat ?
S. S. : Le freelancing premium offre aux femmes dirigeantes trois avantages majeurs : la liberté de choix, la reconnaissance fondée sur la compétence et l’équilibre entre ambition et vie personnelle. Le freelancing est avant tout une liberté retrouvée. Les indépendants peuvent choisir leurs missions en fonction de leur expertise et de leurs aspirations, plutôt que de subir une trajectoire de carrière dictée par les structures internes d’une entreprise. Les femmes gagnent ainsi en maîtrise sur leur parcours professionnel et peuvent décider du rythme qu’elles souhaitent imposer à leur activité. Contrairement au salariat, où elles doivent souvent composer avec des dynamiques internes et des luttes de pouvoir, le freelancing leur permet de se concentrer sur l’essentiel : leur valeur ajoutée. Elles ne sont plus dans l’attente d’une reconnaissance ou d’une promotion, elles imposent leur expertise par la qualité de leur travail. Autre avantage : beaucoup de femmes refusent désormais le faux dilemme entre carrière et équilibre de vie. Cette indépendance leur permet de mieux concilier les deux. C’est ce que nous appelons l’ambition sans compromis. En se positionnant comme des partenaires stratégiques des entreprises, elles ne sont plus limitées par des grilles salariales préétablies. Elles fixent ellesmêmes leur rémunération en fonction de leur valeur sur le marché, ce qui leur permet souvent d’obtenir une reconnaissance financière plus juste que dans un cadre traditionnel.
F.N.H. : Malgré l’essor du freelancing premium, certaines femmes rencontrent des obstacles. Quelles sont les principales difficultés auxquelles elles font face en termes de reconnaissance, de revenus et d’accès à des opportunités de haut niveau ? Quelles stratégies avez-vous mises en place pour surmonter ces défis dans votre propre expérience ?
S. S. : Le principal obstacle auquel les freelances premium font face est la perception du travail indépendant. Dans de nombreuses entreprises, l’idée persiste que l’engagement d’un salarié à plein temps est une garantie de stabilité et de fiabilité, alors que le freelancing est encore vu comme une solution temporaire ou opportuniste. Il est essentiel de déconstruire cette vision et de montrer que l’indépendance ne rime pas avec instabilité, mais représente une nouvelle façon d’organiser des collaborations stratégiques. Un autre défi réside dans l’accès aux opportunités de haut niveau. Les grandes missions stratégiques se jouent souvent au sein de cercles de décision bien établis, et les femmes indépendantes peuvent avoir du mal à y accéder sans réseau solide. Pour y remédier, nous avons structuré des initiatives au sein de BlueBirds visant à mettre en relation les talents féminins avec les entreprises qui recherchent des expertises pointues. L’objectif est de faire en sorte que ces femmes ne soient pas seulement visibles, mais qu’elles soient reconnues et sollicitées pour leur savoir-faire. Enfin, la question de la rémunération reste un enjeu clé. Beaucoup de femmes sous-évaluent leur expertise et acceptent des honoraires inférieurs à leur réelle valeur sur le marché. Il est essentiel de les sensibiliser sur ce point et de les accompagner dans la structuration de leur activité pour qu’elles osent se positionner sur des niveaux de rémunération justes et compétitifs. Chez BlueBirds, nous structurons le marché pour lever ces obstacles : nous donnons de la visibilité aux talents féminins en les connectant aux entreprises qui recherchent des expertises spécifiques. Nous les accompagnons également sur leur positionnement tarifaire et la négociation de leurs missions.
F.N.H. : Selon vous, quelles actions doivent être menées par les entreprises et les institutions pour favoriser une meilleure inclusion des femmes dans le freelancing premium et garantir un accès équitable aux grandes missions stratégiques ?
S. S. : Les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans la reconnaissance et l’intégration des femmes freelances premium. Il faut d’abord changer la perception du freelancing de façon générale dans les organisations. Il est temps de considérer le freelancing premium comme une alternative sérieuse au recrutement en CDI, en intégrant ces expertes dans les processus stratégiques de l’entreprise au même titre que les cadres internes. Les institutions, quant à elles, doivent créer un cadre plus favorable au développement du freelancing premium. Aujourd’hui, les indépendants ont encore du mal à accéder aux dispositifs financiers et sociaux adaptés à leur statut. Il serait pertinent de mettre en place des mécanismes permettant aux freelances de bénéficier de meilleures protections en matière de couverture sociale et de faciliter l’accès au financement pour les aider à structurer leur activité sur le long terme. L’enjeu est d’intégrer ces talents dans les réflexions globales sur le futur du travail et de leur offrir un environnement propice à leur épanouissement professionnel. Plus les entreprises et les institutions comprendront l’intérêt du freelancing premium, plus elles contribueront à le structurer de manière durable et inclusive.
F.N.H. : Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui envisagent de se lancer dans le freelancing dans des secteurs stratégiques ?
S. S. : Se lancer dans le freelancing premium nécessite une vraie préparation. Le premier conseil que je donnerais aux femmes qui souhaitent se lancer dans le freelancing premium est de bien identifier leur expertise, leur positionnement et leur pricing. Dans un marché où la concurrence est forte, il est essentiel de se différencier en mettant en avant une compétence spécifique qui répond à un besoin précis des entreprises. Il faut se poser la question : quelle est ma proposition de valeur ? En quoi suisje une compétence rare? Cette réflexion permet de fixer des tarifs adaptés et de ne pas sous-évaluer son travail. Un bon positionnement tarifaire est non seulement un gage de crédibilité, mais aussi un moyen de sécuriser son activité à long terme. Il est également crucial de travailler son réseau dès le départ. Contrairement au salariat, où l’évolution de carrière repose souvent sur des promotions internes, le freelancing fonctionne sur la visibilité et la recommandation. Il faut donc être proactive, multiplier les interactions avec les acteurs clés de son secteur et ne pas hésiter à se rendre visible sur les plateformes spécialisées et les réseaux professionnels. Avoir une sécurité financière est une condition essentielle pour réussir en freelancing premium, surtout dans un marché encore fragmenté. Contrairement au salariat, où le revenu est stable et prévisible, le freelancing implique des cycles d’activité variables, des délais entre les missions et parfois des paiements différés. Disposer d’un à deux ans d’économies permet de sécuriser cette transition, de couvrir ses frais fixes sans stress et d’avoir la liberté de choisir des missions alignées avec son expertise et ses ambitions, plutôt que d’accepter des opportunités par nécessité financière. En somme, il faut accepter une part d’incertitude inhérente à ce modèle. Le freelancing implique de savoir gérer des périodes plus creuses. Plutôt que de subir ces aléas, il est essentiel de les anticiper, de diversifier ses missions et de toujours être dans une dynamique de développement. Mais une fois cet équilibre trouvé, le freelancing premium offre une liberté et une satisfaction professionnelle incomparables.