Education: «La professionnalisation du métier de l’enseignant est un enjeu majeur pour le succès du système éducatif national»

Education: «La professionnalisation du métier de l’enseignant est un enjeu majeur pour le succès du système éducatif national»

L’éducation permet aux citoyens en quête de connaissance et de liberté de s’affranchir de toute contrainte d’ordre économique ou social, de penser par eux-mêmes et de voler de leurs propres ailes.

Entretien avec Azzelarab Zaoudi Mougani, Enseignant-chercheur et consultant en management - Groupe ISCAE .

 

Propos recueillis par M. Boukhari

Finances News Hebdo : On dit de l’éducation qu’elle est la clé du développement humain. Comment peut-on alors la rendre émancipatrice ?

Azzelarab Zaoudi Mougani : Affirmatif ! L’éducation est la clé de voûte d’un développement humain et durable, et l’émancipation constitue une condition sine qua non de réussite de l’acte d’apprentissage. L’éducation désigne parfois à tort la transmission de connaissances de l’appreneur vers l’apprenant, alors qu’en réalité les connaissances sont décidément intimes et subjectives à l’apprenant, qui peut même apprendre plus que ce que l’appreneur lui fait apprendre. Certes, le rôle de l’appreneur est primordial comme expert et pédagogue capable d’enseigner et d’inculquer des valeurs et qui maîtrise sa matière au risque de faire plonger les apprenants dans l’ignorance. Cependant, cette logique devrait être complétée par le versant de l’apprenant qui est cognitivement actif, qui construit son savoir à travers des activités mentales qui sont extrêmement complexes et pas forcément maîtrisables par l’appreneur. L’émancipation par la mise en situation éducative de l’apprenant est, de facto, favorable au développement des connaissances. Le lien entre pratique et savoir donne aux apprenants la faculté de découvrir ou de se découvrir par eux-mêmes et leur permet de construire leur savoir et de forger leur personnalité, notamment pour la catégorie des enfants. Le rôle de l’école est montré du doigt depuis le XIXè siècle et il demeure toujours un sujet d’actualité évidemment sous divers angles de vision. Avant, le système éducatif insistait sur le rôle pivot à former des citoyens libres, cultivés et égaux. Aujourd’hui, on y ajoute le rôle de la technologie, de l’inclusion et de la diversité.

Selon Durkheim, l’éducation joue un rôle de socialisation, elle aide l’individu à percevoir des choses qui lui ont été inaccessibles à lui seul; la société permet par le biais de l’éducation de transformer un être asocial en être social. L’émancipation est garantie par l’éducation qui permet à des individus de basse classe sociale de grimper les échelons de la société. La femme trouve également dans l’éducation un moyen de se libérer du conditionnement imposé par la société; elle lui permet de s’émanciper et de devenir les égales des hommes. En d’autres mots, grâce à l’éducation, l’homme peut sortir de «l’état de tutelle», de se libérer du joug de la doxa et de toute autorité qui serait illégitime. L’éducation, depuis l’aube de l’histoire, cherche à émanciper l’homme, à l’affranchir de sa condition sociale, comme elle permet d’émanciper la femme, et, in fine, former des individus qui pourront être utiles à la société et à l’économie. Certains penseurs soulignent que l’éducation nationale, au lieu d’aider à l’émancipation, uniformise les études et les programmes, et par conséquent, la diversité et la liberté disparaissent. Mettre le système éducatif au diapason des attentes de la communauté est un objectif de taille; il va falloir jouer notamment sur le volet pédagogique et d’assurance qualité. Et pour ce faire, la fédération des efforts de toutes les parties prenantes est requise afin d’envisager les problèmes musclés de l’éducation dans un dessein partagé de tous. L’émancipation repose sur une refonte des méthodes pédagogiques et éducatives. Centrer l’éducation sur le développement du savoir, savoir-être et savoirfaire, développer l’approche critique, émanciper la femme, diversifier l’éducation, œuvrer à son inclusion et à la diversité, repenser le rôle des tuteurs, se baser sur la culture, le civisme et la morale, former des individus utiles à l’économie et à la société, responsabiliser les individus du danger de la pollution, sensibiliser les jeunes à tout type d’addiction, repenser le rôle de la technologie, favoriser la créativité, tels sont les ingrédients d’un modèle d’éducation émancipateur, inclusif et pérenne.

 

F.N.H. : Quels sont aujourd’hui les défis dans le domaine de l’éducation au Maroc ?

A. Z. M : L’éducation, et plus précisément l’enseignement au Maroc est un défi de taille. Le relever n’est pas un choix, mais une obligation. La refonte du système de l’éducation nationale est une priorité stratégique pour le pays, les discours royaux attestent qu’il s’agit d’une cause nationale. Les réformes dans ce domaine s’enchainent, mais avec peu de résultats palpables. Selon le rapport de la Banque mondiale en 2017, le système éducatif marocain est des plus inégalitaires au monde. Malgré les efforts déployés pour l’améliorer, il demeure défaillant et fragile. Il faut peut-être attendre pour voir le lien établi entre la dernière réforme de 2019 (l’approbation de la loi cadre 51-19) et des résultats concrets ! Quant à l’enseignement supérieur, les négociations sont en cours entre les parties prenantes du domaine notamment les syndicats et le ministère de l’Enseignement supérieur. Les maux dont souffre l’enseignement ne sont pas d’ordre conjoncturel, mais plutôt structurel, des mesures de fond s’imposent. Le sillon des inégalités sociales se creuse davantage, avec, d’une part, des établissements privés, donc payants, qui assurent un certain niveau de qualité pour les riches et la classe moyenne.

Et, d’autre part, des structures publiques qui souffrent d’une insuffisance en termes de ressources et moyens de bord, et le taux de déperdition dépasse 50% avant le bac. Par contre, le taux de réussite du baccalauréat s’est nettement accru, ne serait-ce que dans l’année 2022 où il a franchi les 89%, tandis qu’en 2008 ce taux ne dépassait guère la barre de 43%. Les familles marocaines s’inquiètent pour le futur de leurs enfants. Ecole privée ou publique ? Langue arabe, française ou anglaise ? Ecole marocaine ou missions françaises, belges (réseau de l’enseignement français, AEFE, OSUI) ou écoles britanniques ? Etudes supérieures dans des universités et écoles privées ou publiques ou carrément études à l’étranger ? Ce sont autant de questions qui taraudent l’esprit des familles marocaines. Ce questionnement témoigne d’une crise de confiance dans le système éducatif national. Cependant, une prise de conscience émerge. La crise sanitaire a levé le voile sur les écueils du système. Le mode à distance n’a pas trouvé son chemin vers le succès. L’enseignement a fait face à des contraintes incommensurables : manque flagrant d’équipements informatiques qui s’ajoute au manque d’infrastructures et de ressources, problème ou absence de connectivité, absence des mesures communes d’enseignement et d’évaluation, difficulté pédagogique, manque d’habillage juridique, etc.

 

F.N.H. : Selon vous, quelles sont les stratégies à mettre en place pour améliorer la qualité des apprentissages ?

A. Z. M : En premier plan, il est reconnu que la réforme de l’enseignement constitue le fait déclencheur de toutes réformes. Cette réforme du domaine a été initiée dans le cadre de l’approbation de la loi cadre, «un moment historique qui marque le décollage réel de l’école marocaine», comme l’indique l’ex-ministre de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Saïd Amzazi. Aujourd’hui, la stratégie doit s’articuler autour des objectifs précités. De prime abord, adapter le système de façon à ce qu’il soit capable de répondre aux objectifs du millénaire pour le développement, notamment de sécurité alimentaire, égalité sociale, préoccupations climatiques et environnementales, émancipation de la femme, etc. Et toujours en ligne avec lesdits objectifs, il faut mettre en place des stratégies pour lutter contre les inégalités des chances et le décrochage scolaire, par des cours de mise à niveau pour les élèves en difficulté, favoriser la créativité, l’autonomie et l’implication de l’apprenant eu égard à l’évolution des modes d’enseignement. De facto, la résilience du système éducatif se trouvera renforcée.

Doter le système éducatif d’une infrastructure adaptée et des ressources, outils et moyens de bord suffisants pour améliorer la qualité d’enseignement. Le budget alloué à ce domaine devra être nettement revu à la hausse. Diversifier les programmes d’enseignement pour toutes les catégories d’âge et travailler sur la flexibilité de la formation pour garantir l’apprentissage à vie par le biais de la pluralité des écoles, universités et centres professionnels. Adapter l’école aux besoins économiques et sociaux réellement sentis dans la société et à l’international. Répondre aux exigences et standards internationaux en matière de qualité de l’enseignement et de la recherche. Chasser l’exclusion sociale dans toutes ses formes et se baser, dans les concours de sélection, sur le critère de méritocratie. Mettre en place des stratégies de digitalisation qui assoupliront l’apprentissage dans les milieux scolaires, universitaires et centres professionnels. Des équipements et moyens technologiques adaptés préparent les apprenants aux métiers existants et futurs. Pour cela, l’ergonomie et l’adaptation de l’espace et de l’environnement de l’apprentissage s’imposent afin de favoriser la créativité. Assurer la transversalité par un enseignement adapté des sciences, des technologies, de l’ingénierie, de l’art et des mathématiques afin de permettre aux apprenants d’être à l’écoute du besoin du marché et de la société, et de les préparer à saisir les opportunités de carrière qui vont s’offrir à eux ou qui n’existent pas encore.

La concrétisation de cette vision de transformation de l’apprentissage s’appuie sur la synergie des acteurs du domaine. Dans ce sillage, les stratégies à mettre en place ne doivent pas perdre de vue le rôle primordial que joue l’enseignant dans le système. Cela implique qu’une professionnalisation de cet acteur par des plans de recrutement, de carrière, de promotion et de formation adéquats passe pour un facteur clé de succès. Une approche holistique axée sur la technologie permettra de personnaliser l’apprentissage et aidera les établissements à améliorer l’expérience de l’élève et l’enseignant.

 

F.N.H. : L'enseignant est considéré comme étant le pilier de l'acquisition des apprentissages. Quelles sont vos recommandations pour réussir une professionnalisation du métier de l’enseignant ?

A. Z. M : La professionnalisation du métier de l’enseignant est un enjeu majeur pour le succès du système éducatif national. Afin d’accomplir au mieux leur mission, les enseignants sont constamment appelés à mettre à jour leurs connaissances et savoir-faire. Pour répondre aux aspirations et enjeux futurs, ils doivent suivre un programme bien adapté de formation continue; et être formés sur l’utilisation de la technologie et la transformation numérique. La professionnalisation passe également par établir des critères de qualifications et prérequis indispensables à l’accès au métier de l’enseignement. Une formation à l’entrée devrait être assurée et ensuite un plan de formation continue et un plan de gestion de carrière doivent être mis en route pour améliorer la qualité dans ce domaine. La professionnalisation permettra de créer de la valeur pour tout le système par un effet positif de boule de neige.

Dans l’axe de perfectionnement de l’existant, la stratégie du ministère souligne que parmi les priorités de ce domaine, figurent le redéploiement du personnel en veillant à l’adéquation entre profils, les expériences acquises et le poste à occuper; la résolution des problèmes vécus par les enseignants et dossiers de régularisation; la motivation des enseignants; et ce afin d'assurer les conditions de succès aux actions et mesures d'amélioration de la qualité de l'enseignement et de réduction de l'échec scolaire. Également, il faut développer des visions et des dispositifs adaptés aux problématiques réelles vécues par l’enseignant pour qu’il réussisse sa mission. Ce sont autant de recommandations qu’on peut livrer à cet égard. 

 

 

 

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