Développement des startups: «Il est essentiel d'adopter une stratégie globale d'incitation à l'investissement»

Développement des startups: «Il est essentiel d'adopter une stratégie globale d'incitation à l'investissement»

Le Maroc peut et doit se positionner comme un acteur de premier plan dans l'innovation et l'entrepreneuriat. Entretien avec Sofiane Gadrim, directeur des nouvelles technologies (CTO) et co-fondateur d’Atela.

 

Par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : 17 millions de dollars ont été levés en 2023 par les startups au Maroc. Quelle est votre analyse de l’écosystème par rapport à son potentiel réel ?

Sofiane Gadrim : Avant tout, il est crucial de reconnaître la volonté manifeste du Maroc d’impulser son secteur des startups. Avec des initiatives émergentes et une décentralisation encourageant l'innovation au-delà des grandes villes, le Maroc montre clairement son engagement. Ces actions dispersées de Casablanca à Rabat jusqu'à Souss Massa, témoignent d'une dynamique positive et d'un écosystème en pleine effervescence. Cependant, malgré cette volonté et ces avancées notables, un constat s'impose : avec 17 millions de dollars levés en 2023 par les startups au Maroc, quelque chose semble freiner notre élan. Cette somme, bien que représentative d'une vitalité entrepreneuriale, met en lumière le contraste entre notre potentiel réel et notre performance actuelle. Ce chiffre, comparé aux succès des écosystèmes comme le Kenya, l'Egypte et le Nigeria, où les levées de fonds se chiffrent en centaines de millions de dollars, souligne l'écart à combler. Pourtant, rien ne nous prédestine à rester en retrait.

Le Maroc, avec sa jeunesse dynamique, son pool de talents et les premiers frémissements d'une véritable effervescence entrepreneuriale, a tout pour être en première ligne. Ainsi, cette situation n'est donc pas dépourvue d'espoir. Au contraire, elle souligne une conscience collective croissante autour de ce paradoxe. Effectivement, des progrès ont été réalisés, mais un blocage persiste quelque part. Cette prise de conscience est, en soi, une bonne nouvelle. Elle ouvre la porte à une réflexion plus profonde sur nos méthodes et notre approche, signalant une marge de progression significative et de nombreux défis à relever. Aujourd'hui, plus que jamais, les enjeux autour de l'intelligence artificielle, du cloud computing et d'autres technologies de pointe sont considérables. Le rythme accéléré de l'innovation mondiale ne nous laisse pas d'autre choix que de hausser le niveau. Ce n'est pas simplement une option, mais une nécessité impérieuse si nous voulons rester compétitifs et tirer parti des opportunités qui se présentent à l'horizon proche. C'est pourquoi, en tant que nation, nous devons nous poser les bonnes questions et identifier précisément ce qui freine notre avancée. En regardant au-delà des réussites individuelles et en envisageant une stratégie globale pour notre écosystème, nous pouvons transformer ces défis en opportunités. En s'inspirant de modèles réussis ailleurs, tout en adaptant ces leçons à notre contexte unique, le Maroc peut et doit se positionner comme un acteur de premier plan dans l'innovation et l'entrepreneuriat. Le Maroc se trouve à un tournant décisif, avec l'opportunité de dynamiser son écosystème d'innovation et de s'établir comme un leader de l'entrepreneuriat en Afrique et au-delà.

F.N.H. : Quels sont les principaux obstacles qui empêchent les startups marocaines d'atteindre leur plein potentiel ?

S. G. : La dynamique actuelle de l'écosystème des startups marocaines, malgré les avancées significatives et la volonté clairement affichée par les différents acteurs, rencontre encore des freins qui empêchent l'atteinte de son potentiel maximal. Cette situation, loin d'être attribuable à un manque d'ambition, soulève des questions sur les stratégies et les moyens mis en œuvre pour nourrir cet écosystème. Premièrement, considérons le financement. L'exemple du programme Forsa, offrant des prêts d'honneur de 100.000 dirhams, illustre bien l'intention de soutenir les jeunes entreprises. Cependant, dans la pratique, cette somme peine à couvrir les besoins fondamentaux d'une startup cherchant à innover et à se développer. Prenez l'exemple d'une startup fintech, edtech ou healthtech avec de grandes ambitions. Avec 100.000 dirhams, celle-ci se trouve rapidement confrontée à la réalité des coûts opérationnels : le loyer, les salaires à payer, sans parler des coûts liés au développement de produits innovants, au cloud computing, les coûts d'acquisition ou encore à la recherche et au développement. En 2 mois, ces 100.000 dirhams sont volatilisés; quelle est la suite ? Un manque de trésorerie, le dépôt de bilan et peut-être une magnifique pépite qui meurt. La question qui se pose alors est : comment une telle somme peutelle véritablement impacter le parcours d'une startup qui ambitionne de se démarquer et d'innover ? Ensuite, abordons le sujet du capital-risque au Maroc.

L'approche actuelle, souvent caractérisée par une prudence excessive et une tendance à suivre plutôt qu'à initier, contraste avec ce que l'on observe dans des écosystèmes plus matures. Prenons l'exemple du Nigeria ou du Kenya où des investisseurs audacieux n'hésitent pas à placer des sommes conséquentes dans des startups en phase initiale, pariant sur leur potentiel de disruption et d'innovation. Cette différence d'approche met en évidence une réticence locale à prendre des risques, ce qui, in fine, bride le potentiel d'innovation de notre écosystème. On voit parfois des startups lever 200.000 dollars et cela fait la une des journaux. Comment a-t-on pu en arriver là ? Cela devrait être le quotidien d'avoir des startups qui lèvent des millions chez nous. Quant aux infrastructures et programmes d'accompagnement, bien qu'existantes, ces initiatives semblent opérer à une échelle qui ne suffit pas à répondre aux besoins d'un nombre croissant de startups. Le Technopark, par exemple, représente une initiative louable en offrant un espace et un soutien à des prix abordables. Cependant, pour qu'une véritable métamorphose s'opère, il faudrait multiplier et diversifier ces espaces d'accompagnement, les rendre plus accessibles, et surtout les doter de moyens à la hauteur des ambitions des entrepreneurs marocains. Pour catalyser une transformation profonde de l'écosystème des startups marocaines, une stratégie globale et coordonnée s'impose. Cela signifie non seulement augmenter les fonds alloués au financement des startups, mais aussi repenser l'approche du capital-risque pour encourager l'innovation dès les premiers stades de développement d'une entreprise. Il s'agit également d'investir dans la création et l'expansion d'infrastructures d'accompagnement qui offrent réellement aux startups les ressources et le soutien dont elles ont besoin pour croître et innover. En s'inspirant des modèles réussis à l'international, tout en les adaptant au contexte marocain, il est possible de libérer le potentiel immense de notre écosystème entrepreneurial. Par un engagement plus fort envers l'innovation et un soutien plus audacieux aux startups, le Maroc peut non seulement surmonter ses défis actuels, mais également s'affirmer comme un leader de l'innovation en Afrique.

F.N.H. : Face aux réussites remarquables des startups kenyanes et nigérianes, quelles sont les clés de succès que le Maroc pourrait exploiter pour dynamiser son propre environnement entrepreneurial ?

S. G. : L'analyse des dynamiques entrepreneuriales du Kenya et du Nigeria révèle une combinaison de facteurs stratégiques qui ont catalysé leur succès. Ces pays ont su prioriser le développement de secteurs clés, notamment la fintech, grâce à des politiques audacieuses et à un soutien financier ciblé. Le Kenya, surnommé la Silicon Savannah, s'est distingué par un écosystème tech vibrant, soutenu par des investissements substantiels tant locaux qu'internationaux, et par des infrastructures solides. Le Nigeria, quant à lui, malgré des défis infrastructurels, a attiré un capital considérable, favorisant l'émergence de startups désormais valorisées à des niveaux de licorne. Ces pays ont démontré l'importance cruciale de la spécialisation sectorielle et d'une audace financière pour stimuler la croissance des startups Pour le Maroc, tirer parti de ces observations implique d'abord de reconnaître l'importance d'une stratégie sectorielle. Identifier et investir dans des domaines où le Maroc peut avoir un avantage compétitif ou un potentiel de croissance significatif pourrait s'avérer crucial. Ceci nécessite une mobilisation d'investissements dédiés et la facilitation de partenariats publicprivé robustes.

La France a entamé un modèle qui peut être aussi pertinent pour le Maroc, notamment par l'intégration des grandes entreprises au sein de l'écosystème des startups, à travers des incitations fiscales encourageant l'investissement dans l'innovation. Cette synergie entre startups et grandes entreprises crée un environnement propice à la croissance et au développement mutuel. Le Maroc pourrait bénéficier de l'adoption d'une telle approche, cette dernière pourrait accélérer le transfert de savoir-faire, les opportunités commerciales et le financement. Pour amplifier l'impact des initiatives existantes et stimuler davantage l'écosystème des startups marocaines, une stratégie holistique s'impose. Celle-ci devrait inclure des cadres réglementaires attractifs, des incitations fiscales pour les investisseurs et un fonds national pour l'innovation. En s'inspirant des succès internationaux tout en adaptant ces stratégies au contexte unique du Maroc, le pays a l'opportunité de dynamiser son écosystème entrepreneurial et de s'affirmer comme un leader de l'innovation en Afrique.

F.N.H. : Au-delà des initiatives actuelles, quelles stratégies supplémentaires pourraient être mises en place pour dynamiser davantage l'écosystème des startups marocaines ?

S. G. : Pour propulser l'écosystème des startups marocaines au-delà des initiatives louables telles que Forsa et Technopark, il est essentiel d'adopter une stratégie globale d'incitation à l'investissement, et une collaboration étroite entre tous les acteurs de l'écosystème. Inspirée par les modèles de réussite internationaux et adaptée aux spécificités du Maroc, cette stratégie pourrait transformer de manière significative le paysage entrepreneurial marocain. Chez Atela, nous travaillons sur la mise en place d'un concept d'incubateurs «as a service» au sein des grands groupes à Souss Massa. Cette initiative, envisageable dans d'autres régions et secteurs, favoriserait une synergie entre les startups et les entreprises établies, permettant un échange de ressources, de savoir-faire et d'accès aux marchés. Imaginez un grand groupe dans le domaine de la santé s'associant à des startups via une joint-venture, ou un incubateur intégré à cette société, géré soit par des spécialistes externes ou alors par leur propre ressource pour développer des solutions novatrices en télémédecine, révolutionnant ainsi l'accès aux soins tout en stimulant l'innovation au sein de l'entreprise. Pour soutenir cette dynamique, des incitations fiscales ciblées pourraient encourager les investissements dans les startups et les PME innovantes, s'inspirant de modèles réussis ailleurs. L'adoption d'une approche de spécialisation sectorielle, identifiant et soutenant les secteurs où le Maroc détient un avantage compétitif, mobiliserait des investissements significatifs et créerait des partenariats public-privé robustes.

La fintech, l'agritech, ou encore les énergies renouvelables sont des domaines où le Maroc pourrait se distinguer à l'échelle internationale. En y ajoutant des domaines technologiques de pointe tels que l'IA, le cloud computing et la blockchain, le Maroc pourrait non seulement suivre, mais aussi mener dans la course globale à l'innovation. Par ailleurs, le renforcement des infrastructures de soutien, allant au-delà du Technopark, par le développement d'un réseau national de coworking, d'accélérateurs et de programmes de mentorat, créerait un environnement fertile pour l'entrepreneuriat et l'innovation. Enfin, attirer davantage d'investissements étrangers en valorisant les succès et les opportunités uniques offertes par l'écosystème marocain est crucial. Ceci implique une stratégie de communication ciblée et des événements de mise en réseau visant à connecter les startups marocaines avec des investisseurs internationaux. En s'inspirant des meilleures pratiques internationales tout en les adaptant à son contexte unique, le Maroc a l'opportunité de non seulement enrichir son écosystème de startups, mais également de se positionner comme un hub d'innovation en Afrique. La clé du succès réside dans une collaboration étroite entre le gouvernement, le secteur privé et les innovateurs, travaillant conjointement pour bâtir un avenir prospère et novateur pour le Maroc.

F.N.H. : La Commission nationale pour le développement numérique a récemment tenu sa première réunion le 7 février, abordant des sujets tels que le «cloud computing» et l'encouragement des talents numériques marocains à développer leurs propres solutions innovantes. Pensez-vous que cette initiative tombe à point nommé ? Comment évaluez-vous les axes abordés lors de cette réunion ?

S. G. : L'initiative prise par la Commission nationale pour le développement numérique, centrée sur le cloud computing et le soutien aux talents marocains, arrive à un moment crucial et porte en elle la promesse de dynamiser l'écosystème entrepreneurial du Maroc. C'est une démarche qui résonne profondément avec l'ambition de renforcer la souveraineté numérique du pays, en cultivant un terreau fertile pour l'éclosion et la croissance des startups locales. Au cœur de cette initiative, se trouve la conviction que le développement du cloud computing est bien plus qu'une simple évolution technologique. C'est une véritable révolution qui permettra de démocratiser l'accès aux technologies de pointe, rendant ainsi possible pour les petites comme pour les grandes entreprises d'innover et de se développer à un rythme auparavant inimaginable. Cette accessibilité aux ressources informatiques, sans avoir à investir massivement dans des infrastructures physiques, offre une liberté inédite aux entrepreneurs marocains, leur permettant de se concentrer pleinement sur l'innovation et le développement de leurs idées. L'intelligence artificielle (IA) par exemple, bien que n'étant qu'un aspect de cet écosystème numérique, bénéficie grandement de cette infrastructure en termes de capacité de calcul et de stockage de données, essentielle pour le traitement et l'analyse de grandes quantités d'informations.

L'engagement à encourager et à valoriser les talents numériques du Maroc est un signal fort de la volonté de construire un avenir où la jeunesse marocaine peut pleinement exploiter son potentiel créatif et innovant. Cela implique de créer des passerelles entre l'éducation et l'industrie, d'offrir des formations adaptées aux besoins du marché, et de mettre en place des mécanismes de soutien financier et logistique pour les startups. En agissant ainsi, on espère non seulement favoriser l'émergence de nouvelles entreprises, mais aussi insuffler une dynamique de confiance et d'audace chez les jeunes entrepreneurs. La souveraineté numérique, au-delà d'un concept, devient une stratégie concrète pour assurer l'indépendance et la compétitivité du Maroc sur la scène internationale. En renforçant l'écosystème des startups, on contribue à la création d'une économie numérique robuste, capable de produire des solutions innovantes qui répondent aux besoins spécifiques du pays et qui peuvent également trouver leur place sur le marché global. Cet élan a le potentiel de débloquer un réservoir immense de créativité, d'innovation et d'audace parmi les acteurs marocains. Ce n'est pas seulement les infrastructures ou les politiques qui feront la différence, mais les personnes elles-mêmes, leur capacité à rêver grand et à mettre en œuvre ces rêves. La réussite de cette initiative sera mesurée par sa capacité à créer un environnement où les jeunes entreprises peuvent non seulement naître, mais aussi prospérer et se réinventer constamment. Ainsi, dans cet esprit de transformation et d'innovation, nous nourrissons l'espoir que l'écosystème du startup marocain connaîtra une expansion sans précédent, marquant le début d'une nouvelle ère où la technologie, l'entrepreneuriat et l'innovation marchent main dans la main vers la réalisation d'un Maroc innovant, prospère et souverain. 

 

 

 

 

Articles qui pourraient vous intéresser

Samedi 23 Novembre 2024

Startups technologiques : «Le label JEI a permis d’ancrer Digitis dans une dynamique d’innovation continue»

Vendredi 22 Novembre 2024

Epargne : soyez acteurs de votre prospérité

Vendredi 22 Novembre 2024

PLF 2025 : sur 540 propositions d’amendement, le gouvernement n’en a retenu que 47

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux