Défaillances d’entreprises: «Nous pouvons prédire raisonnablement une hausse de 15% en 2022»

Défaillances d’entreprises: «Nous pouvons prédire raisonnablement une hausse de 15% en 2022»

La suspension des aides étatiques, couplée à la baisse d’activité et l’allongement des délais de paiement expliquent le record de défaillances d’entreprises en 2021.

Les créations d’entreprises sont relatives aux secteurs traditionnels et ne reflèteraient guère une quelconque percée en matière d’innovation ou dans les secteurs à haut contenu technologique.

Entretien avec Amine Diouri, directeur Etudes et Communication d’Inforisk.

 

Propos recueillis par M. Diao

 

Finances News Hebdo : En matière de défaillances et de créations d’entreprises, quels sont les faits saillants qui se dégagent de la comparaison entre la période Covid-19 et l’avant Covid-19 ?

Amine Diouri : La dernière décennie, notamment la période 2010-2016, s’est caractérisée par une forte accélération des défaillances d’entreprises au Maroc. En revanche, l’intervalle 2017-2019 a été marqué par une décélération. 2020 est une année exceptionnelle. Pour la première fois, le nombre de défaillances des entreprises a baissé sensiblement. Et ce, en raison de l’existence de problèmes techniques (ralentissement du traitement des dossiers au niveau des tribunaux de commerce), ainsi que la mise en place d’aides publiques en faveur des entreprises. Ceci dit, le rattrapage a été violent en 2021, puisque 10.556 entreprises défaillantes ont été recensées. Ce qui représente une hausse de 59% par rapport à l’année 2020 et une progression de 25% en comparaison à l’année 2019. La moyenne annuelle de la hausse des défaillances d’entreprises entre 2010 et 2019 a oscillé entre 10 et 15%. L’accroissement substantiel des défaillances d’entreprises constaté en 2021 s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, l’année dernière a, en quelque sorte, marqué la fin de la mise sous perfusion de bon nombre d’entreprises fragiles. Beaucoup de sociétés n’ont pas survécu après la suspension du soutien de l’Etat (crédits Damane, reports du paiement des charges sociales et des impôts, etc.). Ensuite, la baisse de l’activité des entreprises qui a commencé en 2020, s’est poursuivie en 2021. Enfin, l’allongement des délais de paiement enregistré dans le contexte de crise pandémique n’a pas arrangé les choses pour les entreprises, notamment pour les TPE. Ces dernières ont vu leurs délais de paiement client flamber avec la Covid-19. En somme, la suspension des aides étatiques couplée à la baisse d’activité et l’allongement des délais de paiement expliquent le record de défaillances de sociétés en 2021.

 

F.N.H. : Qu’en est-il de la dynamique des créations d’entreprises dans le contexte Covid-19 par rapport à la période qui a précédé la pandémie ?

A. D. : Entre 2010 et 2019, l’on note un faible taux de croissance des créations d’entreprises (autour de 5 et 10%), avec une prédominance d’entreprises individuelles créées au détriment des sociétés personnes morales. En revanche, à partir de 2020, nous avons assisté à un fort rythme de croissance des créations d’entreprises, tirée par les entreprises personnes morales nouvellement créées. Cette nouvelle donne est aussi valable pour l’année 2021. Pour preuve, en matière de créations, la part des entreprises personnes physiques a reculé au profit des sociétés personnes morales, lesquelles ont enregistré un taux de croissance de l’ordre de 30% entre 2020 et 2021. Ceci dit, les créations d’entreprises sont relatives aux secteurs traditionnels (BTP, commerce, immobilier, etc.) et ne reflètent guère une quelconque percée en matière d’innovation ou dans les secteurs à haut contenu technologique. La hausse des créations d’entreprises est à lier au fait que lors de la crise liée à la Covid19, beaucoup d’entreprises étaient contraintes de licencier ou revoir à la baisse les salaires de leurs employés. Ce qui a amené plusieurs salariés, soucieux de préserver leur pouvoir d’achat, à tenter l’aventure entrepreneuriale. Par exemple, les anciens maçons ont crée naturellement des entreprises personnes physiques dans le domaine du BTP.

 

F.N.H. : Pourquoi, en matière de créations d’entreprises, le Maroc fait mieux que la Tunisie et l’Algérie ?

A. D. : Il est clair que le Maroc représente 69% des créations d’entreprises au Maghreb en 2020, contre 19% pour la Tunisie et 13% pour l’Algérie. Ce qui prouve qu’il existe un net dynamisme entrepreneurial marocain, avec un taux de croissance de créations d’entreprises de 52% entre 2018 et 2021 contre 7% pour la Tunisie et -18% pour l’Algérie. Le caractère diversifié du tissu économique, le contexte très favorable aux créations d’entreprises ainsi que la mise en place du programme Intelaka, qui totalise un encours de 6 Mds de DH de crédits distribués aux entreprises, ont clairement fait la différence par rapport aux pays dont vous faites allusion. Sachant que l’Algérie, qui a un tissu économique moins diversifié que celui du Maroc, a été impactée davantage par la crise engendrée par la Covid-19. Les multiples initiatives mises en place ces dernières années ont contribué à l’essor de la culture entrepreneuriale dans notre pays.

 

F.N.H. : Que vous suggèrent les perspectives macroéconomiques peu rassurantes pour l’année en cours, et ce en lien avec le niveau des défaillances d’entreprises en 2022 ?

A. D. : Il est clair que le niveau du taux de croissance économique largement tributaire de la récolte céréalière qui, elle même, dépend de la pluviométrie, a des conséquences sur l’ampleur des défaillances d’entreprises et les délais de paiement. L’activité économique est suspendue à plusieurs paramètres clefs incertains (pandémie, pluviométrie). En ce qui concerne les défaillances pour 2022, je dirais que l’incertitude prévaut, au regard des facteurs évoqués plus haut. Ceci dit, nous pouvons prédire raisonnablement une hausse des défaillances d’entreprises de l’ordre de 15% pour l’année en cours. Sachant que l’évolution de la pandémie et celle de la situation pluviométrique seront déterminantes. 

 

 

 

 

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