Lahcen Daoudi. Photo Sohaib Zefri
- La disparition de la Caisse de compensation est actée.
- Les priorités : identification de la population cible, et accompagnement des industriels
- Lahcen Daoudi, ministre chargé des Affaires générales et de la Gouvernance, explicite dans cet entretien la stratégie du gouvernement d'ici 2020.
Finances News Hebdo : Après plusieurs tentatives, le gouvernement est-il fin prêt pour aller jusqu’au bout de la réforme structurelle relative au système de compensation ? Y aurait-il la suppression définitive de la caisse de compensation à l’horizon 2020 ?
Lahcen Daoudi : Le gouvernement n’est pas prêt, mais il le sera. C’est une réforme inévitable qui bénéficiera non seulement aux couches défavorisées, mais permettra également de booster la demande.
Il est temps d’agir, car nous avons trop tardé. La suppression définitive de la caisse de compensation n’est plus un choix, car nous ne pouvons plus continuer à injecter de l’argent sans toucher la population cible. L’enjeu aujourd’hui est de bien identifier cette cible et de connaître la réalité marocaine pour éviter de faire de la casse.
A mon arrivée au ministère, nous étions sur le chemin d’identification de la cible par le canal de l’électricité, soit les personnes qui consomment moins de 100 DH/mois. Or, les plus démunis n’y ont même pas accès.
C’est pourquoi nous avons abandonné cette approche, qui nous aurait fait manquer le coche, comme c’est d’ailleurs le cas pour le Ramed qui, malheureusement, ne bénéficie toujours pas aux plus pauvres.
F.N.H. : Comment expliquez-vous ce manque de visibilité, alors que la réforme traîne depuis plusieurs années ?
L. D. : Nous avons de la visibilité par rapport à ce que nous dépensons, mais nous ne l’avons pas par rapport à la population cible.
C’est pourquoi, après un benchmark international qui a abouti à l’expérience indienne, nous avons lancé une étude, qui s’achèvera en 2019, pour identifier la population cible et mettre en place ce système. Il n’y aura donc pas de réforme avant 2020.
Une fois le système d'identification biométrique indien Aadhaar testé et opérationnel, il sera facile pour le gouvernement de trancher. Ce jour-là sera un jour de fête pour les pauvres.
"Pour le butane, il n’y aura pas de décompensation avant 2020. Quant au sucre et la farine, le gouvernement peut procéder à des ajustements en cours de route."
F.N.H. : Est-ce le cas pour tous les produits subventionnés, à savoir le butane, le sucre et la farine, ou allez-vous procéder par priorité ?
L. D. : Pour le butane, il n’y aura pas de décompensation avant 2020. Quant au sucre et la farine, le gouvernement peut procéder à des ajustements en cours de route.
Le problème auquel nous devons nous attaquer en premier, est celui des minoteries qu’il faut fermer. Nous avons une grande capacité à moudre le blé alors que nous tournons à peine à 60%. Donc, il faut supprimer les «canards boiteux» et mettre en place un programme social pour les employés des minoteries. Ce dossier est aujourd’hui sur la table du gouvernement.
F.N.H. : Outre l’étude en cours, comment vous préparez-vous à être au rendez-vous d’ici 2020 ?
L. D. : Nous avons fait le diagnostic des filets sociaux. Malheureusement, nous dépensons des sommes énormes (25 Mds de DH) dans des dizaines de filets sans avoir de traçabilité.
Ramed, Massar, bourses, fonds de solidarité familiale (divorcés), aide aux veuves, caisse de compensation…, autant de filets qui ne convergent pas. Il n’y a pas d’enchevêtrement entre eux. Un exemple flagrant : les enfants de femmes divorcées qui bénéficient du Fonds d'entraide familiale, n’ont pas automatiquement accès aux bourses, alors que des non-«ramedistes» en profitent.
C’est pourquoi il faut mettre fin à cette déperdition des deniers publics. Parmi les priorités : préparer l’étude, assainir le secteur de la farine et repenser le sucre pour accompagner les industriels afin qu’ils restent compétitifs.
"J’ai proposé la détaxation de l’importation du sucre brut qui sera raffiné par Cosumar pour le compte des industriels avec un granulé différent"
F.N.H. : La décompensation du sucre n’est pas du goût de certains industriels. Comment comptez-vous minimiser la casse pour garantir leur compétitivité ? Etes-vous préparés à faire face aux effets collatéraux ?
L. D. : Je me suis réuni récemment avec les industriels que j’ai tenté de rassurer. Je tiens à rappeler que l’entreprise fait partie de nos priorités. Dans cette optique, j’ai proposé la détaxation de l’importation du sucre brut qui sera raffiné par Cosumar pour le compte des industriels avec un granulé différent. C’est une idée séduisante qui semble intéresser les différentes parties. Elle permettra à la fois de garantir la compétitivité des industriels, préserver les emplois, voire même booster nos exportations. En important du sucre brut au même prix qu’à l’international, le prix de raffinage marocain sera moins cher que celui de la France ou l’Allemagne.
Notre industrie sera plus compétitive. Il faudra cependant établir une confiance entre les industriels et Cosumar et trouver un terrain d’entente. Nous avons 3 ans pour affiner cette piste et la rendre faisable. Notre objectif n’est pas de tuer la poule aux œufs d’or, mais de mettre de l’ordre et de mieux canaliser les subventions.
F.N.H. : Quels sont les garde-fous à mettre en place pour garantir la transparence de ce système de subvention directe et lutter contre la corruption qui gangrène notre économie ?
L. D. : Si les Indiens ont résolu le problème pour 1,3 milliard de personnes, il n’y a pas de raison pour que cela ne marche pas pour 35 millions de Marocains. D’ailleurs, pour verrouiller le dispositif et dissuader les fraudeurs, l’identification des bénéficiaires se fait par la reconnaissance de l’iris et des empreintes digitales. L’enjeu aujourd’hui est d’adapter ce système aux spécificités du Maroc pour garantir plus de justice sociale.
"Hydrocarbures : Il faut opérationnaliser les instruments de la régulation ainsi que ceux de la concurrence."
F.N.H. : La première phase de la décompensation, à savoir la libéralisation du marché des hydrocarbures, n’a pas produits les effets escomptés. Comment expliquez-vous l’indifférence de l’Etat face aux abus des distributeurs ?
L. D. : Je dirais plutôt un léger abus qui ne date pas d’aujourd’hui. Rappelons que les sociétés ont gonflé leurs marges pendant les 3 premiers mois qui ont suivi la libéralisation.
Les hausses opérées aujourd’hui ne sont dues qu’à la flambée des prix à l’international. Quant au rôle de l’Etat, malheureusement, il se limite à garantir la transparence et à informer le citoyen. C’est pourquoi nous allons lancer incessamment une application pour communiquer en temps réel les tarifs appliqués par toutes les stations-service. Nous donnerons aux consommateurs le droit de choisir le mieux offrant et de stimuler ainsi la concurrence. Il faut aussi opérationnaliser les instruments de la régulation ainsi que ceux de la concurrence.
F.N.H. : Les dysfonctionnements dont souffre notre économie sont dus en grande partie à la défaillance de notre système de gouvernance. Que faites-vous pour y remédier ?
L. D. : Nous avons commencé par la formation du personnel. Mais là où nous accusons du retard, c’est au niveau de l’informatisation de l’administration. En effet, la mise en œuvre de la stratégie eGov, qui est un instrument efficace de lutte contre la corruption, mais aussi d’efficacité pour que le temps soit considéré comme une variable économique, nous permettra de rattraper ce retard et d’atteindre les objectifs fixés.
Faut-il rappeler qu’en 2018, le Maroc sera dans le top 50 du Doing business. Nous devons donc accélérer le rythme des réformes. Cela nous permettra d’attirer davantage de capitaux et créer de l’emploi.
Je tiens à préciser que dans 4 à 5 ans, le Maroc n’aura plus de problème de croissance ni de déficit de la balance commerciale. Nous n’aurons à gérer que l’emploi et les filets sociaux.
F.N.H. : Sceller la croissance du Maroc aux investissements étrangers n’est-elle pas en soi un risque auquel le Maroc s’expose ?
L. D. : C’est pourquoi nous veillons à préserver les acquis, accélérer le rythme des réformes pour être au même niveau que les autres et éviter de régresser. Nous sommes sur la bonne voie à condition de résoudre un problème de taille qui menace réellement la croissance, à savoir le déficit hydrique. Le Maroc figure parmi les pays les plus exposés au stress hydrique. Pour rester compétitif, il faut trouver des solutions. Il est impensable d’avoir 3.500 Km de côtes et de continuer à pomper de l’eau des barrages et des nappes phréatiques. L’enjeu aujourd’hui est d’investir davantage dans les stations de dessalement.
"Dans 30 ans, le Maroc sera riche."
F.N.H. : Dans le même ordre d’idées, vous avez récemment annoncé au Parlement qu’à partir de 2019 la dette extérieure du Maroc va s’inscrire dans une tendance baissière, ce que réfutent certains analystes et économistes. Pouvez-vous nous expliquer davantage votre raisonnement ?
L. D. : Premièrement, le Maroc emprunte de moins en moins, ce qui se traduira par la régression du service de la dette.
Deuxièmement, au fur et à mesure que les réserves de phosphate des Etats-Unis (épuisement dans 20 ans) et de la Chine (dans 30 ans) baissent, le Maroc exportera davantage.
En 2019, l’OCP exportera 70 Mds de DH et 100 Mds de DH en 2021. Dans 30 ans, le Maroc possédera la seule réserve de phosphate dans le monde. C’est pourquoi je dis que l’économie de notre pays a de beaux jours devant elle. Dans 30 ans, le Maroc sera riche.
Troisièmement, le Maroc dispose de 3 gisements d’une ressource devenue indispensable, à savoir les terres rares. Il s’agit de matières minérales qui sont très sollicitées dans la fabrication de produits de haute technologie.
Une étude est en cours pour l’exploitation de cette ressource dont le monopole est détenu par les Chinois. ■