Crise énergétique en Europe à l’approche de l’hiver

Crise énergétique en Europe à l’approche de l’hiver

Les Européens sont descendus dans la rue, malmenés par la hausse des factures énergétiques. En cause, les restrictions imposées par la Russie sur les exportations de gaz, notamment à travers le pipeline Nord Stream 1 qui est à l’arrêt total depuis le début du mois de septembre. Le prix du kilowattheure d’électricité est passé de 22 centimes d’euros au Royaume-Uni en janvier 2021 à 62 centimes aujourd’hui : il a presque triplé. Même son de cloche chez plusieurs autres pays européens : en Allemagne, il est passé de 32 centimes à 55, aux Pays-Bas de 15 centimes à 45, en Espagne de 20 centimes à 40.

Partout, les prix ont doublé au minimum, si ce n’est triplé. Deux pays tirent cependant leur épingle du jeu. Il s’agit de la France : le prix est passé de 20 centimes à seulement 25 centimes. Et la Hongrie, où le prix est resté quasiment stable à 12 centimes d’euros. La politique pro-russe du Président Orban a permis à son pays de continuer à recevoir du gaz et du pétrole russe sans discontinuité, ce qui a maintenu les prix de l’électricité à un niveau stable.

Comment expliquer le fait que certains pays soient impactés plus que d’autres ? D’abord, il y a le mix énergétique du pays. On voit par exemple que le Royaume-Uni est l’un des pays les plus impactés, avec un prix de l’électricité parmi le plus élevé sur le continent. Cela provient de sa forte dépendance au gaz naturel dans son mix énergétique. En effet, près de 40% de l’électricité britannique provient du gaz naturel (le pays avait pris de l’avance sur ses voisins pour baisser sa consommation de charbon en faveur du gaz naturel, perçu comme une énergie de transition vers une économie à faible émission de carbone). Même en temps normal, le prix de l’électricité au Royaume-Uni est supérieur de 30% au prix des voisins européens.

Le Royaume-Uni n’est pas connecté par un pipeline au gaz russe comme l’Allemagne, ce qui fait qu’il ne souffre pas réellement de coupures. Mais il est impacté indirectement par l’envolée du cours mondial du gaz naturel. A l’opposé, la France par exemple, qui est parmi les pays les moins impactés, profite de son parc nucléaire qui lui offre une certaine autonomie énergétique, très précieuse par les temps incertains qui courent. Mais les prix ressentis par le consommateur dépendent également des mesures entreprises par les gouvernements pour contrer la flambée des prix. Selon les cas, les gouvernements mettent en place des plafonds sur les prix - comme c’est le cas en France - ou des baisses des taxes pour alléger la facture du client final.

Au niveau européen, l’UE propose de mettre en place un plafond sur le prix auquel les membres achètent le gaz russe pour peser davantage sur les ressources financières russes, et une taxe sur les producteurs d’énergie. Les fonds alloués par les gouvernements pour protéger les ménages contre la hausse des prix de l’énergie sont conséquents, et viennent déstabiliser les équilibres budgétaires. Entre septembre 2021 et août 2022, la Grèce a dépensé l’équivalent de 3,5% de son PIB à cet effet, la Lituanie 3,4%, l’Italie 2,7%, l’Espagne 2,2%, la France et l’Allemagne 1,8% chacune, le Royaume-Uni 1,5%, et les Pays-Bas 0,7%.

La Suède, la Finlande, l’Irlande et le Danemark sont les pays qui ont le moins dépensé avec une enveloppe représentant moins de 0,5% de leurs PIB respectifs. Les prix du gaz payés par les ménages ont augmenté de la même façon que les prix de l’électricité discutés précédemment. Le prix a été multiplié par 4,4x au Royaume-Uni entre janvier 2021 et août 2022, par 3,5x en Allemagne, par 3x aux Pays-Bas, par 2x en Espagne, et par 1,7x en France. Là aussi, la Hongrie tire son épingle du jeu avec un prix qui non seulement est très stable, mais en plus, est le moins cher en Europe. Comme pour les prix de l’électricité, le Royaume-Uni est le pays le plus impacté par le prix du gaz aux ménages. La nouvelle Première ministre, Liz Truss, qui remplace Boris Johnson, compte plafonner les factures de gaz à 2.500 pounds par an.

On s’attend à ce que les prix de l’énergie augmentent encore davantage cet hiver, en raison d’une pression plus forte sur la demande, d’une production restreinte du nucléaire en France en raison de problèmes de maintenance, et d’une sous-utilisation de l’hydraulique à cause de la sécheresse qui a sévi cet été. L’Allemagne s’est tournée vers le charbon à hauteur du tiers de sa production électrique, et s’apprête à redémarrer deux centrales nucléaires sur les trois qu’elle avait décidé de fermer, d’ici la fin de l’année, si la situation l’exige. Les autorités rassurent sur les niveaux de stockage de gaz en Allemagne qui sont supérieurs à ceux de l’année dernière, mais l’imprévisibilité de la situation les pousse à maintenir en place toutes les mesures de rationnement déjà engagées depuis cet été. Pendant des années, tout le monde était gagnant. Les Russes ont construit des infrastructures pour acheminer le gaz aux meilleures conditions aux Européens, et les Européens ont construit des industries fortement dépendantes du gaz russe, délivré à des tarifs compétitifs.

Aujourd’hui, la Russie vend moins de gaz et de pétrole aux Européens, mais elle le fait à un prix largement supérieur à celui de la période d’avant-guerre. Au final, elle est gagnante d’un point de vue financier ! La moyenne des revenus générés par les exportations russes de pétrole et de gaz vers l’Europe se chiffrait à 50 milliards de dollars sur 5 mois entre mars et juillet avant le conflit en Ukraine. Cette année, ces revenus ont représenté près de 96 milliards de dollars entre mars et juillet 2022 ! Elle vend moins, mais à un prix supérieur, et en ressort gagnante financièrement. A présent, la tâche se complique, car tout le monde est rentré dans un cercle vicieux  : les Européens imposent davantage de sanctions, et leurs économies souffrent d’une hausse des prix de l’énergie.

En face, la Russie profite de la flambée des cours de l’énergie, mais le reste de son économie souffre (elle demande elle-même la levée des sanctions économiques occidentales en échange d’un rétablissement des livraisons de gaz pour cet hiver à travers Nord Stream 1). Plus personne n’est gagnant. Cela rappelle la fragilité des économies qui ne disposent pas d’une certaine marge d’autonomie énergétique. Cela rappelle encore plus la fragilité lorsqu’un pays qui est incapable de construire son autonomie énergétique, choisit de reposer sur un seul fournisseur en raison du prix compétitif qu’il offre, plutôt que de diversifier ses partenariats quitte à payer ses importations plus chères. Ce supplément qui s’ajoute à la facture est une marge de sécurité qui permet de ne pas être entièrement dépendant d’un seul producteur.

Après l’invasion de la Crimée en 2014, l’Europe aurait pu changer de cap, mais elle ne l’a pas fait. En 2014, le gaz russe représentait 35% des importations de gaz européennes. En 2019, cette part a grimpé à 45%, allant à l’encontre de ce qui aurait dû être fait. Plusieurs leçons sont à retenir  : développer son autonomie énergétique à travers un effort d’exploration, de forage et de développement des capacités de production, même si cette énergie est moins compétitive que celle qui est importée. Sans aller jusqu’à l’extrême, celle d’une production entièrement locale qui n’aurait pas de sens économique; produire localement une partie des besoins alourdirait légèrement la facture en échange d’une certaine marge d’autonomie. Enfin, diversifier ses partenaires pour ne pas se retrouver dépendant d’un seul fournisseur, tout en augmentant ses capacités de stockage pour disposer d’une marge de sécurité plus confortable.

 

Par Omar Fassal

 

(*) : Omar Fassal travaille à la stratégie d’une banque de la place. Il est l'auteur de trois ouvrages en finance et professeur en Ecole de commerce. Retrouvez le sur www.fassal.net.

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