Le secteur de la construction au Maroc connaît une dynamique ascendante, alimentée par des investissements colossaux dans des grands chantiers infrastructurels, une forte augmentation des IDE et l'assouplissement de la réglementation. Toutefois, quelques contraintes doivent être levées pour conserver cette croissance.
Par Désy M.
Le secteur de la construction au Maroc connaît un boom important. Selon les projections du Morocco Construction Industry Report, il devrait enregistrer une croissance réelle de 3,9% en 2025, avant d’afficher une croissance annuelle moyenne de 3,8% entre 2026 et 2029. Cette tendance est portée par l’effort public d’investissement dans les projets liés à l'énergie, aux infrastructures, aux grands événements sportifs (CAN 2025 et Mondial 2030), ainsi qu’à une augmentation des investissements directs étrangers (IDE).
Selon le haut-commissariat au Plan (HCP), la valeur ajoutée du secteur a progressé de 6,3% au premier trimestre 2025, confirmant une tendance positive entamée dès 2024. Les investissements directs étrangers (IDE) se sont envolés de 40,6% sur les deux premiers mois de l’année, atteignant 6,1 milliards de dirhams, un signal fort de la confiance des investisseurs internationaux.
«Cette trajectoire est en premier lieu alimentée par un effort public d’investissement sans précédent. La Loi de Finances 2025 consacre 340 milliards de dirhams à l’investissement, soit une progression de 1,5% par rapport à 2024. Le budget général de l’État, pour sa part, mobilise 128,53 milliards de dirhams de crédits de paiement d’investissement, représentant une croissance annuelle de 8,82%», affirme Ahmed Kchikeche, professeur d’économie appliquée à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’El Jadida.
Programmes sectoriels
Les programmes sectoriels poursuivis à ce jour confirment cette réalité. Le ministère de l’Équipement a engagé 70 milliards de dirhams pour les infrastructures routières, portuaires et hydrauliques. L’Office national des chemins de fer (ONCF) a, de son côté, lancé un programme de 29 milliards de dirhams pour l’acquisition de 168 nouvelles rames, dans le cadre d’un plan ferroviaire totalisant 96 milliards de dirhams d’ici 2030. À cela s’ajoute le financement du complexe de dessalement du Grand Casablanca, dont le coût s’élève à 6,5 milliards de dirhams.
En avril 2025, le gouvernement avait annoncé la mise en œuvre de plusieurs mesures visant à rationaliser la construction. Il s'agit notamment de permis de construire des maisons sur des parcelles plus petites, de la création d'une administration chargée d'examiner les projets, de la réduction des documents requis pour l'obtention des autorisations et de l'offre d'un soutien architectural et technique aux citoyens.
Dans un autre élan, en juillet 2025, le Maroc a approuvé 47 projets dans les domaines de l'automobile, de l'énergie, du tourisme, entre autres, pour un coût total de 51 milliards de dirhams. Ces projets trouvent également un appui auprès des bailleurs internationaux, notamment la Banque africaine de développement (BAD) qui a octroyé plus de 10 milliards de dirhams de financements destinés aux infrastructures de transport. Tous ces projets convergent et confirment les prévisions annoncées.
Sur le terrain, les retombées tangibles de cette croissance sont visibles, notamment dans la création d’emplois. En effet, le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) a généré 25.000 emplois nets au premier trimestre 2024, «confirmant son rôle contracyclique dans un contexte de ralentissement global», relève Ahmed Kchikeche. L’augmentation des livraisons de ciment, en hausse de 9,8% à fin juin et de 10,4% à fin août 2025, témoigne de l’accélération des chantiers.
Les PME et filières annexes sont également des heureuses bénéficiaires de cette tendance haussière. «Les effets multiplicateurs s’étendent aux PME à travers l’allotissement et la sous-traitance des marchés publics, ainsi que l’amélioration des délais de paiement lorsqu’elle est effective», souligne à ce titre Kchikeche. Et d’ajouter que «l’amont industriel et logistique bénéficie mécaniquement de cette intensification. La hausse des volumes de ciment se répercute sur les filières des granulats, du béton prêt à l’emploi et de la métallurgie, tandis que les programmes ferroviaires et hydrauliques irriguent les segments de la signalisation, de l’ingénierie électrique et du transport de fret». En somme, la dynamique d’investissement publique agit comme catalyseur d’un ensemble de chaînes de valeur domestiques interconnectées.
Quelques entraves
Malgré ces signaux positifs, plusieurs contraintes pourraient freiner la consolidation de cette trajectoire. D’abord, l’exécution budgétaire qui reste insuffisante. Selon Ahmed Kchikeche, «certains crédits d’investissement ne sont consommés qu’à hauteur de 60%, selon les rapports de suivi, induisant des risques de sous-réalisation».
Autrement dit, ces crédits retardent l’avancement de nombreux chantiers. Ensuite, la vulnérabilité des chaines logistiques. 11% des entreprises interrogées par le HCP signalent encore des difficultés d’approvisionnement. Par ailleurs, la pénurie de compétences spécialisées en génie ferroviaire, hydraulique et électrique, ainsi que la dépendance aux aléas hydriques fragilisent la cadence de réalisation des projets.
«Les projets stratégiques, tels que le plan ferroviaire de 96 milliards de DH et le dessalement de l’eau de mer de la station du Grand Casablanca, imposent un alignement entre formation, transfert technologique et cadence d’exécution», précise le professeur. Dans la perspective de lever ces goulots d’étranglement et parvenir à une résilience sectorielle, l’expert appelle à «un lissage pluriannuel des investissements, des avances de paiement, une meilleure intégration des PME via la co-traitance, ainsi qu’une stabilisation du cadre réglementaire».
Selon lui, la réussite de la stratégie nationale dépendra de la capacité du pays à exécuter efficacement ses projets, à renforcer ses compétences locales et à créer un environnement propice à l’investissement. Car bien que «l’amplification des concours financiers extérieurs, déjà amorcée avec les financements de la BAD, constitue un levier complémentaire, il ne saurait se substituer à la demande domestique, cœur structurel de la croissance de la construction au Maroc», conclut Kchikeche.