Le Maroc bénéficie d’une attractivité croissante en matière de climat des affaires. Il a entrepris diverses réformes, notamment fiscales et juridiques, pour stimuler les investissements et consolider ainsi sa position en tant que pôle stratégique d’investissement en Afrique. Entretien avec Me Aïda Bennani, avocate au Barreau de Casablanca, spécialisée en droit des affaires.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Comment évaluez-vous l’impact de la sécurité juridique et du climat des affaires au Maroc sur l’attractivité pour les investisseurs étrangers ? Plus précisément, les mécanismes d’application des contrats, la protection des droits de propriété et la stabilité des réglementations répondent-ils aux attentes des investisseurs internationaux ?
Me Aïda Bennani: L’un des principaux critères d’attractivité pour les investisseurs étrangers est la mise en place d’un arsenal juridique destiné à garantir le respect des droits des investisseurs dans le pays concerné. Un système judiciaire efficace et fiable est crucial pour garantir que les engagements contractuels soient respectés. Le Maroc dispose d'un système juridique relativement bien développé qui permet la sécurité des échanges commerciaux et l’exécution des contrats. Les tribunaux marocains sont compétents, et l’État a entrepris plusieurs réformes pour améliorer l'efficacité du système judiciaire. Les différents mécanismes mis en place pour le règlement des différends commerciaux, tels que la médiation et l'arbitrage, permettent aux investisseurs étrangers de résoudre leurs différends en dehors des tribunaux traditionnels, en particulier avec des instances internationales telles que la Chambre de commerce internationale (CCI). Les parties peuvent ainsi en amont définir quel sera le droit applicable au contrat et choisir le tribunal arbitral. En matière de réglementations, de nombreuses initiatives ont été prises par le Royaume du Maroc, comme la mise en place de réformes fiscales et une révision régulière des lois commerciales permettant d’assurer un climat favorable aux investissements étrangers. Le pays a, à ce titre, signé de nombreux accords de libre-échange avec plusieurs pays (notamment avec l’Union européenne et les États-Unis), renforçant ainsi sa position en tant que destination attrayante pour les investisseurs. En outre, des incitations fiscales et des zones économiques spéciales (comme la zone franche de Tanger) sont mises en place pour encourager l’investissement étranger direct (IED). Par conséquent, nous pouvons aisément affirmer que le Maroc offre un environnement favorable aux investisseurs étrangers, grâce à son arsenal juridique fort permettant la garantie de l’exécution des contrats, une protection des droits de propriété qui répond aux standards internationaux, et une stabilité réglementaire qui demeure un atout majeur dans l’attractivité du pays.
F. N. H. : Les réglementations marocaines sont-elles suffisamment transparentes et accessibles pour les investisseurs étrangers ? Quels efforts ont été entrepris pour simplifier les procédures administratives et réduire la bureaucratie, et quels aspects nécessitent encore des améliorations ?
Me A. B. : Afin de rendre le pays plus attractif pour les investisseurs étrangers, le Maroc a fait des efforts considérables pour améliorer la transparence et l'accessibilité de ses réglementations. Il a modernisé ses infrastructures juridiques et administratives pour rendre l’accès à l’information plus facile et plus rapide. Par exemple, de nombreux règlements et lois sont désormais publiés en ligne sur des sites officiels, tels que le site du Secrétariat général du gouvernement, celui de l’Office des changes ou de la Direction générale des impôts. Cela permet aux investisseurs étrangers de consulter les textes juridiques, les normes fiscales et commerciales, et les procédures administratives de manière transparente et rapide. Le Maroc a également adopté des réformes visant à simplifier et à harmoniser les démarches administratives, notamment grâce à des plateformes numériques comme le site officiel «Direct entreprise», émanation de l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC) pour la création d’entreprises. La Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) a, elle aussi, digitalisé l’ensemble des procédures de notifications et permet aujourd’hui à toute entité d’accomplir les formalités nécessaires via sa plateforme. Cela a facilité l’obtention des autorisations nécessaires pour démarrer une activité dans le pays. De plus, le Code des investissements et des zones franches offre des incitations fiscales et des avantages pour les investisseurs, et les procédures d'immatriculation des entreprises ont été simplifiées, ce qui réduit les obstacles à l'entrée pour les étrangers. Malgré ces efforts, l’accessibilité réelle à l’information peut parfois être limitée par la complexité des textes législatifs, qui sont parfois rédigés dans des termes techniques difficiles à comprendre pour des investisseurs étrangers non familiarisés avec le système juridique marocain. Le Maroc a entrepris des réformes visant à réduire la bureaucratie et à simplifier les procédures administratives pour attirer les investisseurs. L’enregistrement des entreprises a été grandement simplifié par la création de guichets uniques dans les zones industrielles et la dématérialisation des procédures. L’Agence de développement des investissements (ADI) joue un rôle important en fournissant des informations claires et un soutien aux investisseurs étrangers. Le Maroc a également réformé son système fiscal pour le rendre plus simple et plus compétitif, et plusieurs zones économiques spéciales (comme Tanger Med et Casablanca Finance City) offrent des incitations fiscales et des procédures administratives simplifiées pour encourager les investissements étrangers. Le portail électronique e-Gov permet aux citoyens et aux entreprises d’effectuer des démarches administratives en ligne, réduisant ainsi les déplacements physiques et la bureaucratie. L’amélioration continue des services publics et la digitalisation des procédures constituent des pistes solides pour renforcer l’accessibilité et la transparence des réglementations. Cela dit, dans des domaines bien spécifiques comme en matière de droit de la propriété, Il existe des disparités dans l’application des réglementations entre les régions urbaines et rurales, notamment en matière de droits fonciers et d'obtention de permis. Les investisseurs étrangers peuvent rencontrer des obstacles administratifs dans certaines zones, souvent dus à des pratiques administratives informelles.
F. N. H. : En cas de litige commercial, les investisseurs étrangers ont-ils accès à des mécanismes de règlement des différends efficaces et impartiaux au Maroc (par exemple, arbitrage, médiation, tribunaux)? Quels sont les délais et les coûts associés à ces procédures ?
Me A. B. : Il existe au Maroc 3 principaux modes de règlement des conflits. Le mode traditionnel, à savoir les juridictions nationales, et les modes dits alternatifs de règlements des litiges. Il s’agit de la médiation et de l’arbitrage. Ainsi, pour pallier le sentiment d’insécurité que peut ressentir un investisseur étranger face à des juridictions nationales qui appliqueront en l’absence de disposition contraire prévue par les parties, le droit marocain, il est possible en amont des transactions de prévoir le règlement des litiges commerciaux par la voie de la médiation ou de l’arbitrage. Ces mécanismes sont en général bien structurés et, dans certains cas, adaptés aux besoins spécifiques des investisseurs étrangers. Toutefois, des différences existent en termes d’efficacité, de coûts et de délais. Le Maroc dispose d'un cadre juridique favorable à l’arbitrage commercial, notamment grâce à l’adhésion à la Convention de New York de 1958 sur la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, qui permet la reconnaissance internationale des décisions arbitrales. Cela garantit aux investisseurs étrangers une sécurité juridique importante en cas de conflit. Le pays a favorisé la mise en place d’institutions privées spécialisées dans le règlement des différends commerciaux par arbitrage, dont le Centre international de médiation et d’arbitrage de Casablanca (Cimac), qui est l'un des plus importants en Afrique. J’ai eu le privilège d’assister à la 8ème édition du «Casablanca arbitration days» organisé par ce prestigieux Centre le mois dernier. Il ressort de cet évènement un développement accru de l’arbitrage au Maroc depuis la mise en place du CIMAC, garant des droits des investisseurs et permettant ainsi une application de droits internationaux facilitée notamment par l’intervention d’experts internationaux de renom. Ce centre applique les normes internationales, ce qui le rend attrayant pour les investisseurs étrangers cherchant un règlement impartial et efficace des différends. L’arbitrage est souvent préféré par les investisseurs étrangers, car il permet de bénéficier d'une procédure plus rapide et flexible par rapport à une procédure judiciaire traditionnelle, avec des règles qui peuvent être définies en amont par les parties. L’arbitrage au Maroc est en général plus rapide que les procédures judiciaires, avec des délais moyens d’environ 6 à 12 mois, en fonction de la complexité du litige. Les coûts de l’arbitrage peuvent être élevés, car ils incluent les frais d'arbitrage (honoraires des arbitres, frais administratifs) et les frais juridiques. Ces coûts peuvent varier en fonction de la valeur du litige, mais en moyenne, ils peuvent se chiffrer à plusieurs milliers de dollars. La médiation, quant à elle, est un mécanisme amiable de règlement des litiges qui connaît une croissance importante au Maroc, notamment dans les domaines commerciaux. Elle permet aux parties de trouver un accord sans avoir recours à un tribunal ou à l’arbitrage, et est souvent vue comme une solution plus flexible et moins coûteuse. Le Maroc a adopté des règles spécifiques pour promouvoir la médiation, notamment à travers le Code de procédure civile révisé, qui inclut des dispositions sur la médiation judiciaire et la médiation conventionnelle. L’un des principaux avantages de la médiation est qu'elle permet de conserver la confidentialité des discussions et peut souvent aboutir à une solution plus rapide et moins conflictuelle qu’un arbitrage ou un procès devant un tribunal. La médiation peut souvent être résolue en quelques semaines ou mois, en fonction de la coopération des parties et de la complexité du litige. Les frais de médiation sont généralement plus faibles que ceux de l’arbitrage ou des procédures judiciaires, car ils sont basés sur des honoraires de médiateurs moins élevés. Les coûts totaux de la médiation dépendent du médiateur choisi, mais ils restent souvent abordables. En résumé, il s’agit d’une procédure amiable de règlement des différends très efficace, mais qui n’est malheureusement pas possible dans tous les cas. Les procédures judiciaires classiques, quant à elles, devant les tribunaux peuvent être longues, avec des délais pouvant aller de 12 à 24 mois en fonction de la complexité du dossier, de la charge de travail des tribunaux et des éventuels recours. Les procédures en appel peuvent également rallonger ces délais. Les coûts sont souvent plus faibles que ceux de l’arbitrage, mais peuvent s'accumuler en fonction de la durée du procès, des frais d’avocat, des expertises et des frais judiciaires. Ainsi, les différents modes de règlement des conflits, qu’il s’agisse d’un mode traditionnel mis en place par l’État, garant des droits, ou d’une institution privée qui répond aux standards internationaux d’arbitrage, permettent de mettre en confiance les investisseurs étrangers. L’arbitrage est souvent privilégié par les investisseurs étrangers en raison de sa rapidité, de sa flexibilité et de la garantie d’impartialité grâce à des institutions telles que le Cimac. Toutefois, les coûts peuvent être élevés, et les délais varient en fonction de la complexité du cas. La médiation est une alternative plus rapide et moins coûteuse, mais elle n’est pas toujours contraignante si les parties n’arrivent pas à un accord. Les procédures judiciaires traditionnelles restent une option, mais elles sont souvent plus longues et moins flexibles que l’arbitrage. Pour les investisseurs étrangers, le Maroc présente des mécanismes de règlement des différends efficaces, mais il est important de bien choisir le mécanisme le plus adapté en fonction du type de litige, des délais et des coûts souhaités. L’arbitrage reste, dans de nombreux cas, l'option privilégiée pour sa fiabilité internationale et ses avantages en matière de rapidité.
F. N. H. : La lutte contre la corruption est un enjeu majeur pour l’attractivité des investissements. Quelles initiatives spécifiques le Maroc pourrait-il mettre en place pour renforcer l’intégrité de ses institutions et rassurer les investisseurs étrangers ?
Me A. B. : La lutte contre la corruption est effectivement un enjeu crucial pour l’attractivité des investissements étrangers. Une gouvernance transparente et intègre inspire confiance aux investisseurs, tandis que la perception de la corruption peut constituer un frein majeur à l’investissement direct étranger (IDE). Bien que le Maroc ait mis en place plusieurs réformes pour combattre la corruption, il reste encore des défis à surmonter pour renforcer l'intégrité des institutions et rassurer les investisseurs étrangers. Je proposerais trois principales initiatives spécifiques que le Maroc pourrait adopter pour renforcer la transparence et l’intégrité des institutions :
• La mise en place de mécanismes de suivi public des dépenses publiques : Le Maroc pourrait renforcer l’obligation de publication transparente des dépenses publiques, y compris les contrats gouvernementaux, les marchés publics et les projets d’infrastructure. Cela pourrait passer par l’introduction de portails en ligne dédiés à la transparence budgétaire, où les citoyens et les investisseurs peuvent suivre l’utilisation des fonds publics.
• Le renforcement de la plateforme des marchés publics : le Maroc pourrait rendre encore plus transparentes et faciles d'accès les procédures d'attribution des marchés publics en simplifiant l’utilisation des plateformes numériques comme le portail marocain des marchés publics, qui pourrait intégrer davantage de contrôles et de sanctions en cas de non-respect des règles de transparence.
• Le renforcement des rôles et pouvoirs des organes de régulation et de contrôle comme la Cour des comptes et l'Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption : Bien que la Cour des comptes soit déjà chargée du contrôle des finances publiques, renforcer ses moyens et son indépendance pourrait avoir un impact significatif sur la lutte contre la corruption. Elle pourrait par exemple publier des rapports détaillés sur l’utilisation des fonds publics, notamment dans le secteur privé-public. Il faut aussi renforcer les pouvoirs de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption ainsi que de l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC). Malgré le faite que ces institutions existent déjà, une amélioration de leur indépendance, de leur financement et de leurs moyens opérationnels leur permettrait de jouer un rôle plus significatif dans la lutte contre la corruption. De plus, elles pourraient étendre leurs missions de contrôle et d’audit au secteur privé.
Le Maroc pourrait mettre en place des programmes de formation ciblant non seulement les fonctionnaires, mais aussi les acteurs privés, afin de promouvoir une culture d'intégrité et de respect des règles éthiques. Les initiatives de formation pourraient inclure des modules spécifiques sur les normes anti-corruption, la transparence financière et la déontologie professionnelle. Le gouvernement pourrait également introduire des incitations fiscales ou des avantages réglementaires pour les entreprises qui mettent en place des programmes internes de lutte contre la corruption, garantissant des pratiques commerciales transparentes et éthiques.
En dernier lieu, l’initiative qui reste inévitable est la mise en place de sanctions dissuasives. Le Maroc pourrait adopter des sanctions plus sévères contre les actes de corruption, en veillant à ce que les responsables soient poursuivis et sanctionnés de manière exemplaire. Cela inclurait non seulement les pénalités financières, mais aussi des peines de prison dans les cas graves de corruption. Enfin, la publication systématique des condamnations pour corruption permettrait de renforcer la dissuasion dans le cas où la publication est largement diffusée dans les médias. Cela servirait à envoyer un message fort de lutte contre la corruption.
F. N. H. : Avec les récents chiffres montrant l’approbation de 53 projets d’investissements étrangers en 2023, quels facteurs juridiques ou administratifs ont joué un rôle clé dans cette dynamique positive ? Quels leviers pourrait-on encore actionner pour accélérer ce mouvement ?
Me A. B. : L'approbation de 53 projets d'investissements étrangers en 2023 au Maroc est un signe encourageant de la solidité et de l'attractivité du pays en matière d'investissement. Cette dynamique positive peut être attribuée à plusieurs facteurs juridiques et administratifs qui ont contribué à renforcer la compétitivité du Maroc, notamment en matière de réformes législatives, de stabilité réglementaire et de simplification des procédures administratives. Cependant, pour accélérer encore ce mouvement et attirer davantage d'investissements étrangers, plusieurs leviers peuvent être actionnés. Les réformes récentes ont joué un rôle clé dans l’attractivité du Maroc en matière d'investissement étranger. Certaines de ces réformes comprennent : Le Code des investissements révisé : Cette révision, entrée en vigueur en 2022, a introduit plusieurs incitations fiscales, comme des réductions d’impôts et des exonérations fiscales pour les entreprises créant des emplois dans certaines régions ou secteurs stratégiques (industrie, énergies renouvelables, etc.). De plus, le nouveau code a simplifié les démarches administratives, permettant un accès plus facile aux avantages fiscaux pour les investisseurs étrangers. Les zones franches : Les zones économiques spéciales, comme celles de Tanger Med, Casablanca Finance City ou la Zone franche de Jorf Lasfar, offrent des incitations fiscales et des avantages administratifs spécifiques qui attirent les investisseurs étrangers, notamment dans des secteurs stratégiques comme l’industrie, la finance ou les technologies. Par ailleurs, le Maroc a signé plusieurs accords commerciaux internationaux (avec l'Union européenne, les États-Unis, les pays arabes, etc.), facilitant ainsi l'accès au marché marocain et à d'autres marchés internationaux. Le Royaume a ensuite pris des initiatives destinées à simplifier les démarches administratives en mettant en place une plateforme centralisée pour la création d’entreprises et la dématérialisation des procédures, ce qui a facilité l’obtention des autorisation administratives et permis une réduction des délais nécessaires à l’implantation d’entreprises étrangères. Les procédures administratives sont désormais plus transparentes et faciles d'accès, ce qui encourage les investisseurs à choisir le Maroc comme destination d'investissement. Les réformes récentes ont déjà donné des résultats positifs en attirant des investissements étrangers au Maroc, mais plusieurs leviers peuvent être actionnés pour renforcer cette dynamique. La digitalisation des procédures administratives, la promotion de la transparence, l'investissement dans les infrastructures et la formation des investisseurs sont des domaines clés où des progrès supplémentaires peuvent être réalisés. En renforçant encore l'attractivité de son environnement juridique et administratif, le Maroc peut accélérer l’arrivée de nouveaux investissements étrangers et consolider sa position comme destination privilégiée pour les IDE.