Campagne agricole: «S.O.S. sécheresse !»

Campagne agricole: «S.O.S. sécheresse !»

 

 

Lour paraphraser l'ancien président français, Jacques Chirac, l'on dira que les ennuis volent toujours en escadrille. Tel semble bien être le cas aujourd'hui avec la médiocrité de la campagne agricole 2021-2022. Si l'on prend en compte l'impact sanitaire, social et économique de la pandémie Covid-19 ainsi que le renchérissement de la facture énergétique - 95 dollars le baril de pétrole -, couplé à celui des matières premières, voilà une conjoncture qui pèse de tout son poids sur la politique du gouvernement. En octobre dernier, avec la présentation du projet de Loi de Finances, les prévisions étaient d'un autre registre : un taux de croissance de 3,2%; 80 millions de quintaux de céréales; enfin, un cours pétrolier de 70 dollars, etc. C'est dire que l'on est loin du compte. Les spécialistes tablent désormais sur une récolte céréalière de l'ordre de 40 à 50 millions de quintaux tout au plus.

De quoi obérer sérieusement la relance économique dont le gouvernement a fait une priorité de premier plan. Tout calcul prévisionnel est ainsi fortement grevé pour l'année 2022. Jeudi dernier, à l'issue du Conseil de gouvernement, le Porte-parole Mustapha Baïtas a déclaré qu'il n’y avait «nul besoin d'une Loi de Finances rectificative»; que l'évolution de la situation agricole était suivie de près; et que des mesures seraient prochainement prises. Une semaine après, où en est-on, alors que le chef de l'exécutif, Aziz Akhannouch, connaît bien ce secteur, lui qui a eu en charge le département de l'Agriculture durant quatorze ans (2007-2021)...

 

Un plan anti-sécheresse ?

Le Maroc ne se trouve pas devant une situation inédite, tant s'en faut. Les cycles de sécheresse, naguère toutes les décennies, se sont en effet fortement réduits autour de 3/4 ans. Et il existe, dans les départements les plus concernés, une sorte de «boîte à outils» avec des programmes appropriés. Que faire alors ? Les réactualiser et les traduire par des mesures opératoires à effet immédiat. Il s'agit de soutenir le pouvoir d'achat - déjà modeste des familles dans le monde rural marqué par un taux de pauvreté élevé par rapport à la moyenne nationale. Le soutien de l'emploi doit être prioritaire; le programme «Awrach», lancé depuis le début de cette année, doit être priorisé dans cette direction. De même, par suite du stress hydrique, tout doit être fait pour assurer et sécuriser l'accès à l'eau potable des populations rurales.

 

En attendant un «geste social»

D'autres propositions ont été également avancées, telle celle d'un grand geste, significatif, - un «geste social»  -, référence est faite à une aide financière directe en faveur de ces populations en situation de précarité accentuée. Il s'agirait de répliquer pratiquement ce qui a été fait depuis mars 2020 en direction de différents secteurs frappés par l'impact de la pandémie. Par ailleurs, certaines interpellations demandent que le gouvernement s'attelle à une mise à plat des politiques publiques actuelles dans le secteur agricole. Ce qui est en cause, c'est la problématique d'une réarticulation et d'une réorientation stratégique en faveur du monde rural. Le rapport sur le nouveau modèle de développement a avancé à cet égard des axes directeurs. Celui d'une souveraineté alimentaire portée par une agriculture moderne, à forte valeur ajoutée, inclusive et responsable: accroissement de la valorisation locale de la production agricole; développement aussi d'une agriculture moderne, socialement et écologiquement responsable, mettant la technologie au service de la durabilité; renforcement des compétences humaines couplé à l'encouragement de la recherche et de l'innovation en agriculture et en agro-industrie; prévalence enfin d'une approche plus systématique et coordonnée dans les territoires, sur la base d'une coordination stratégique transverse et opérationnelle, notamment dans les territoires. Autre axe : celui de la préservation des ressources naturelles et de la résilience des territoires au changement climatique : gouvernance plus efficiente de la gouvernance des ressources naturelles; valorisation du potentiel de l'économie verte, de l'économie bleue, ainsi que du capital naturel et culturel; protection de la biodiversité et des écosystèmes forestiers. Enfin, ce dernier axe : celui d'une politique globale en faveur de la préservation des ressources en eau. Comment ? Par une meilleure valorisation de cette ressource et une gestion plus efficiente de sa rareté. Le stress hydrique est là; il s'accentue et il commande une véritable mobilisation des politiques publiques pour y faire face. Durablement, aussi : réforme de l'organisation du secteur, transparence sur les coûts, une tarification mise au net incitant à la rationalisation des usages, mise en place d'une Agence nationale de gestion de l'eau. C'est dire que le modèle actuel doit être revu et corrigé. Comment ? Dans le cadre de nouvelles perspectives d'avenir, enjambant la présente conjoncture et s'inscrivant au-delà du mandat de ce gouvernement, à l'horizon 2030 et même 2035.

Du «retard à l'allumage», si l'on ose dire, du gouvernement à prendre les mesures attendues. Même du côté d'un parti de la majorité - le PAM de Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice en l'occurrence, l’inquiétude et la grogne sont à relever. Jeudi dernier, le bureau politique de ce parti a ainsi instamment demandé à ses deux alliés de la majorité (RNI et PI) d’examiner la situation actuelle de la sécheresse. Il a appelé à des programmes immédiats et à court terme, notamment pour ce qui est de l'accès à l’eau potable et à l'irrigation. Il a aussi demandé des mesures concrètes pour la garantie de la stabilité des produits agricoles. Quant à l'opposition, c'est vent debout qu'elle a pris en main ce même dossier. Le Mouvement populaire (MP) de Mohand Laenser s'alarme pour sa part de la faible capacité des barrages (autour de 33%) et de l'envol des prix des matières agricoles. Il demande le plafonnement des prix et un soutien immédiat aux petits agriculteurs dans le cadre d'un programme national urgent. Enfin, il fait part de sa disposition, pardelà les clivages partisans, à œuvrer à une approche participative des acteurs et des institutions.

 

Mobilisation de l'opposition

C'est cette même tonalité que l'on retrouve dans les autres composantes de l'opposition (USFP, PPS, PJD). Ainsi, des parlementaires et des groupes ont demandé, dans une correspondance adressée aux présidents de quatre commissions permanentes de la Chambre des représentants, des réunions d'urgence avec les ministres concernés. La ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui, est ainsi appelée à s'expliquer sur ce que compte faire l'exécutif et sur les modifications à apporter dans le cadre d'une Loi de Finances rectificative. De même, le ministre de l'Agriculture, Mohamed Sadiki, est invité à préciser les mesures relatives à la réduction des conséquences de la sécheresse sur la production agricole et l'élevage ainsi que sur l'accentuation du stress hydrique.

Dans cette même ligne, le ministre de l'Equipement et de l'Eau, Nizar Baraka, doit être interrogé sur ces mêmes questions par la commission des secteurs productifs. La date a été fixée au 1er mars prochain. Au moment où la pandémie Covid-19 enregistre des reculs et un palier appelé à se prolonger par suite de la mobilisation des grands moyens mis en œuvre, la question de la sécheresse s'installe désormais comme la grande problématique des mois à venir. Elle aura des effets sur la relance économique, avec ses multiples aspects (croissance, emploi, climat d'affaires, état d'esprit des ménages,...). A suivre... 

 

 

Par Mustapha SEHIMI Professeur de droit, Politologue

 

 

 

 

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