Bensouda, Trésorier général du Royaume : «la souveraineté de l’Etat devient de plus en plus relative»

Bensouda, Trésorier général du Royaume : «la souveraineté de l’Etat devient de plus en plus relative»

 

La souveraineté des Etats connaît de plus en plus de limites dues aux développements des relations politiques, économiques, etc., et en raison de l’apparition de nouveaux acteurs qui la grignotent. Le trésorier général du Royaume, Noureddine Bensouda, n’y va pas par quatre chemins : l’Etat est contraint de s’adapter à ce nouveau contexte en sacrifiant une partie de sa souveraineté.

 

 

Finances News Hebdo : Qu’est-ce qui a motivé le choix de cette thématique «souveraineté des Etats et finances publiques», sachant que l'érosion de la souveraineté ne date pas d'aujourd'hui ?

 

Noureddine Bensouda : Le choix de cette thématique «souveraineté et finances publiques» s’inscrit dans le prolongement de toute la réflexion depuis 11 ans sur les finances publiques. Nous avons travaillé sur la cohérence, la transparence, le pilotage, la réforme de l’Etat territorial, le financement des villes… In fine, toutes ces questions touchent les citoyens.  C’est pour cela que nous continuons sur la même lancée.

L’année dernière, nous avons débattu des finances publiques et des pouvoirs politiques. Le leitmotiv est de dire que la souveraineté de l’Etat devient de plus en plus relative vu la mondialisation, vu l’impact du numérique sur les finances publiques.

L’Etat est ainsi contraint de s’adapter à ce nouveau contexte en concédant une partie de sa souveraineté.

La meilleure réponse est d’être responsable et surtout d’être présent dans les participations internationales pour contribuer à la production des normes qu’elles soient comptables, fiscales, budgétaires qui s’appliquent dans nos pays respectifs.

Il s’agit de normes importantes parce qu’elles permettent la transparence, la bonne gestion, l’orthodoxie et la réédition des comptes sur laquelle le Souverain a mis le doigt dans son discours du Trône en insistant avec force sur la responsabilité des gestionnaires et des politiques et la nécessité de rendre concret les politiques publiques pour que le citoyen puisse en bénéficier.

 

 

F.N.H. : On parle de souveraineté fiscale, budgétaire, monétaire qui sont des notions très importantes. Comment pouvons-nous qualifier cette souveraineté si nous prenons en considération que les Etats, en tant qu’entités souveraines, sont appelés à appliquer à la lettre les recommandations aussi bien fiscales, budgétaires et monétaires des institutions de Bretton Woods ?

 

N. B. : Vous savez, les relations avec les organisations internationales, que ce soit le FMI ou la Banque mondiale, sont plus des relations de surveillance et d’encadrement. Parfois, dans une situation difficile que ce soit pour le Maroc ou pour un autre pays, il s’agit d’exigences ou de conditions. Je dirai plus des recommandations faites aux pays pour qu’ils retrouvent une meilleure santé de leurs finances publiques. Donc finalement, c’est un peu le bon sens.

Mais la question qui se pose, c’est surtout par rapport aux choix qui ont été opérés : sommes-nous dans une politique libérale, néolibérale, néo-keynésienne…

C’est là où les politiques doivent décider sur quel est le rôle de l’Etat, quelles sont ses principales fonctions ? Est-il amené à se limiter à la justice, la monnaie, l’éducation, la santé ou aller au-delà ?

 

F.N.H. : Le poids de la dette publique ne fait qu’augmenter atteignant plus de 80% du PIB ? Dans ce cas de figure, la souveraineté de l’Etat n’est-elle pas en danger si nous prenons l’exemple le plus frappant et le plus récent de la Grèce ?

 

N. B. : Le plus important est d’avoir la possibilité de financer la dette et justement l’un des points sur lesquels j’ai insisté, est cette responsabilité de cette génération actuelle par rapport à la génération future.

En d’autres termes, tous les emprunts contractés aujourd’hui doivent être payés un jour ou l’autre. Parfois, nous risquons d’endetter les générations futures parce que l’emprunt d’aujourd’hui est l’impôt de demain. D’où le précieux arbitrage. C’est vrai que l’emprunt est nécessaire et c’est ce qui explique que dans la loi organique, il est stipulé que l’emprunt soit surtout réservé à l’investissement et non pas aux dépenses courantes.

 

F.N.H. : En tant que trésorier général du Royaume, quelle appréciation faites-vous sur les deux grands projets, à savoir l’adhésion du Maroc à la CEDEAO et la flexibilité du régime de change, qui certainement ne sont pas exempts d’incidences sur la souveraineté de l’Etat ?

 

N. B. : A mon avis, il faut juste prendre en considération certaines réalités. Ce que nous avons aujourd’hui, c’est un taux de change administré par la Banque centrale. L’évolution tout à fait naturelle c’est qu’il y ait un taux de change flottant, mais elle reste une décision politique et technique.

Politique parce que c’est le gouvernement qui doit la prendre et technique parce que c’est la Banque centrale qui va la gérer. Ce sont les deux entités qui doivent se prononcer le jour voulu sur cette question.

 

F.N.H. : Nous ne pouvons parler de souveraineté sans évoquer la réforme de la comptabilité de l’Etat. D’abord, son entrée en vigueur est-elle maintenue pour janvier 2018 ? Ensuite, quels sont ses principaux enjeux ?

 

N. B. : Effectivement, il s’agit d’une réforme fondamentale parce qu’elle permet de faire évoluer la comptabilité d’une comptabilité budgétaire où l’on ne voit que les recettes et les dépenses vers une autre plus élaborée qui ressemble à celle du secteur privé, et qui prend en considération tous les engagements de l’Etat, le patrimoine, le compte des résultats, le bilan.

Cela permet une meilleure visibilité en termes de finances publiques et une meilleure transparence. Mieux encore, elle permet de rendre compte aux citoyens, au gouvernement et à la Cour des comptes.

 

F.N.H. : A l’ère de la mondialisation et de l’essor du numérique, de l’influence des organisations internationales, l’Etat dispose- t-il encore d’autonomie pour exercer pleinement ses pouvoirs ?

 

N. B. : En réalité, l’Etat est obligé de choisir entre plusieurs maux. En d’autres termes, pour faire face à la perte relative de sa souveraineté, il n’est de réponse possible que d’être responsable au vrai sens du terme et faire des choix, qui peuvent être difficiles à court terme, mais rentables à long terme. ■

 

 

Propos recueillis par S. Es-siari

 

 

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